Durant la première partie du mandat du Président Macri, la relance des investissements dans les infrastructures reposait essentiellement sur le budget de l’Etat, en ayant recours aux financements des banques de développement. Avec la loi sur les PPP promulguée en novembre 2016, le gouvernement argentin souhaite accélérer la modernisation des infrastructures du pays en faisant appel aux capitaux privés. Un flux de 60 projets, qui restent encore dans une large mesure à définir, est ainsi évoqué pour un investissement estimé à 26 Mds USD d’ici 2022. La publication des appels d’offres pour les six premiers corridors autoroutiers le 26 janvier constitue un premier test pour l’application de cette loi. Si l’expérience s’avère concluante, le ministère des Transports devrait lancer neuf autres projets dans le courant de l’année.

1. Lancés dans les années 90, le régime de concessions routières argentin a vu progressivement un transfert des risques vers l’Etat argentin.

Sur les 600 000 km de routes et chemins que compte l’Argentine, environ 40 000 km relèvent de l’Etat fédéral. Le transfert de l’exploitation routière vers un acteur privé n’est pas une pratique nouvelle pour le pays, puisque 25%[1] des routes nationales étaient jusqu’alors placés sous un régime dit de « concession ». Si au début des années 90, ce régime contractuel s’apparentait à la concession en droit français[2], les crises successives et les gels des tarifs de péage ont largement modifié la nature du contrat. Actuellement, ce mode de gestion se rapproche de l’affermage. Le niveau des péages vise uniquement à couvrir partiellement les frais de maintenance. Le Système viaire intégré (SISVIAL), créé en 1932 pour développer le réseau national routier, est abondé par les revenus des péages et par la taxe sur le gazole et le gaz liquéfié destinés à la propulsion des véhicules[3]. Il assure ensuite le paiement des exploitants. Ce système exonère ainsi les entreprises gestionnaires des investissements lourds et des risques d’exploitation.

2. Le schéma en PPP adopté vise à limiter les risques financiers pour les entreprises.

Afin de relancer les investissements dans le secteur routier, le gouvernement a refondu l’ensemble du système en profitant de l’arrivée à échéance des « concessions » actuelles pour les transformer en contrats PPP. Pour ces nouveaux contrats, l’entreprise ou le consortium sera responsable de l’investissement initial et de l’exploitation du réseau concédé durant 15 ans, et sera rémunéré par une fiducie à intervalle régulier, via l’émission d’obligations (voir paragraphe 3). Afin d’encourager l’entrée sur le marché d’investisseurs et limiter les risques pesant sur le secteur privé, le paiement des travaux a été scindé de celui de l’exploitation et de la maintenance. Le système vise ainsi à éliminer les risques de non-remboursement des investissements initiaux en isolant les risques d’exploitation[4].

3. La rémunération des entreprises contractantes s’effectuera au travers d’émissions de titres de paiement.

(i) Les « titres de paiement des investissements » (TPI)[5] visent à rémunérer la réalisation des travaux. Ils pourront être échangés sur les marchés financiers et seront émis trimestriellement en fonction de l’avancée des travaux. Ils donnent lieu à un paiement échelonné sur 20 semestres en dollars américains (les 15 mai et 15 novembre) avec une période de grâce pouvant atteindre 2 ans.

(ii) Les « titres de paiement pour disponibilité » (TPD) rémunèrent l’exploitation et la maintenance. Ils sont également transférables et leur paiement s’effectue de manière mensuelle en pesos. Pour les projets dont les recettes de péage permettent une couverture totale des coûts d’exploitation et de maintenance, aucun TPD ne sera émis, et inversement, une redevance, dite « contribution de trafic », pourra être versée par l’exploitant à la fiducie du PPP.

4. La fiducie du PPP, abondée essentiellement par le SISVIAL constitue la pierre angulaire de ces contrats routiers.

Une fiducie unique pour les PPP routiers, créée par l’Etat argentin (le constituant), assurera les émissions et les paiements des TPI et TPD de l’ensemble des entreprises contractantes (les bénéficiaires). Gérée par la Banque d’investissement et du commerce extérieure –BICE– (le fiduciaire), elle sera alimentée par :

  1. la taxe sur le gazole et le gaz liquéfié destinés à la propulsion des véhicules au travers du SISVIAL ;
  2. les recettes des exploitants dont les estimations des revenus des péages sont supérieurs aux coûts ; et
  3. le budget de l’Etat si la situation le requiert.

