Rendement énergétique amélioré, réduction de la pollution, libération d'espaces et recours facilité aux énergies renouvelables : les avantages des réseaux de chaleur et de froid sur les systèmes individuels paraissent particulièrement adaptés à la situation du Japon – villes organisées autour de pôles très concentrés et à forts besoins en climatisation, difficultés à développer massivement l’électricité renouvelable. Pourtant, les politiques publiques n’encouragent pas leur développement.

 

France - JaponRendement énergétique amélioré, réduction de la pollution atmosphérique et sonore, libération des espaces autrement occupés par les tours de refroidissement ou encore recours facilité aux énergies renouvelables : les avantages des réseaux de chaleur et de froid sur les systèmes individuels paraissent particulièrement adaptés à la situation du Japon – villes organisées autour de pôles urbains très concentrés et faisant face à une forte demande en climatisation, difficultés à développer massivement l’électricité renouvelable. Pourtant, les politiques publiques japonaises n’encouragent pas le développement de ces réseaux. Dans ce contexte, la présente note propose un état des lieux des réseaux de chaleur et de froid au Japon, une analyse de leur actuelle trajectoire de développement, et quelques points de comparaison avec la France.

1.      Le chauffage et le froid urbains au Japon : 30 ans de croissance, 10 ans de déclin

Le premier réseau de chaleur et de froid japonais a été mis en place en 1970 sur le site de l’exposition universelle d’Osaka. Ce dispositif était vu à l’époque comme un moyen de contribuer à la préservation de la qualité de l’air, dans un contexte de forte croissance économique du pays. Les gouvernements locaux ont alors accéléré l’adoption de ces réseaux, en particulier dans les métropoles comme Tokyo.

En 1975, le Japon compte 21 réseaux ; ils sont désormais considérés comme infrastructures de service public, nécessitant une licence du gouvernement mais bénéficiant en retour d’avantages fiscaux. Des projets de développement sont prévus dans de nombreuses villes, mais les crises pétrolières entraînent un ralentissement de la croissance du marché du chauffage et du froid urbains – alors alimentés par les énergies fossiles. Ainsi, seuls 15 nouveaux réseaux apparaissent entre 1975 et 1980.

Les années 1980 sont économiquement plus fastes pour le Japon, ce qui a des répercussions positives sur le développement des réseaux. En 1986, 52 réseaux de chaleur et de froid sont en fonctionnement. En 2004, ils sont 154, exploités par 90 opérateurs. Mais depuis une dizaine d’années, on assiste à un leur déclin.

Évolution de l'énergie livrée entre 1972 et 2016 par les réseaux japonais

En 2018, le Japon ne compte ainsi plus que 134 réseaux de chaleur et de froid, gérés par 76 compagnies et concentrés dans les zones urbaines les plus denses, comme Tokyo ou Osaka. Les opérateurs sont majoritairement des filiales des compagnies régionales d’électricité et de gaz, parfois de compagnies ferroviaires ou de sociétés d’aménagement. Au total, ces réseaux livrent 6 TWh (soit la production équivalente d’environ un réacteur nucléaire) pour une surface totale chauffée/climatisée de plus de 38 millions de m². 80% de l’énergie livrée sert à la climatisation des bâtiments. A titre de comparaison, les 669 réseaux français ont livré 25 TWh en 2017 (4 fois plus que les réseaux japonais), et 0,2% de ces livraisons est utilisé pour la climatisation.

Alors qu’en France, les réseaux alimentent majoritairement le secteur résidentiel (57% des livraisons, contre 35% pour le tertiaire-commercial), au Japon les clients sont majoritairement d’imposantes structures commerciales ou de services (hôpitaux, bases militaires, campus, centres commerciaux ou administratifs, etc.).

2.      Une contribution très faible au système énergétique national et un mix peu renouvelable

Les réseaux de chaleur et de froid jouent un rôle mineur dans la distribution d’énergie au Japon. La part de demande en chauffage satisfaite par réseaux de chaleur en 2017 au Japon est de 0,4% seulement (un taux parmi les plus faibles au monde parmi les pays industrialisés, 15 fois plus faible qu’en France), et de 4% pour la climatisation. Le gouvernement japonais n’affiche pas d’objectif de développement de la part des réseaux de chaleur ou de froid dans le système énergétique national. En France, la cible est de 20% en 2030.

