Construits autour d’un même modèle historiquement tourné vers le développement d’une industrie exportatrice, les deux économies du nord-est asiatique, particulièrement enclines aux dépenses en R&D, sont en recherche constante de nouveaux relais d’innovation afin de répondre aux défis de l’évolution économique, démographique et technologique auxquels elles font face. Si les deux pays sont à la pointe de l’innovation (avec des forces et faiblesses qui leur sont propres), ils visent les mêmes secteurs stratégiques, parmi lesquels l’intelligence artificielle et l’énergie, avec des applications prioritaires dans les transports et la santé.

1. Deux leaders mondiaux et rivaux sur plusieurs technologies industrielles clés.

1.1. Le Japon et la Corée ont en commun une activité de R&D particulièrement dynamique, prise en charge en grande partie par les grands groupes industriels. En termes de dépenses de R&D rapportées au PIB national, le Japon et la Corée étaient, en 2017, respectivement en 5e position (3,2% du PIB) et en 1e position (4,6% du PIB) parmi les membres de l’OCDE. En dépenses totales, le Japon se place en 2e position (155 Mds USD) et la Corée en 4e position (92 Mds USD). Le Japon comme la Corée se distinguent par la part importante de la recherche privée dans les dépenses nationales de R&D (70% au Japon, 76% en Corée) qui sont notamment le fait des grands conglomérats, groupes industriels diversifiés, occupant une position centrale dans les économies nationales. L’innovation est, en effet, au cœur de leur modèle économique, qui repose en grande partie sur des industries exportatrices à forte valeur ajoutée: par leurs biais, les deux pays ont réussi un rattrapage technologique dans la 2nde moitié du XXe siècle, sous l’impulsion d’un Etat très impliqué. L’industrie représentait ainsi encore 29,1% du PIB japonais et 35,8% du PIB coréen en 2017, bien au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE avec 22,3%

1.2. Le Japon et la Corée bénéficient également d’avantages structurels pour le développement des nouvelles technologies du numérique. La Corée et le Japon se caractérisent par leur excellente connectivité mobile, avec un taux de pénétration 4G de 97,5% et 96,3% respectivement (n°1 et n°2 mondiaux) et une vitesse moyenne de téléchargement de 52,4 Mb/s (n°1) et 33,0 Mb/s (n°10) en 2019. En outre, les consommateurs sont très réceptifs aux produits innovants dans les deux pays. Malgré ces atouts et la part importante de richesse nationale consacrée à la R&D, l’investissement dans les technologies dites de rupture telles que l’IA et le traitement des données (Big Data) est faible et l’environnement entrepreneurial est balbutiant comparé à ceux existant en Europe et aux Etats-Unis. En 2018, les investissements en capital-risque au Japon s’élevaient à 1,3 Md USD (+8%) et 2,8 Mds USD en Corée, contre 3,9 Mds USD en France et 130 Mds USD aux Etats-Unis.

1.3. La Corée a historiquement rattrapé le Japon sur certains champs de l'innovation, après avoir adopté le modèle japonais d’innovation industrielle et en ciblant généralement les mêmes secteurs (automobile, naval, puis électroménager, nucléaire, biotechnologie et TIC). Dans certains secteurs, elle l'a même dépassé : ainsi, dans les semi-conducteurs, si le Japon reste la référence mondiale sur une vaste gamme de produits essentiels, la Corée l’a détrôné du rang de 2e acteur mondial derrière les Etats-Unis, grâce à sa position dominante sur le secteur spécifique des puces mémoires DRAM et NAND. Ce dernier représente environ 30% du marché total des semi-conducteurs et les deux groupes coréens Samsung Electronics et SK Hynix disposaient d’une part de marché conjointe de 73% et 50% sur ces deux produits en 2018. C’est également le cas de l’électronique grand public et en particulier des écrans, dont le Japon était l’acteur dominant jusqu’à la fin du XXe siècle mais n’assurait plus que 16% de la production mondiale en 2016. Les deux industriels coréens Samsung Display et LG Display contrôlaient ainsi respectivement 24% et 20% du marché mondial en 2018.

