L'énergie géothermique au Japon : état des lieux et politique de développement
Le Japon s’est fixé un objectif de 22-24% d’énergies renouvelables dans le cadre de son mix électrique à l’horizon 2030. Malgré une ressource géothermique parmi les plus abondantes du monde, le gouvernement japonais ne mise que de façon limitée sur cette énergie pour son objectif. La cible 2030 est en effet de 1% de production géothermique au sein du mix électrique national. La réalisation de cet objectif représente tout de même un triplement de la part actuelle de la géothermie dans l’électricité. Le recours à la géothermie pour la production directe de chaleur ou de froid est quant à lui totalement absent de la stratégie japonaise. Le déploiement des technologies géothermiques sur le sol japonais se heurte dans la pratique à des difficultés réglementaires et financières, ainsi qu’à l’opposition d’acteurs locaux, ce qui pousse les opérateurs japonais à se tourner vers des marchés étrangers.
1. Situation actuelle et objectifs à l’horizon 2030 pour l’énergie géothermique
1.1 L’énergie géothermique au Japon : historique et point de situation.
On dénombre près de 120 volcans sur l’archipel, le Japon disposant de la 3ème plus importante réserve de ressources géothermiques dans le monde avec un total de 23,4GW (5,3% du total des réserves mondiales de potentiel). Ce potentiel reste peu exploité, avec seulement 0,52 GW de capacité installée (soit 2,2% du potentiel). L’énergie géothermique est principalement utilisée pour chauffer les bains traditionnels des onsen, avec d’autres applications minoritaires telles que le chauffage dans les logements et l’agriculture. La 1ère centrale géothermique expérimentale au Japon a été construite en 1925 avec une capacité de 1,12 kW. La 2nd et 3ème centrale géothermique japonaise sont entrées en opérations en 1966 et 1967, respectivement à Matsukawa et Otake. A la suite du 1er choc pétrolier en 1973, le METI a lancé le Sunshine Project en vue de promouvoir les « nouvelles énergies », dont l’énergie géothermique. Des centrales supplémentaires ont été construites entre les années 1970 et 1990 : 4 dans les années 70, 3 dans les années 80 et 6 dans les années 90. En 2000, le Congrès Mondial sur la Géothermie s’est tenu dans les villes japonaises d’Oita et Iwate. Le développement de l’énergie géothermique au Japon a considérablement ralenti depuis.
1.2 Une énergie géothermique majoritairement utilisée pour la production électrique, avec un très faible usage thermique direct.
(i) La part de la géothermie dans le mix électrique japonais est faible, mais la capacité installée est importante lorsqu’on la compare à d’autres pays. A jour d’octobre 2016, la capacité de production d’énergie géothermique au Japon atteignait approximativement 0,5 GW, soit 0,3% du mix électrique. L’objectif fixé à l’horizon 2030 se situe entre 1,4 GW et 1,6 GW de capacité installée (1,0-1,1% du mix électrique), jusqu’à 3,2 GW dans l’hypothèse la plus optimiste, soit une multiplication par un facteur 3 à 6 par rapport à 2016. Un objectif intermédiaire de 0,53GW a également été défini pour l’année 2020. A titre de comparaison, la production d’électricité géothermique en France est de l’ordre de 0,02 GW.
(ii) L’énergie géothermique est très faiblement utilisée pour la production directe de chaleur ou de froid. Selon une enquête réalisée par le Ministère de l’environnement japonais en 2015[1], il existe près de 1500 installations fonctionnant avec une pompe à chaleur géothermique au Japon, pour une capacité totale estimée à environ 85 MW ; à titre de comparaison, la capacité en France est de proche de 2000 MW. En ce qui concerne l’utilisation directe de la chaleur ou refroidissement, il n’existe pas de chiffres officiels selon le METI en raison d’une utilisation très faible. Le gouvernement japonais n’a pas fixé d’objectifs chiffrés pour le développement de systèmes de chaleur et de refroidissement alimentés avec de l’énergie géothermique.
