Surnommé peut-être prématurément « Qatar de l’Afrique » après la découverte de gigantesques gisements gaziers entre 2010 et 2013, le Mozambique enregistre des retards dans la valorisation de ses ressources gazières. Le lancement d’un premier projet a toutefois été annoncé en juin 2017 (Coral FLNG/ENI). Il pourrait être suivi par l’annonce du développement de deux trains onshore à l’horizon fin 2018/début 2019 (Golfinho/Anadarko) et dans son sillage, par le lancement de projets dits de « gaz domestique » (raffinerie, complexe pétrochimique, centrale électrique). De par leur ampleur, ces investissements sont susceptibles de profondément transformer le Mozambique, aujourd’hui pays pauvre et peu développé.

 

1. Avec près de 5 000 Md m3 de gaz conventionnel, le Mozambique détient les 9èmes réserves de gaz au monde.

Ces réserves se concentrent sur deux blocs offshore, concessions d’ENI (bloc 4) et d’Anadarko (bloc 1), situés dans le bassin du Rovuma à proximité de la frontière tanzanienne. Elles ont été mises en évidence récemment au cours de campagnes exploratoires menées entre 2005 et 2013 et restent encore vierges de toute exploitation. Ces réserves se concentrent sur un petit nombre de champs et en particulier sur un champ géant situé à cheval sur les blocs 1 et 4 (champ dit de « Prosperidade/Mamba »). Au total, les ressources en place, dont certaines doivent être confirmées par de nouveaux forages atteindraient de 160 à 200 tcf (de l’ordre de 5000 Md m3). Le gaz découvert a la particularité de contenir peu de gaz parasites (C0², H²S) et, bien qu’il se situe en eau profonde (2 000 m de profondeur), son coût d’exploitation est jugé attractif par l’industrie. Aucune découverte commercialement viable n’a en revanche été réalisée dans les autres blocs d’exploration. Des campagnes de prospection sismiques et de forages doivent toutefois reprendre dans le bassin du Zambèze et au large d’Angoche en 2018-19 et sont susceptibles d’accroitre le potentiel du pays.

Au sud du Mozambique, des réserves de gaz plus modestes sont connues depuis 1960 (105 Md m3 - champs de Pande et Temane exploités par Sasol depuis 2004). Leur production est évacuée par gazoduc vers l’Afrique du Sud et alimente la centrale électrique de Ressano Garcia.

 

2. En prévision des investissements colossaux à engager pour exploiter les champs du nord, les opérateurs des blocs 1 et 4 ont entamé des opérations de cessions de leurs droits. 

ENI a progressivement cédé une partie de ses parts à d’autres Majors : 20% à China National Petroleum Corp. en mars 2013 pour un montant de 4,21 Md $ et, en mars 2017, 25% à ExxonMobil pour 2,8 Md $, qui s’ajoutent aux partenaires originels d’ENI, GALP (10%), Kogas (10%) et la société publique mozambicaine Empresa Nacional de Hidrocarbonetos-ENH (10%). Dans le cadre de l’opération de rachat-vente avec ExxonMobil, ENI et la Major américaine se sont partagés la responsabilité du développement du bloc 4 entre tranche onshore (ExxonMobil) et offshore (ENI).

Concernant Anadarko, la question de la cession de ses actifs est un enjeu encore plus décisif. Si certains de ses actifs ont déjà été cédé  à l’indien ONGC Videsh en 2013 pour 2,64 Md $, il est aussi question qu’elle cède tout ou une partie de ses autres parts dans le bloc 1 à ExxonMobil. Ses autres partenaires sont ENH (15%), Mitsui E&P Mozambique Area 1 (20%), Bharat PetroResources (10%), PTTEP Mozambique Area 1 (8.5%), and Oil India (4%).

 

3. La valorisation du gaz mozambicain reposera principalement sur la technologie du gaz naturel liquéfié et sera essentiellement orientée vers l’export.

Le site dit de « Afungi » à proximité de la ville de Palma (province du Cabo Delgado) a été retenu pour accueillir un parc industriel de  18 000 ha où seront construites toutes les infrastructures de GNL (terminaux, trains de GNL, réservoirs, embarcadères etc..). Elles seront reliées par gazoducs aux champs sous-marins des blocs 1 et 4 situés à plusieurs dizaines de kilomètres de là.

Sur ce même site, mais dans un calendrier différent des producteurs de GNL, des sociétés mettront aussi en œuvre des projets de gaz domestique conformément aux dispositions de la loi du Pétrole de 2014. Celle-ci stipule que 25% de la production gazière[1] doit être attribuée à des projets industriels locaux. Trois sociétés ont été sélectionnées dans ce cadre : Shell Mozambique bénéficiera de 310 à 330 millions de pieds cubes de gaz/jour pour produire 38 000 b/j de carburant liquide (diesel, naphte et kérosène) ainsi qu’une petite centrale électrique de 50 à 80 MW d'électricité. L'opérateur norvégien Yara International recevra quant à lui 80 à 90 millions de pieds cubes/jour pour produire 1,3 Mt/an d'engrais et 50 à 80 MW d’électricité. GL-Energy, une société basée à Londres, bénéficiera enfin de 41,8 millions de pieds cubes de gaz/jour qu’elle utilisera pour produire 250 MW d’électricité. L’accès de ces sociétés à la concession marine (espace maritime exclusif d’ENI et Anadarko pour l’accès des méthaniers) et aux infrastructures du parc GNL fait toujours l’objet de discussions. Cet accès est particulièrement crucial pour Shell et Yara qui devront exporter par voie maritime tout ou une partie de leur production.

