Quatre services économiques de le DG Trésor situés au sein de l’Union européenne (Belgique, Royaume-Uni, Irlande et Pays-Bas) ont présenté la situation des ports britanniques, belges, néerlandais et irlandais dans le cadre de la préparation du Brexit au cours d’un atelier préparé par la sous-direction EUROPE de la Direction générale du Trésor, en lien avec le bureau en charge du suivi des politiques sectorielles dans les services de réseau (POLSEC 3). Les ports jouent un rôle majeur dans l’économie de ces pays en matière d’échanges de marchandises.

  • Cécile Humbert-Bouvier, chef du service économique régional de Bruxelles, a présenté la situation en Belgique où les ports, au premier rang desquels les ports maritimes flamands, jouent un rôle majeur dans l’économie du pays. La valeur ajoutée totale créée par l’ensemble des ports belges atteint environ 8 % du PIB national. En 2016, les ports flamands ont traité 34 millions de tonnes de trafic en provenance ou à destination du Royaume-Uni, dont près de la moitié passent par le port de Zeebrugge. Dans ce contexte, les ports flamands commencent à s’organiser.
  • Christian Fatras, adjoint au service économique régional de Londres a rappelé le rôle clé des ports britanniques dans la relation commerciale UE-UK. L’UE représente plus de la moitié des échanges du pays, or 95% du volume des marchandises échangées transitent par les ports. Les ports sont diversement exposés au risque du Brexit selon leur activité.
  • Pierre Mongrué, chef du service économique à Dublin, a exposé la densité des relations économiques de l’Irlande avec le Royaume-Uni : outre qu’il est son 2e partenaire commercial, une part importante des flux de marchandises entre l’Irlande et le reste du monde transite par le Royaume-Uni. Le Brexit aura donc potentiellement des conséquences sur l’économie irlandaise.
  • Mathieu Kahn, chef du service économique de La Haye, a abordé le cas des Pays-Bas, qui entretiennent des relations commerciales étroites avec le Royaume-Uni. Les échanges avec le Royaume-Uni, transitant principalement par les ports d’Amsterdam et de Rotterdam, représentent environ 13% du PIB néerlandais. Les ports néerlandais poursuivent leur modernisation, avec un objectif de maintenir voire de renforcer leur compétitivité.

Des agents des différents services de la direction générale du Trésor, de diverses administrations et institutions publiques (drection générale des Douanes et des Droits Indirects, ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, ministère de la Transition écologique et solidaire, Conseil régional des Hauts-de-France, Institut Jacques Delors, Voies Navigables de France, ambassades de Belgique et du Royaume-Uni), des cabinets de conseil (Mensia Conseil) et des spécialistes (Union des Ports de France, Armateurs de France, des représentants des ports de France) étaient présents dans l’auditoire et ont pu échanger avec les intervenants. Plusieurs fois par an, la DG Trésor donnera ainsi la parole à ses chefs de service économique pour présenter et débattre de leurs travaux qui couvrent un champ très large d’expertise. La diapositive ayant servi de support lors de l’événement est disponible ci-dessous.

Ports et Brexit : quels enjeux pour la Belgique ?

Les échanges avec le Royaume-Uni représentaient en 2016 près de 7 % du commerce extérieur de la Belgique, avec un excédent de plus de 15 Md€ au profit de cette dernière. Le « groupe Buysse », groupe d’experts mis en place par le gouvernement belge à l’annonce des résultats du référendum de juin 2016, avec la mission de « préparer la Belgique aux éventuelles négociations », a évalué l’impact économique du Brexit, qui pourrait aller jusqu’à 2,6 points de PIB en cas de « Brexit dur ».