2. Les politiques en faveur du développement de projets dans le domaine de l’énergie géothermique
2.1 Afin de soutenir un développement sûr et de réduire les oppositions à la géothermie, le gouvernement japonais a défini 4 axes prioritaires en termes de recherche et d’innovation : (i) l’amélioration de la précision dans le cadre de projets de prospection et d’exploration[2] (ii) la réduction des coûts entraînés par le forage et l’exploration[3], (iii) une exigence de sécurité et stabilité au moment de l’extraction de vapeur et l’écoulement de fluides géothermiques afin de limiter au maximum les risques[4] et (iv) l’établissement de systèmes permettant une production d’énergie bas-carbone et respectueuse de l’environnement.
2.2 A jour de 2015, le Japon disposait de plus de 20 centrales géothermiques en opération sur le territoire japonais, avec une nette augmentation après la mise en place des tarifs de rachat en 2012 (23 nouvelles installations construites). Cependant, il est important de préciser que la capacité cumulée des nouvelles centrales est équivalente à seulement 0,02GW, la principale raison étant que les FIT en place sont beaucoup plus favorables pour les projets à petite échelle.
2.3 La politique de développement de l’énergie géothermique est gérée depuis 2012 par la JOGMEC (entité placée sous la tutelle du METI et en charge d’assurer un approvisionnement stable en pétrole, en gaz et en ressources minérales et minières). En ce qui concerne les financements, aides et subventions destinés aux projets, l’assiette globale du budget alloué par la JOGMEC est attribuée en fonction des phases de développement du projet comme indiqué ci-dessous :
- 1ère étape : le budget pour la promotion du projet et l’obtention du consentement de la population, alloué sous forme de subventions portant sur 100% de l’assiette, est fixé à 2,2 milliards de yens.
- 2ème étape : les coûts entraînés par la phase de test et d’exploration sont assurés à hauteur de 10 milliards de yens, toujours sous forme de subventions (entre 50 et 100% de l’assiette globale du projet).
- 3ème étape : un budget atteignant 1,1 milliard de yens est alloué pour assurer les coûts du forage de puits exploratoires. Cette opération vise à vérifier qu’un volume suffisant de vapeur peut être extrait de manière stable des sources de chaleur. La somme versée pour financer cette étape prend la forme d’un investissement (environ 50% de l’assiette globale du projet).
- 4ème étape : Les coûts nécessaires pour le forage des puits assurant la production de l’énergie et la construction des infrastructures nécessaires peut faire l’objet de garanties de prêts. Le budget fixé pour la phase de construction est de 5,4 milliards de yens (environ 80% de l’assiette globale du projet).
2.4 Le budget total Recherche & Développement a été fixé à 1,85 milliard de yens pour l’année fiscale 2016. Dans le cadre d’un projet de recherche et innovation, le gouvernement peut verser une subvention à l’entreprise développant le projet à hauteur de 66% des coûts engagés. Le METI mobilise ses agences, la JOGMEC et la NEDO (New Energy and Industriel Technology Development Organization), pour promouvoir la recherche et l’innovation dans le secteur énergétique, et encourager le secteur privé japonais à développer de nouvelles technologies permettant une production plus efficace d’énergie géothermique, tout en respectant l’environnement.
3. Le développement de l’énergie géothermique se heurte à de nombreuses difficultés au Japon
3.1 Près de 80% du potentiel géothermique au Japon est situé dans les zones protégées par la loi sur les parcs nationaux, qui contraignait fortement l’implantation de centrales géothermiques, conduisant les opérateurs à développer des projets à l’extérieur de ces zones, où la ressource est très limitée. En réaction à l’accident de Fukushima, le MOE a néanmoins levé en 2012 les restrictions portant sur le développement de centrales géothermiques dans les parcs naturels protégés. Les opérateurs désireux de développer des projets géothermiques se heurtent néanmoins à d’autres difficultés d’ordres financières et sociales.
3.2 La phase de développement de projets d’énergie géothermique est en général très longue et coûteuse. La durée moyenne de développement d’un projet visant la construction d’une centrale géothermique d’une capacité supérieure à 10 MW est d’environ 10 ans. Les coûts de construction sont d’autant plus importants à prendre en considération du fait des risques liés au développement de projets géothermiques : taux de réussite du projet d’environ 30%, 500 Ms JPY pour le forage d’un puit, 26 Mds JPY pour la construction d’une centrale de 30 MW.
