Dès 1875, le Japon a fait le choix de se doter d’une industrie ferroviaire forte. Un siècle et demi plus tard, après avoir réussi à accompagner le développement du système de transport ferroviaire le plus fiable du monde, cette industrie se heurte désormais à la saturation du marché domestique. Elle cherche en conséquence à innover (train à lévitation magnétique, hydrogène, automatisation) et à accroître la part de ses activités à l’étranger, située autour de 10-20% depuis les années 1950.

Dès 1875, le Japon a fait le choix de se doter d’une industrie ferroviaire forte. Un siècle et demi plus tard, après avoir réussi à accompagner le développement du système de transport ferroviaire le plus fiable du monde, cette industrie se heurte désormais à la saturation du marché domestique. Elle cherche  en conséquence à innover (train à lévitation magnétique, hydrogène, automatisation) et à accroître la part de ses activités à l’étranger, située autour de 10-20% depuis les années 1950. Cette dynamique d’export est activement soutenue par l’Etat, dans le cadre de la stratégie nationale d’export d’infrastructures formalisée au début des années 2010. Si l’Europe fait partie des nouvelles cibles,  des difficultés d’accès au marché japonais subsistent pour les acteurs européens.

Une industrie considérée comme stratégique par le Japon, dès 1875

Alors que les premiers trains qui ont roulé au Japon en 1872 étaient britanniques, le pays a fait le choix dès 1875 de développer sa propre filière ferroviaire, y voyant un secteur stratégique pour l’avenir. Depuis le pic atteint en 1965 avec 12 000 véhicules produits, la production est en constante baisse, la flotte de 61 200 véhicules installés couvrant les besoins. En 2018, la production de l’industrie ferroviaire a atteint 751 Mds JPY soit environ 6 Mds EUR (dont un tiers de matériel roulant), beaucoup moins que l’automobile (60 000 Mds JPY), le naval (3 000 Mds JPY) et l’aéronautique (2 000 Mds JPY). 3/4 de la production sont destinés au marché japonais, majoritairement les compagnies JR.

Valeur de véhicules neufs produite annuellement (source : MLIT, 2020)

Les deux principaux fabricants ferroviaires japonais sont Hitachi (6ème mondial) et Kawasaki Heavy Industries (11ème mondial) mais l’activité ferroviaire ne représente qu’une partie de leurs activités (7% du chiffre d’affaires 2018 de Hitachi). Les entreprises spécialisées dans le ferroviaire, comme Nippon Sharyo, Kinki Sharyo ou JTREC sont souvent proches des compagnies JR, qui possèdent tout ou partie de leur capital. Les Shinkansen (8% de la flotte) sont majoritairement produits par Nippon Sharyo (filiale de JR Central depuis 2008) ainsi que par Hitachi et KHI. Les équipements électriques et de signalisation sont produits par Mitsubishi Electric, Hitachi, Toshiba, Nippon Signal, Kyosan... La Japan Association for Rolling Stock Industries (JARi) rassemble les acteurs de la filière, y compris les filiales japonaises d’entreprises françaises comme Thales, Saft ou Mersen.

Evolution de la production de l’industrie ferroviaire japonaise (source : JARi, 2020)

Vers de nouvelles technologies ferroviaires : Maglev, hydrogène, automatisation

Afin d’adapter les trains aux enjeux de demain, les industriels japonais développent de nouvelles technologies. JR Central réalise actuellement une nouvelle ligne reliant les deux plus grands pôles urbains du pays, Tokyo et Osaka par un train à lévitation magnétique, le Maglev. Fabriqué par Hitachi et Nippon Sanryo, le Maglev se déplacera à 500 km/h, divisant par trois le temps de parcours entre les centres villes de Tokyo et Osaka (67 mn contre 3 heures actuellement en shinkansen ou en avion). Les 438 km de ligne seront constitués à 80% de tunnels afin de réduire les problèmes de foncier et les nuisances sonores et les trains seront pilotés à distance. Le chantier, dont l’achèvement était prévu pour 2027 pour la section Tokyo-Nagoya (mais a récemment été reporté à une date ultérieure), puis 2045 pour Nagoya-Osaka, représente un investissement de 9 300 Mds JPY (77,5 Mds EUR), financé par JR Central avec un prêt de l’Etat. Un projet de Maglev japonais est également envisagé aux Etats-Unis.