Part de la demande en chauffage et en climatisation satisfaite par réseaux de chaleur et de froid dans différents pays (dont le Japon), en 2017 (IRENA)

En 2017, les réseaux japonais sont alimentés à 65,2 % au gaz naturel, à 18,1 % par des énergies renouvelables (combustion de déchets, biomasse, énergie thermique des rivières, géothermie, énergie solaire, etc.), à 15,9 % par l’électricité et à 0,9 % par des ressources pétrolières. Alors que la part des énergies renouvelables a augmenté rapidement dans le mix électrique japonais depuis 2011 et les efforts post-Fukushima, sous l’effet de politiques tarifaires très incitatives, elle se développe plus lentement dans les réseaux de chaleur et de froid. En France, les énergies fossiles représentent également une part importante de l’alimentation des réseaux de chaleur et de froid (49,4%), mais les énergies renouvelables ou de récupération sont désormais dominantes (50,6%) et en croissance depuis près de dix ans, sous l’impulsion du gouvernement et des collectivités.

3.      Un potentiel de développement peu étudié par les autorités japonaises et un développement contraint par un cadre peu encourageant

Dans le cadre de la politique nationale de réduction des émissions de CO2 à l’horizon 2050, le Ministère de l’environnement japonais a fixé comme objectif, pour 2020, de réduire d’au moins 20% les émissions de tous les réseaux de chaleur et de froid, et de 40% pour les réseaux qui alimentent les bâtiments commerciaux. Pour les opérateurs, ces objectifs ne sont pas atteignables dans le cadre actuel. Mais selon l’IRENA, les réseaux japonais ont le potentiel pour atteindre, en 2030, 30% de production à partir d’énergies renouvelables. Les bioénergies devraient constituer la ressource principale pour le chauffage, tandis que le froid capté dans les lacs, rivières et mers serait la ressource principale en refroidissement.

En dehors de ces évaluations par l’IRENA, la question du potentiel de développement des réseaux au Japon n’est pas documentée ; elle n’apparait pas dans les publications relatives à la stratégie énergétique nationale publiée par le METI, dont les derniers signes de soutien visibles datent de 2003, sans réel suivi perceptible depuis. De façon générale, le vecteur thermique est absent des principales réflexions actuelles en matière d’énergie au Japon, concentrées sur le vecteur électrique, et en cours de basculement vers le vecteur hydrogène.

Plusieurs facteurs limitent aujourd’hui le développement des réseaux de chaleur et de froid japonais et donc leur capacité à mobiliser les gisements renouvelables et de récupération disponibles : déclin du développement urbain à grande échelle dans le pays en raison notamment des problèmes démographiques ; absence de mécanisme permettant d’obliger un propriétaire de bâtiment à être raccordé au réseau présent dans son quartier ; surdimensionnement des installations obligatoire pour accéder aux subventions ; difficultés pour les exploitants à obtenir les autorisations de voirie dans certaines villes...

Sur le plan fiscal, une nouvelle difficulté est apparue en 2017 : les politiques de libéralisation des marchés de l’énergie menées par le gouvernement, principalement pour introduire de la concurrence sur le gaz et l’électricité, ont eu pour effet collatéral la perte des avantages de « service public » des réseaux de chaleur, et la disparition des avantages fiscaux dont ils bénéficiaient à ce titre depuis la loi de 1972.

Plus généralement, le fait que le débat public en matière d’énergie soit très souvent ramené à la seule question électrique, réduit la capacité du Japon (gouvernement, société civile, entreprises) à intégrer, dans sa politique de transition énergétique, des solutions basées sur un vecteur non électrique – telles que les systèmes de chauffage urbain. La question de la consommation d’énergie par les bâtiments anciens, est également un point peu abordé dans les politiques publiques ; en France, un des atouts des réseaux de chaleur est justement leur capacité à apporter massivement des énergies renouvelables dans un bâti ancien difficile à rénover.

4.      Les collectivités japonaises, amorce d’une nouvelle ère de développement ?

Sur de nombreux sujets liés à l’environnement, certaines collectivités japonaises font preuve d’un dynamisme et d’ambitions supérieurs à ce que porte le gouvernement national. Ce phénomène s’observe également sur le développement de la chaleur et du froid urbain – dans des proportions qui restent toutefois limitées.