3.3 Au niveau de l’acceptabilité sociale et environnementale, la phase consistant à promouvoir le projet et conduire la consultation de l’opinion publique dans le cadre de chaque projet est relativement longue, couteuse et difficile à mettre en place. Le développement des installations géothermiques s’est pratiquement arrêté dans les années 1990, principalement en raison de la forte réticence des communautés locales. La plupart des sites potentiels sont situés dans des zones protégées par le gouvernement et dans les destinations touristiques célèbres pour leurs sources chaudes traditionnelles (onsen). Les communautés locales dans ces domaines dépendent souvent des revenus touristiques et, forts de l’appui du lobby des onsen, s’opposent fermement au développement de projets géothermiques en raison de l'impact négatif supposé sur le paysage et l’économie locale. Pour ce qui est des considérations environnementales, les populations locales s’inquiètent également des risques pour l’intégrité des sols (tremblements de terre, glissements de terrains) au moment de la phase d’étude géologique, et de la phase de forage de puits exploratoires visant à vérifier que les sources de chaleur peuvent être extraites de façon stable.
4. L’intérêt du secteur privé pour le développement de l’énergie géothermique s’accroit lentement, avec une majorité de projets entrepris à l’étranger
4.1 La première nouvelle centrale géothermique en 15 ans a démarré en 2015 au Japon. Cette centrale est située dans une région célèbre pour ses sources chaudes naturelles et son 'activité volcanique, dans la préfecture de Kumamoto sur l'île méridionale de Kyushu. Le projet a été réalisé par la compagnie régionale Chuo Electric Power Co., qui a mis en place une société à finalité spécifique (special purpose company) consacrée aux activités géothermiques et a annoncé son intention d'ouvrir cinq autres centrales au cours des cinq prochaines années. La centrale géothermique, qui est la première à ouvrir au Japon depuis 1999, est sensée marquer le début du lancement d'une vague de projets géothermiques à travers le pays, avec une chaîne d'autres entreprises emboîtant le pas au groupe Chuo Electric Power Co., de Hokkaido au nord du Japon jusqu’à Kyushu. Toshiba et Orix font partie de ces entreprises et ont mis en place en place en novembre 2013 une société à finalité spécifique en joint-venture visant à développer une activité de production d'énergie géothermique, avec pour objectif de démarrer leur premier projet dans une zone de source chaude au sein de la préfecture de Gifu.
4.2 Les projets géothermiques en pays-tiers bénéficient d’une plus grande popularité auprès du secteur privé japonais.
(i) Le Japon a développé des technologies de pointe pour l'exploration, le développement, l'utilisation et la surveillance des ressources géothermiques. Mais en raison d’un marché géothermique domestique stagnant, la plupart des technologies développées ont été utilisées en vue de projets à l'étranger au cours des dernières années. Le Japon a ainsi fourni deux tiers des turbines utilisées dans les centrales géothermiques dans le monde au cours des 10 dernières années.
(ii) Les groupes japonais Itochu, Kyushu Electric Power et Inpex, en partenariat avec la compagnie locale Medco Power Indonesia, ont lancé en décembre 2016 un projet de construction d’une centrale géothermique de 32GW, en Indonésie. Les groupes Toyota Tsusho et Toshiba ont quant à eux manifesté de l’intérêt pour la production d’énergie géothermique au Kenya et en Ethiopie. Toyota Tsusho a notamment signé, en marge de la conférence Japon-Afrique TICAD VI en 2016, un accord avec le Ministère kenyan de l’énergie et du pétrole et un accord avec la Commission éthiopienne d’investissements pour établir des plans de développement de centrales géothermiques.
[1] Le Ministère de l’environnement japonais réalise une enquête sur les réseaux de chaleur une fois tous les deux ans.
[2] Actuellement, les relevés sismiques sont utilisés pour déterminer la structure du réservoir géothermique pendant la phase d’étude géologique.
[3] De nouvelles technologies sont en cours de développement pour améliorer l’efficacité et la vitesse du forage de puits.
[4] Le gouvernement japonais souhaite développer des technologies permettant les recharges artificielles et la gestion de réservoirs d’énergie géothermique.