 

4. Le retournement du marché des hydrocarbures depuis 2014 a fortement affecté le développement du gaz au Mozambique qui sera sans doute plus étalé dans le temps et moins ambitieux qu’initialement escompté.

En 2013, l’industrie et le gouvernement du Mozambique tablaient sur la construction rapide de 11 trains de GNL totalisant 50 millions de tonnes par an (équivalent à 19% de la demande mondiale 2016) et la mise sur le marché des premières cargaisons de GNL en 2019. On estimait alors que le Mozambique deviendrait rapidement le 3ème producteur mondial de cette commodité. Ce scénario n’est aujourd’hui plus réaliste et à ce stade, les premières esquisses de développement gazier sont plus modestes:

  • ENI a choisi de se focaliser – dans un premier temps - sur un projet de production plus petit et moins exposé nommé « Coral FLNG ». Le champ ciblé pour ce premier développement, Coral, est un champ sous-marin de 15,2 tcf (424 Md m3) situé en eau profonde. La solution retenue pour son exploitation repose sur la réalisation d’une unité flottante de liquéfaction et de stockage de gaz (FLNG pour « Floating Liquified Natural Gas ») ancrée à 60 km des côtes. A sa mise en service, ce sera la troisième infrastructure de ce type, après PFLNG Satu en Malaisie (Petronas, 2016) et Prelude en Australie. Cette option reflète un choix de prudence : les volumes produits (capacité de 3,3 Mta) restent en effet raisonnables dans un marché des hydrocarbures en profond déséquilibre et, de fait, ils ont trouvé preneur en BP Poseidon qui a signé un accord d’achat exclusif pour une durée de 20 ans. L’option FLNG est d’autre part apparue plus simple à mettre en œuvre qu’une solution onshore qui nécessiterait de nombreux investissements accessoires mais pas moins onéreux. Les termes du contrat prévoient une mise en opération du FLNG dans un délai de 60 mois , soit un premier gaz produit à l’horizon 2022.
  • Anadarko a, de son côté, pris plus de temps qu’escompté et seulement soumis un plan de développement du gisement de Golfinho en décembre 2016. Il repose sur la construction de deux trains onshore de GNL d’une capacité de 12 Mta pour un investissement totalisant de l’ordre de 15 Md $. Début décembre 2017, ce plan n’a toujours pas été approuvé par le Gouvernement.
  • A un horizon qui n’est pas encore déterminé, ExxonMobil pourrait prendre en main le développement du champ gazier de « Mamba/Prosperidade », commun aux blocs 1 et 4. Ce champ a fait l’objet d’un accord « d’exploitation et d’unification » entre ENI et Anadarko en décembre 2015 aux termes duquel ils s’engagent à produire 12 tcf de manière séparé mais coordonnée (soit 24 tcf au total), puis à produire tout le gaz restant via une entité commune détenue à parts égales.

 

5. Par-delà les déséquilibres du marché des hydrocarbures, d’autres obstacles ont contribué et contribuent toujours à ralentir les développements énergétiques au Mozambique :

i) La question du dispositif logistique devant soutenir la construction des infrastructures n’est toujours pas tranchée.

ii) Pour les investisseurs étrangers, l’absence d’infrastructures de base et de main d’œuvre qualifiée constitue un autre obstacle de taille qu’il conviendra de surmonter et qui pourrait faire gonfler le coût global  de leurs investissements. Le cadre réglementaire de l’exploitation gazière se met quant à lui lentement en place.

iii) La question du financement de la part d’ENH (la société publique des hydrocarbures) dans les projets gaziers devra en outre être résolue.

iv) Enfin, les autorités devront s’efforcer de trouver un juste équilibre pour gérer l’arrivée de la manne gazière et pour gérer sa vulnérabilité face aux chocs extérieurs.

 

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Bien que des retards soient aujourd’hui constatés dans la mise en valeur des immenses ressources gazières du pays, le Mozambique deviendra probablement d’ici quelques années un acteur important du marché mondial du GNL. Il accèdera alors rapidement au rang de pays à revenu intermédiaire alors qu’il compte aujourd’hui parmi les plus pauvres au monde.

Si le FMI estime que 100 Md $ d’IDE (à comparer avec PIB 2016 de 11,2 Md $) pourraient au total être injectés sur une période 30 ans, les recettes budgétaires pourraient très rapidement augmenter à compter de 2023/4 et la croissance économique pourrait s’établir à plus de 20%/an.



[1] Cette disposition a entretemps été amendée et autorise les opérateurs à réserver plus de gaz pour les ventes export en contrepartie d’une compensation financière.

[2] PCD est une coentreprise formée par la société publique CFM-Caminhos de Ferro de Moçambique et des investisseurs privés de la région)