Afin d’apporter des garanties supplémentaires au système, un compte de réserve sera créé pour chaque projet au sein de la fiducie du PPP. Ce compte de réserve devra contenir au minimum au 31 mars de chaque année, le montant nécessaire en dollars américains pour le paiement des TPI pendant 12 mois. Il ne pourra pas servir au paiement des TPD.

5. La première vague d’appel d’offres concerne 3 394 km d’autoroutes découpées en six lots pour une remise des offres le 3 avril.

L’appel d’offres publié le 26 janvier est divisé en six lots, comprenant des axes radiaux Buenos Aires – province et l’autoroute reliant les deuxième et troisième villes du pays Rosario et Cordoba, pour un total de 3 394 km. La sortie sud de la capitale (lot Sur) est le corridor le plus chargé en trafic (234 000 véhicules / jour), suivi par l’axe Buenos Aires – Rosario (56 400 véhicules / jour). Une deuxième vague d’appel d’offres devrait être constituée par des autoroutes situées essentiellement en province (6 lots pour 3 883 km) et la troisième vague concernera des projets plus complexes (contournement sud de Buenos Aires, ponts Paraná-Santa Fe et Chaco Corrientes). Les dépenses d’investissement devraient représenter 6 Mds USD pour les six premiers projets (12,5 Mds USD pour l’ensemble des 15 projets). Du côté des dépenses d’exploitation, elles devraient représenter 2 Mds USD (4,1 Mds USD pour l’ensemble des projets).

Commentaires :

Le lancement des projets routiers constitue un premier cas d’application de la loi PPP promulguée en novembre 2016. En scindant le paiement de l’investissement d’une part, de l’opération et de la maintenance d’autre part, le schéma adopté vise à prémunir les entreprises des risques de non-paiement et des modifications contractuelles qui ont fortement entaché la confiance des investisseurs étrangers suite à la crise de 2001. L’affectation de la taxe sur le gazole et le gaz liquéfié destinés à la propulsion des véhicules constitue une garantie supplémentaire. D’autres projets en PPP pourraient être lancés dans le courant de l’année dans les domaines de l’énergie, du transport ferroviaire, de l’eau, des logements, des hôpitaux et des prisons. Cependant, pour de nombreux secteurs, les structurations technique et financière sont beaucoup moins avancées.

 

Annexe : carte des autoroutes faisant l’objet des appels d’offres en PPP

Phase 1 : lots A, B, C, E, F, Sur (appel d’offres en cours)

Phase 2 : lots D, G, H, I, BB, Cuyo

Phase 3 : autoroute urbaine Parque, ponts Paraná-Santa Fe et Chaco Corrientes

 

Carte des autoroutes



[1] Le restant des routes nationales est géré sous diverses modalités :

(i) 37,5% des routes nationales sont gérés directement par les services de l’Etat fédéral.

(ii) 30% font l’objet de « contrats de récupération et de maintenance » (CREMA) : d’une durée de 5 ou 6 ans, ces contrats consistent en un marché de travaux et de maintenance visant à améliorer le réseau routier.

(iii) 7,5% font l’objet de contrats de « transfert de fonctions opératives » (TFO), qui consiste à transférer l’exploitation et la maintenance aux provinces ou à d’autres organismes publics.

[2] L’autorité contractante charge le concessionnaire, pour une période déterminée, d'exécuter un ouvrage, ou de réaliser des investissements relatifs à un tel ouvrage et de l’exploiter. La contrepartie pour le concessionnaire est soit uniquement le droit d’exploiter les ouvrages soit ce droit accompagné d’un paiement. Ce droit d’exploiter implique le transfert au concessionnaire de l’essentiel du risque opérationnel.

[3] Le SISVIAL a été abondé d’environ 720 M€ en 2016.

[4] Suite à la crise de 2001, la non-revalorisation des tarifs de services publics a mis à mal de nombreux contrats de concession, déclenchant plusieurs contentieux que le gouvernement actuel tente de solder.

[5] Le versement des TPI dépend de la nature de la « garantie de réception des travaux » (durée de garantie de 4 ans) et de la « garantie de service » (garantie valable jusqu’à la fin du PPP relative à l’exploitation et la maintenance) formulées par l’entreprise contractante.

- S’il s’agit d’une garantie en première demande (l’entreprise contractante ne peut soulever d'exception, d'objection ou de contestation en cas d’activation par le pouvoir adjudicateur), les TPI, qualifiés de « fixes », seront inaltérables.

- Si l’une des garanties consiste en une garantie des cautions, 85% des TPI seront « fixes » et 15% seront « variables ». Des retenues pourront être ainsi imposées à ces TPI variables en cas de défauts de construction, ou de manquements dans le cadre de l’exploitation et de la maintenance.