En Belgique, la Flandre est la région la plus exposée, son commerce avec le Royaume-Uni constituant près de 85 % de la totalité des échanges du pays avec les Britanniques. Or, si le port d’Anvers – 1er port de Belgique et 2ème port d’Europe – est relativement moins exposé au Brexit puisque ses échanges avec le Royaume-Uni représentent moins de 7 % de son activité, le port de Zeebrugge a en revanche potentiellement beaucoup à y perdre. Son trafic avec le Royaume-Uni représente en effet près de la moitié de son activité et 5 000 emplois, aussi bien en transit qu’en logistique à valeur ajoutée, et ce notamment dans l’automobile, la distribution, le gaz, la pêche, le tourisme.

Zeebrugge est ainsi le 1er port mondial pour les automobiles : 2,8 millions de véhicules neufs y sont traités annuellement, dont 36% sont exportés vers le Royaume-Uni. Zeebrugge expédie chaque semaine 64 porte-conteneurs et ferries vers les ports britanniques pour distribuer des produits divers : kiwis de Nouvelle-Zélande, jus d’orange du Brésil, eaux minérales de France, etc. Pierre angulaire de la sécurité d’approvisionnement en gaz naturel dans le Nord-Ouest de l’Europe, Zeebrugge est relié au Royaume-Uni par gazoduc – l’Interconnector – prolongé vers les Pays-Bas et l’Allemagne, pouvant transporter du gaz naturel dans les deux sens. Enfin, Zeebrugge est l’un des principaux ports de pêche d’Europe, alors qu’environ 52% de la pêche belge des dix dernières années provenait des eaux britanniques, soit 59% du chiffre d'affaires.

Dans ce contexte, le Brexit représente un défi important pour l’économie belge.

Ports et Brexit – le cas britannique

Le Royaume-Uni possède un réseau portuaire extrêmement développé qui le positionne en tant que 2e puissance portuaire européenne derrière les Pays-Bas ; devant l’Italie, l’Espagne et la France. Le secteur maritime (ports, transport maritime, industrie des services maritimes) représente 185 700 emplois en 2015, un chiffre d’affaires de 40 Md£ et une valeur ajoutée de 14,5 Md£ soit bien plus que les autres industries comparables britanniques (aérospatial : chiffre d’affaires de 31,1 Md£). L’organisation des ports est très différente du modèle français puisque 2/3 du tonnage est géré par des ports détenus par des opérateurs privés comme l’Associated British Ports qui détient près de 21 ports ou la Hutchison Ports UK qui en détient 4. Le réseau des ports britanniques se caractérise par un grand nombre de ports (111 commercialement actifs) très spécialisés : Felixstowe est le 7e port de conteneurs européen, Douvres est le 1er port de passagers, Gimsby & Immingham le 8e port de fret.

Au total, 95 % des échanges -en volume- sont réalisés par voie maritime pour un volume de 484 MT par an. L’UE est le premier partenaire avec 208,6 MT. Ainsi, pour l’export, les principaux partenaires du RU sont les Pays-Bas, la France, la Chine, la Belgique et l’Irlande, démontrant une dépendance à l’UE bien réelle. A l’import, ce sont les Pays-Bas, la Norvège pour le pétrole, la France, la Belgique et les États-Unis.

Le trafic des ports britanniques s’organise également autour d’un transport de passagers très important, s’élevant à 61,7 M de passagers par an dont 20 M vers l’international. Le trafic domestique est dominant, s’appuyant sur des services traversiers (19,8 M de passagers) et les liaisons inter-îles (18,4 M). Le trafic international a lui connu une forte diminution depuis son pic de 1994 à 30,4 M du fait notamment de la forte concurrence du Tunnel sous la Manche.

Ainsi, l’économie portuaire britannique, très développée, est intimement liée à l’Union européenne qui est son principal partenaire. Le Brexit constitue donc un défi majeur pour les ports britanniques.

Ports et Brexit : quels enjeux pour l’Irlande ?

Avec 50 Mt de trafic portuaire par an, l’Irlande est un acteur européen de petite taille dans le domaine du fret maritime. Cependant, en raison de la situation géographique de l’île, son commerce de marchandises est totalement dépendant de ce secteur : 99,7 % du fret irlandais est acheminé par voie maritime. Le ratio de fret maritime par habitant en Irlande est supérieur de 50 % à la moyenne européenne.