1.4. Le Japon a toutefois gardé sa position de leader technologique mondial dans certains secteurs, en particulier la robotique : il restait en 2017 le premier producteur et exportateur mondial de robots industriels (55% de la production mondiale), même si la Corée possédait en 2017 le plus grand nombre moyen de robots dans l’industrie manufacturière au monde, avec 710 robots pour 10 000 employés. Le Japon conserve également pour le moment une certaine avance vis-à-vis de la Corée sur la recherche à la pointe, y compris dans plusieurs secteurs d’importance stratégique (par exemple, la recherche sur les cellules souche et la fabrication de certains composants de très haute pureté indispensable à la mise en œuvre des derniers progrès de l’électronique). Néanmoins, avec un PIB par habitant de 31 000 USD en 2018 (équivalent à celui de l’Italie), contre 39 000 USD pour le Japon (équivalent à celui de la France), la Corée pourrait voir ses capacités de recherche et d’innovation rejoindre celles du Japon à moyen terme, y compris sur les technologies les plus avancées.

2. Des orientations de l’innovation clairement identifiées pour les années à venir.

2.1. Les gouvernements japonais et coréens cherchent à développer encore leurs efforts de recherche dans des domaines prioritaires. Dans les deux pays, les orientations actuelles portent l’idée d’une innovation non plus exclusivement consacrée au développement industriel, mais également porteuse d’une dimension sociétale et environnementale. En Corée, le président Moon a lancé, dès son élection en 2017, un grand plan pour la 4ème révolution industrielle visant à promouvoir une croissance fondée sur l’innovation. Au Japon, le gouvernement a lancé en 2016 un grand projet Société 5.0, destiné à améliorer la qualité de vie et à résoudre les enjeux contemporains « grâce à l’innovation centrée sur la donnée ».

2.2. Au Japon, la réalisation de la société 5.0 grâce à l’innovation centrée sur la donnée est ainsi identifiée comme le premier pilier budgétaire pour 2019 par le Ministère de l’économie (METI) : 817 Mi USD y sont alloués, dont 210 Mi consacrés au développement et la formation aux technologies d’Intelligence artificielle et 295 Mi pour le soutien aux start-up et au programme J-Startup, lancé en 2018 (inspiré de notre French Tech). La Corée prévoit de son côté d’investir un total de 3,92 Mds USD dans son budget 2020 dans 6 secteurs stratégique: 1,42 Mds dédiés à l’économie de la donnée, la connectivité et l’Intelligence artificielle, et 2,50 Mds aux semi-conducteurs, à la bio-santé et aux véhicules du futur. Les deux gouvernements ont, par ailleurs, défini le développement des technologies hydrogène et le déploiement des infrastructures dédiées comme une priorité stratégique, au Japon depuis 2014 (l’innovation pour la transition énergétique est dotée de 2 Mds USD dans le budget 2019, dont 558 Mi USD pour l’hydrogène), en Corée depuis 2019 (le budget 2019 consacrant 177 Mi USD à la promotion d’une économie de l’hydrogène).

2.3 L'accès à une masse critique de données de qualité est perçue comme un élément déterminant pour développer l'intelligence artificielle, sur la base de plusieurs avantages comparatifs clés: capacité matérielle à transmettre des données en masse (réseaux 5G et fibre optique de haute performance), technologies de stockage, de traitement et de classification (Big Data), de connectivité des objets (IoT), cadre juridique et réglementaire favorisant la constitution de ces grands ensembles de données. Ces secteurs rejoignent les priorités stratégiques établies par les deux gouvernements, qui semblent partager l’idée que leurs industries traditionnelles seront transformées durablement par l’IA au cours des décennies à venir. La Corée a ainsi été le premier pays a lancé son réseau 5G en avril 2019 et à se doter d’un réseau national de télécommunications à basse fréquence (Lora) dédié à l’internet des objets (IOT) en 2016. Le gouvernement coréen vise à présent un total d’investissements publics et privés de 25 Mds USD d’ici 2023 pour développer un écosystème de services et d’industries basés sur la 5G (téléphonie, réalité virtuelle, smart-city, etc..). Le Ministère de l’intérieur et des communications japonais consacrera pour sa part 281 Mi USD à la recherche et au déploiement de la 5G en 2019, espérant lancer son offre pour les JO de 2020. Sur le plan juridique, la Corée a lancé en début d’année un système de « bac à sable réglementaire » pour favoriser le droit à l’expérimentation et a désigné en juillet 7 zones spéciales non réglementées dont l’objectif est de servir de bancs d'essai au développement de ces nouvelles industries.