A titre d’exemple, la ville de Yokohama, une des plus engagées en matière d’énergie et climat avec l’objectif affiché d’atteindre la neutralité carbone en 2050, met en avant sur son site internet dédié au quartier Minato Mirai (équipé depuis 1986 d’un réseau de chaleur et de froid qui reste à ce jour le plus important du pays) les avantages de ces systèmes dans le contexte japonais.

Quelques collectivités, notamment la Métropole de Tokyo, ont introduit une obligation d’étude de faisabilité de la réalisation d’un réseau de chaleur ou de froid sur les nouvelles opérations d’aménagement – mécanisme qui n’est pas sans rappeler ce qui a été introduit en France en 2011 dans le code de l’urbanisme au plan national. A Tokyo, la collectivité impose également, lorsqu’un nouveau bâtiment de taille importante est construit dans un périmètre desservi par un réseau de chaleur ou de froid, que le constructeur réalise une étude de faisabilité du raccordement du bâtiment à ce réseau. La ville encourage par ailleurs les exploitants de réseaux de chaleur et de froid à utiliser davantage d’énergie de récupération issue de l’incinération des déchets par les installations municipales, à travers la mise à disposition de cette énergie à des tarifs attractifs.

Un des réseaux les plus récents, celui du quartier Tokyo Skytree Town (2012), mobilise pour la première fois au Japon l’énergie géothermique (jusqu’alors exploitée uniquement pour produire de l’électricité), avec toutefois une contribution au mix qui reste minoritaire.

Dans les régions plus rurales, les collectivités font preuve d’un intérêt et d’une volonté croissante de porter des projets d’énergie renouvelable, majoritairement pour l’électricité mais également parfois pour la chaleur, en particulier lorsqu’une ressource locale comme le bois-énergie est identifiée. La Préfecture de Tokushima par exemple cherche à développer des projets locaux éoliens, solaires, mais aussi biomasse – soulignant le retard du Japon en matière de politique sur la production de chaleur renouvelable.

 

Pour en savoir plus....

L'étude téléchargeable ci-dessous propose un état des lieux des réseaux de chaleur et de froid au Japon, couplée à une analyse de leur actuelle trajectoire de développement, ainsi que quelques points de comparaison avec la France.

Elle s'appuie sur l’analyse de documents officiels et non officiels disponibles sur internet, concernant les réseaux de chaleur et de froid au Japon et en France. Cette analyse documentaire a été complétée par un entretien avec l’association japonaise du chauffage urbain.

Résumé

Rendement énergétique amélioré, réduction de la pollution atmosphérique et sonore, libération des espaces autrement occupés par les tours de refroidissement ou encore recours facilité aux énergies renouvelables : les avantages des réseaux de chaleur et de froid sur les systèmes individuels sont indéniables, et ils font assurément partie intégrante des solutions pour la transition énergétique.

La morphologie des villes nippones – organisées autour de pôles urbains très concentrés et faisant face à une forte demande en climatisation – fait du Japon un territoire a priori propice à leur déploiement. Des années 1970 aux années 2000, les réseaux de chaleur et de froid – utilisés essentiellement pour la climatisation des bâtiments, à la différence de la France – se sont multipliés à travers le Japon ; on en comptait ainsi plus de 150 en 2004. Depuis lors, leur nombre a pourtant eu tendance à diminuer : en 2018, on n’en comptait plus que 134, gérés par 76 opérateurs et concentrés notamment dans la région du Kanto.

Comparativement à d’autres pays développés, notamment la France, les parts de demande nationale en chauffage et en climatisation satisfaites au Japon par ce type de réseaux sont aujourd’hui faibles  – respectivement de 0,4% et de 4%  – tout comme l’est celle de l’utilisation des énergies renouvelables par ces mêmes réseaux.

De fait, malgré les nombreux atouts du chauffage et du froid urbain, les politiques publiques japonaises n’encouragent pas suffisamment le développement de ces réseaux : réglementation contraignante, avantage fiscal récemment supprimé, manque d’incitation et de valorisation en faveur des opérateurs, etc. Si certaines collectivités japonaises font preuve d’initiative pour encourager le développement du chauffage et du froid urbain sur leur territoire, le soutien qu’elle pourrait recevoir du gouvernement reste toutefois limité.

Dans un contexte de développement encore difficile de la production électrique renouvelable sur le sol japonais, une politique plus active en matière de renouvelables thermiques pourrait pourtant contribuer à l’atteinte des objectifs nationaux d’indépendance énergétique et de lutte contre le changement climatique.