Le déficit d’infrastructures justifierait une politique d’investissement public ambitieuse

Selon une enquête menée à la fin des années 2000 auprès de responsables d’entreprises[1], la faible productivité des firmes camerounaises s’expliquait à plus de 40 % par le sous-développement des infrastructures publiques. Ce constat était corroboré par les grands classements internationaux, tels que le Global Competitiveness Index (GCI)[2] qui plaçait le Cameroun au 121ème rang mondial (sur 139) en matière de qualité des infrastructures en 2010, loin derrière des pays comme la Côte d’Ivoire ou le Sénégal qui se classaient respectivement aux 80ème et 81ème rangs.

Le Document de stratégie pour la croissance et l’emploi (DSCE), adopté en 2010, avait pour ambition de décliner une stratégie devant permettre au Cameroun de rattraper son retard en matière d’infrastructures. Plusieurs domaines avaient été identifiés : (i) le développement d’infrastructures énergétiques en misant plus particulièrement sur le potentiel hydroélectrique du pays, (ii) la réhabilitation et le développement du réseau routier avec notamment la construction de plusieurs autoroutes, (iii) l’amélioration des infrastructures de transport (aéroports, ports, chemins de fer), (iv) le déploiement de réseaux téléphoniques et internet plus performants, et (v) l’amélioration des infrastructures d’accès à l’eau et à l’assainissement.

Le développement de ces infrastructures paraissait d’autant plus important que le Cameroun représente une plaque tournante du commerce sous-régional. Le port de Douala constitue en effet l’accès à la mer le plus direct pour les pays enclavés de la CEMAC (Tchad et Centrafrique) ainsi qu’une voie importante pour le commerce du Congo et du Gabon.

Un effort conséquent a ainsi été consenti en faveur de l’investissement public afin de combler ce retard : dès 2011, les dépenses en capital sont passées de 456 Mds FCFA à 761 Mds FCFA (+67 % sur un an). En 2017, elles atteignaient 1 751 Mds FCFA (cf. graphique 1) et représentaient alors plus de 40 % des dépenses publiques camerounaises (cf. graphique 2). Cette augmentation a été rendue possible par un recours croissant aux financements extérieurs (163 Mds FCFA en 2011 contre 773 Mds FCFA en 2017). Outre ses partenaires au développement traditionnels (Banque mondiale, BAD, France, etc.), le Cameroun a largement fait appel à la Chine au point que le pays représente aujourd’hui 30 % de la dette extérieure camerounaise. Un Eurobond d’un montant de 750 M USD a par ailleurs été émis en 2015 afin de financer le Plan d’urgence triennal (PLANUT), qui visait à accélérer le programme d’investissement public.

Cette politique d’investissement s’est donc faite au prix d’une forte augmentation de l’endettement. Alors que les allègements de dette – dont le pays avait bénéficié dans le cadre de l’initiative PPTE – avaient permis de ramener le taux d’endettement public à environ 11 % du PIB en 2008, le Cameroun a connu une phase de réendettement rapide à partir de la fin des années 2000 (cf. graphique 3). Selon les estimations du FMI, la dette publique (hors entreprises publiques) devrait dépasser les 7 000 Mds FCFA en 2018, soit 34,3 % du PIB.

Le FMI souligne dans son dernier rapport de revue du programme que « la croissance de l’investissement a été largement financée grâce à des ressources non-concessionnelles ». Ces conditions d’emprunt peu favorables[3] ainsi que l’expiration de la période de grâce sur de nombreux prêts (alors que certaines des infrastructures correspondantes ne sont toujours pas opérationnelles) sont en grande partie à l’origine des difficultés financières que connaît actuellement l’État camerounais, ce qui a conduit le FMI à placer dès 2015 le Cameroun dans la catégorie des pays à risque élevé de surendettement.

 

Un bilan de la politique d’investissements publics en demi-teinte

Huit ans après le lancement du DSCE, la politique d’investissement menée par le Gouvernement affiche des résultats en demi-teinte. La plupart des objectifs visés n’ont pas été atteint, faute de moyens ou en raison de dysfonctionnements dans la programmation des investissements.

Du côté des réussites, on peut citer la construction du port de Kribi qui, malgré de nombreux retards, a finalement accueilli son premier navire en 2018, le développement des infrastructures de télécommunication (téléphonie mobile, internet haut débit) et les réalisations dans le secteur de l’énergie. Dans ce dernier domaine, la capacité de production électrique est passée de 950 MW en 2010 à 1 385 MW en 2015, dont plus de la moitié d’origine hydroélectrique. L’augmentation des capacités devrait se poursuivre avec l’entrée en service des barrages de Memve’ele (211 MW), de Mekin (15 MW), du barrage de retenue de Lom Pangar qui régulera le débit du fleuve Sanaga et permettra un fonctionnement plus efficace des centrales situées en aval, ainsi que son usine de pied (30 MW). L’objectif visé par le DSCE de 3 000 MW installés à l’horizon 2020 ne sera pas atteint en raison de retards importants sur des projets structurants tels que le barrage de Nachtigal (420 MW), mais si il se confirme que la construction débutera réellement début 2019, une nouvelle étape aura été franchie.