2.4. Les principaux domaines d’application sont la numérisation industrielle, la santé, les transports et la Fintech.

- La numérisation et l’automatisation des moyens de production sont des enjeux majeurs, dans deux pays où la population active est destinée à diminuer durablement. 820 Mi USD ont ainsi été affectés au plan quinquennal Japan’s New Robot Strategy pour la période 2015-2020 et 176 Mi sur 2019 à la stratégie Connected Industries, qui vise à promouvoir la mise en commun des données industrielles et la connectivité des outils de production. Le gouvernement coréen a, de son côté, affirmé sa volonté de faire de la Corée le 4ème acteur mondial de la robotique d’ici à 2023 et d’étendre l’utilisation des robots en dehors des seules industries électroniques et automobiles. Un objectif de 30 000 smart factories d’ici à 2022 a également été fixé par le président Moon.

- Les applications des nouvelles technologies au secteur de la santé, encouragées par les deux gouvernements, incluent l’automatisation et la mise en œuvre à distance de certains diagnostics et procédures médicales, le développement de robots « émotionnels », destinés à tenir compagnie aux personnes âgées et isolées, domaine dans lequel le Japon possède encore une avance importante sur la Corée, ou encore l’amélioration de la recherche pharmaceutique (gourmande en données) grâce au Big Data et à l’IA. Le gouvernement coréen a notamment annoncé en mai 2019 la mise en place de 5 plateformes big data qui serviront d’infrastructure pour la recherche de nouvelles technologies médicales et de nouveaux médicaments.

- Dans le secteur automobile, l’accent est mis sur le développement des véhicules bas-carbone et autonomes. Le Japon souhaite porter à plus de la moitié des ventes en 2030 les véhicules de nouvelle-génération (i.e véhicules hybrides, déjà 31% des véhicules vendus en 2017, véhicules électriques, à hydrogène, véhicules « diesel propre »). La Corée est plus particulièrement impliquée sur le véhicule électrique, avec un objectif de 430 000 véhicules en circulation et 10 000 bornes de recharge en 2022, bien que disposant aussi d’un plan hydrogène visant à produire 6,2 Mi de véhicules et créer 1200 stations de recharges d’ici 2040. Au Japon, les technologies de conduite autonome font par ailleurs l’objet d’un programme d’innovation stratégique inter-ministériel (26 Mi USD pour 2018) destiné à faciliter la coopération entre les acteurs publics, privés et académiques. Le gouvernement japonais prévoit une mise en circulation en 2020 des véhicules de catégorie 4 (entièrement autonomes). En Corée, le lancement de la 5G a donné un coup d’accélérateur au soutien gouvernemental à la recherche sur la conduite autonome, avec une augmentation de 40% du budget consacré aux « véhicules du futur » (conduite autonome, technologies hydrogènes et électriques) en 2020.

- S’agissant de la Fintech, le Japon et la Corée montrent un vif intérêt pour les technologies blockchain. Un fonds d’investissement de 85 Mi USD consacré spécifiquement aux start-up de blockchain a notamment été annoncé par la mairie de Séoul fin 2018 et le Japon cherche à se positionner comme un modèle pour l’élaboration de standards internationaux, avec une importante réforme législative adoptée en mars 2019 encadrant plus strictement les transactions en crypto-monnaies. Les solutions de paiement dématérialisé sont également soutenues par les deux pays : leur emploi est déjà bien installé en Corée du Sud et connait une progression rapide au Japon.