Le ministre conseiller pour les affaires économiques et chef du Service économique régional pour les pays nordiques, Éric Duédal, signe une tribune dans la rubrique idées du Cercle des Échos.

"Comme le montre l'exemple de l’aciérie de Saint-Saulve (Nord), deux modèles d’État-providence s'opposent quand une usine risque de fermer. Celui de la France, qui vise à protéger l'emploi. Et celui des pays nordiques dont l'ambition est de protéger le salarié.

Que fait l’État ? Dans les Hauts-de-France où deux candidats sont sur les rangs pour reprendre l’aciérie Ascoval de Saint-Saulve (Nord) menacée de fermeture avec 281 emplois à la clé, la question est une nouvelle fois d’actualité. « Que fait Bercy ?», entonnent en choeur les acteurs locaux. Il finit, par la voix de Bruno Le Maire, par soutenir le projet présenté par Altifort et qui faisait l'objet de l'appui des partenaires régionaux.

La question fondamentale du rôle de l’État est ici une nouvelle fois soulevée. Mais au-delà même de cette interrogation il en est une autre, tout aussi essentielle et beaucoup plus pragmatique : faut-il ou non sauver les entreprises en difficulté ?

Sur la même ligne

Ce débat n’aurait clairement pas eu lieu en Suède, pas plus que dans les autres pays de la zone nordique qui appliquent tous le même crédo : «ce sont les individus qu’il faut protéger et pas nécessairement leurs emplois». C’est une ambition commune à l’ensemble des gouvernements qui se sont succédé depuis le tournant du siècle mais plus important, c’est dans les pays nordiques une conception partagée par l’ensemble des partenaires sociaux.

À titre d’exemple, l’annonce de plans sociaux en Suède entraîne rarement des réactions fortes dans les médias ou sur le front syndical, même lorsque ceux-ci sont sévères comme la perte de plus de 14.000 emplois dans le dernier programme de restructuration du géant suédois Ericsson. 

Une raison à cela : les partenaires sociaux sont collectivement d’accord sur la nécessaire adaptation de l’outil de travail. Tous estiment aujourd’hui que, dans un monde global, il ne sert à rien de mettre sous perfusion, dans l’espoir d’en prolonger la vie, une entreprise condamnée à disparaître par obsolescence ou par manque de compétitivité. Les syndicats suédois ont même, de nombreuses fois, facilité la fermeture de sites industriels dépassés par la mondialisation, avec l’appui des pouvoirs publics et des employeurs.

Principe de réalité

Les partenaires sociaux sont responsabilisés sur les enjeux économiques. C’est ainsi que lorsque la Chine affiche dans son plan Made in China 2025 l’ambition projetée de prendre entre 45 et 60 % du marché mondial de l’ensemble des secteurs industriels stratégiques et d’assurer sa mainmise sur au moins 80 % de son marché intérieur, ils ont conscience que ce sont leurs emplois et entreprises qui sont menacés demain. Mais demain c’est aujourd’hui et pour survivre il faut, coûte que coûte, préserver sur le sol national la valeur ajoutée, l’intelligence, la recherche, les sièges sociaux.

L’autre solution, celle de Trump, qui est de s’engager dans une guerre commerciale avec l’Empire du Milieu n’est pas réaliste, ils le savent bien, et même si Huawei ou ZTE sont aujourd’hui sur la sellette et pourraient se voir interdire de participer aux appels d’offres sur la 5G par Stockholm, le constat est que chacun, en Europe, défend ce qui lui reste d’industrie au détriment d’une approche offensive en matière de politique commerciale communautaire.

Syndicats et employeurs nordiques, tous pays confondus, sont sur la même ligne, même s’il existe çà et là des différences notables. Et c’est là que le pragmatisme nordique se traduit en principe de réalité en accordant une place prioritaire à la compétitivité, à l’innovation et à la formation professionnelle.

Un budget dédié à la R & D élevé

Pour les partenaires sociaux, en Scandinavie et en Finlande, l’innovation est la préoccupation essentielle avec, pour reprendre l’exemple suédois un budget dédié à la R & D élevé (plus de 3 % du PIB en moyenne depuis l’an 2000, soit un des niveaux les plus élevés de l’UE/OCDE). Il en va de même pour la formation professionnelle, pierre angulaire du système de reconversion des employés, notamment ceux en situation précaire.

C’est le fruit d’un accord pragmatique entre syndicats et employeurs. Mieux formés par les programmes de reconversion, notamment mais aussi par la formation continue, les employés s’inscrivent dans des schémas de production à plus haute valeur ajoutée que par le passé. Cela explique aussi l’absence de débat lors des délocalisations de la production industrielle. L’État n’intervient pas pour freiner la disparition d’entreprises non rentables ou de secteurs peu rentables.

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Il s’agit pour tous de se placer en amont des dynamiques actuelles de la mondialisation dans l’industrie et les services et d’intégrer, sur le terrain, le rôle croissant des services dans la production industrielle et dans les échanges internationaux. La clé de la compétitivité industrielle, à l’export tout particulièrement, réside dans une plus forte ouverture de l’industrie aux chaînes de valeur internationales, alliée à sa montée en gamme.

On constate ainsi que la forte ouverture de l’économie suédoise aux échanges est largement corrélée à sa performance économique ces dernières années. Les entreprises insérées dans les chaînes de valeur internationales sont plus productives, plus innovantes et créent plus d’emplois qualifiés."

Éric Duédal est ministre conseiller pour les affaires économiques auprès l’Ambassade de France en Suède.

 

Illustration usine d'acier

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