Plusieurs autres secteurs affichent en revanche des bilans plus mitigés. Le développement du réseau routier a par exemple été fortement ralenti par les retards pris par les travaux sur de nombreux chantiers, notamment sur les projets autoroutiers. Le port de Kribi a ainsi dû ouvrir au mois de mars 2018 sans que l’autoroute le reliant à la ville (tronçon Kribi-Lolabé) ne soit terminée. D’importants retards sont également constatés sur les chantiers des autoroutes Douala-Yaoundé et Yaoundé-Nsimalen (emprises non libérées, surcoûts, etc.). Les difficultés financières actuelles de l’État camerounais ne devraient pas permettre d’accélérer le rythme et l’objectif de 480 km de 2x2 voies à l’horizon 2020 ne sera donc très probablement pas atteint, tout comme celui de porter le linéaire routier bitumé de 5 250 km en 2010 à 8 500 km (6 760 km en 2016).

De même, dans le secteur de l’eau et de l’assainissement, le rythme actuel de mise en œuvre des projets ne devrait pas être suffisant pour atteindre l’objectif d’un taux d’accès à l’eau potable de 75 % en 2020. Ce taux n’a en effet progressé que de trois points en cinq ans, passant de 62,1 % en 2010 à 65,3 % en 2015.

Dans le secteur ferroviaire, le Plan directeur national des chemins de fer adopté en 2011 dans la continuité du DSCE prévoyait la rénovation de la ligne Douala-Ngaoundéré ainsi que la construction de plusieurs milliers de kilomètres de voies d’ici 2020 pour un coût total estimé à 15 000 Mds FCFA, soit 120 % du PIB de l’époque. Ce plan n’a jamais été suivi d’effet.

Enfin, les investissements réalisés en vue de l’organisation de la Coupe d’Afrique des nations 2019 pèsent lourdement sur le budget de l’État et ne devraient avoir qu’un impact limité sur la croissance et la compétitivité de l’économie camerounaise. Le montant de ces investissements est difficile à chiffrer mais le coût de la construction ou de la rénovation des stades devrait à lui seul représenter près de 400 Mds FCFA. A titre de comparaison, le stade Anyama-Ebimpé, actuellement en construction en Côte d’Ivoire en prévision de la CAN 2021, devrait coûter 67 Mds FCFA, soit un montant 2,5 fois inférieur à celui d’Olembé (163 Mds FCFA) alors que les deux enceintes offriront la même capacité d’accueil.

Le retard du Cameroun expliqué par la faible qualité des dépenses d’investissement

Au total, après quasiment une décennie d’investissements, le Cameroun n’a pas rattrapé son retard. Entre 2010 et 2017, il a même reculé de la 121ème à la 125ème place mondiale au classement GCI. L’effet de ces investissements sur la croissance est resté faible en dehors de l’impact transitoire induit par la réalisation de ces infrastructures. Selon une étude récente du FMI, le multiplicateur des dépenses d’investissement au Cameroun est quasiment nul, ce qui signifie que pour 1 Md FCFA investi par l’État, l’activité générée par l’économie dans son ensemble n’est que de 1,1 Md FCFA.

Une des explications à ces résultats décevants est donnée par une étude de la Banque mondiale portant sur la qualité de la dépense publique au Cameroun. Celle-ci pointe l’inefficacité du système de gestion des investissements publics qui se traduit par un coût extrêmement élevé ainsi que des retards importants dans la livraison des grands projets structurants. En effet, une revue ex-post de cinq projets a démontré que les délais d’exécution étaient passés de 3 à 4 ans initialement prévus, à 7 à 10 ans, et que leurs coûts étaient de 2 à 6 fois supérieurs en comparaison de projets similaires menés dans des pays de niveau de développement comparable.

En outre, la Banque mondiale estime que près de la moitié du budget d’investissement ne se rapporterait en fait pas à des dépenses en capital : plus d’un quart serait constitué de dépenses de consommation et plus d’un cinquième engloberait des dépenses n’entrant pas dans la définition stricte de ce qu’est un investissement.



[1] Escribano A. et al., 2010, « Assessing the Impact of Infrastructure Quality on Firm Productivity in Africa. » Policy Research Working Paper 5191, World Bank, Washington, DC.

[2] Classement établi chaque année par le Forum économique mondial.

[3] A titre d’exemple, le taux d’intérêt de l’Eurobond est de 10 %.