Le Railway Technical Research Institute (RTRI), issu de l’ancienne compagnie ferroviaire nationale, a initié le développement d’un train à hydrogène dès 2001, dans la continuité des efforts du gouvernement pour structurer une stratégie nationale de développement de l’hydrogène. JR East développe également son propre projet. Le principal objectif est de remplacer les trains diesel des lignes non électrifiées (30% du réseau japonais, 70%-80% dans les régions rurales de Hokkaido et du Shikoku) par des trains zéro émission. En 2008, le RTRI a réorienté son projet vers un système hybride combinant hydrogène et batteries. De son côté, JR East a conclu en 2018 un partenariat avec Toyota afin d’accélérer son projet : la compagnie vise la commercialisation d’un train à hydrogène en 2024. Bien que la technologie soit au point, des défis subsistent quant au coût des équipements, aux infrastructures d’approvisionnement en hydrogène et à la réglementation. Les industriels japonais ont ainsi pris du retard sur Alstom, qui a commercialisé dès 2018 en Allemagne son premier train à hydrogène.

Pour des raisons de sécurité, les trains à conduite automatisée sont actuellement autorisés au Japon uniquement sur certaines voies inaccessibles au public, comme les monorails dont les voies sont surélevées. Le recours à des technologies automatisées plus performantes devrait permettre d’étendre l’usage des trains autonomes à davantage de lignes. Depuis 2018, les compagnies JR réalisent des essais de trains autonomes sur voies en exploitation. Le développement du train à conduite automatisée est encouragé par le ministère de l’aménagement et des transports (MLIT) qui voit dans cette technologie un moyen de répondre aux problématiques de pénurie de main d’œuvre et de rentabilité des lignes en milieu rural.

L’industrie ferroviaire japonaise à la conquête des marchés à l’export

Le secteur ferroviaire japonais a longtemps été dépendant de la demande domestique. Depuis 1950, l’export s’établit à 10-20% de la production annuelle, avec divers projets principalement en Asie et aux Amériques, dont l’emblématique métro de New-York fourni par KHI depuis 1985. En 2007, le Japon a exporté son premier Shinkansen, à Taïwan. Au début des années 2010, le Japon a mis en place une politique active d’exportation des infrastructures, incluant le ferroviaire, notamment les trains urbains et la grande vitesse, dont la demande est en croissance. Le marché domestique étant saturé, avec une demande limitée pour le Shinkansen et le renouvellement des trains, les fabricants japonais cherchent à renforcer leurs positions à l’étranger, désormais sur tous les continents. En 2016, en réponse à la concurrence chinoise, le Japon a mis en avant le concept d’infrastructures de qualité, dont le Shinkansen - fierté nationale depuis son lancement lors des Jeux Olympiques de Tokyo en 1964- constitue un des fers de lance. Sur les 83 projets prioritaires du dernier plan d’export d’infrastructures (2019), 27 sont des projets ferroviaires, dont 7 pour des lignes à grande vitesse aux Etats-Unis, en Asie et en Europe. Un projet phare est la ligne à grande vitesse Bombay-Ahmedabad prévue pour 2023, d’un coût de 1500 Mds JPY financés à 80% par des prêts japonais et mobilisant également Obayashi, géant du BTP japonais. En Europe, Hitachi a réussi une percée significative, avec d’importantes commandes au Royaume-Uni dès 2005, conduisant en 2015 à l’ouverture sur place d’une usine de 700 employés et au rachat de deux entreprises italiennes. En 10 ans, grâce à ses efforts à l’export (désormais 80% du chiffre d’affaires ferroviaire), Hitachi a multiplié ses résultats ferroviaires par 5. En complément des industriels, les opérateurs ferroviaires japonais cherchent à exporter leurs services d’exploitation et de maintenance et mutualisent leurs efforts au sein de l’organisation Japan International Consultants for Transportation (JIC) créée en 2011. JR East gère ainsi un réseau britannique, assure la maintenance de trains en Thaïlande et participe au projet de Shinkansen en Inde.

Répartition export/domestique pour les différents types d’équipements (source : JARi 2020)

Sur certains projets à l’étranger comme les métros du Caire, de Doha ou de Dubai, les consortiums japonais font appel à des partenaires français comme Thalès ou Alstom. Au Japon en revanche, le marché domestique reste difficile d’accès aux entreprises étrangères, malgré quelques succès de fabricants européens soutenus par des maisons de commerce japonaises. Ces difficultés s’expliquent en partie par une forte relation entre les fabricants et les opérateurs, les produits étant en général fabriqués sur commande, avec de faibles volumes et des niveaux d’exigence très élevés.  L’accord de partenariat économique entre l’Union européenne et le Japon entré en vigueur en 2019 inclut des dispositions visant à lever certaines barrières dans le secteur ferroviaire (ouverture des marchés publics des villes de plus de 200 000 habitants ; suppression de la « clause de sécurité opérationnelle » qui était utilisée par certaines compagnies japonaises pour écarter les fournisseurs européens).