Le Royaume-Uni occupe naturellement une place prépondérante dans ces flux de transport. D’une part, la moitié des exportations irlandaises expédiées par voie maritime ont pour destination le Royaume-Uni. Avec environ 30 Md€ de marchandises échangés chaque année, le Royaume-Uni est en effet le deuxième partenaire commercial de l’Irlande après les États-Unis. Mais le rôle du voisin britannique dans le commerce extérieur irlandais ne se résume pas à ces chiffres. Le transport des exportations et des importations irlandaises dépend en grande partie du Royaume-Uni pour plusieurs raisons : l’existence d’importantes capacités de stockage en Grande-Bretagne qui accueille de ce fait des centres logistiques couvrant les deux îles, la prédominance en Irlande des chaînes de distribution britanniques, le rôle de plateforme joué par les ports britanniques pour le commerce avec les États-Unis et, surtout, la compétitivité de la liaison terrestre par la Grande-Bretagne (« Landbridge ») pour commercer avec le continent (entre 200 000 et 300 000 remorques par an). Les deux tiers des exportateurs irlandais affirment avoir recours à cette liaison terrestre pour expédier leurs produits sur le continent. 80 % des véhicules partant d’Irlande à destination du continent passent par le Royaume-Uni.

Les paramètres de la future relation entre l’Union européenne et le Royaume-Uni seront donc déterminants pour la compétitivité du Landbridge et pour les flux logistiques entre l’Irlande et le continent. Les usagers et acteurs du commerce maritime (exportateurs, sociétés de transport) étudient dès aujourd’hui une possible réorganisation de leurs chaînes logistiques en conséquence.

Ports et Brexit : l’exception néerlandaise ?

Le Brexit constitue un risque économique pour les Pays-Bas. Le Royaume-Uni est en effet le deuxième partenaire commercial des Pays-Bas, 200 000 à 300 000 emplois seraient directement liés au commerce avec le Royaume Uni, qui représente environ 90 Md€ par an, soit 13% du PIB. Les Pays-Bas dégagent un excédent très important, de 17 Md€ de biens l’an dernier (soit 9% de leurs exportations totales et 3% de leur PIB). Le Bureau d’analyse macro-économique (CPB) a estimé en juillet 2016 à 10 Md€, soit 1,2% du PIB, l’impact du Brexit pour l’économie néerlandaise, selon un scénario médian.

Les secteurs maritime et portuaire y sont fortement développés et pourvoyeurs d’emplois. Les ports néerlandais dominent par ailleurs le marché européen. Rotterdam, premier port européen et huitième mondial, a vu transiter 461,2 Mt de marchandises (conteneurs et hydrocarbures) en 2016. Plus d’un quart des hydrocarbures importés en Europe passent dans ce port. Enfin, il a généré 20,8 Md€ de valeur ajoutée directe ou indirecte soit 3,1% du PIB néerlandais. Amsterdam reste quant à lui le cinquième port européen avec un transit de 97 Mt (hydrocarbures et produits agroalimentaires). En outre, les Pays-Bas bénéficient d’une troisième plate-forme, davantage centrée sur le cabotage avec le port de Zélande (33 Mt, essentiellement des produits alimentaires et matériaux bruts), qui est en train de fusionner avec Gand.

Toutefois, dans un contexte concurrentiel poussé au Nord de l’Europe, les grands ports des Pays-Bas peuvent tirer parti de leur rentabilité, d’effets d’échelle, et d’importants investissements (terminaux Maasvlakte I et II, écluse d’IJMuiden…). Rotterdam et Amsterdam se positionnent en effet comme des plateformes mondiales. Leur principal enjeu est de se positionner comme port de première ou dernière escale entre l’Europe et le reste du monde, de manière à capter le plus de valeur ajoutée.

Soucieuses de préserver la compétitivité de ces plateformes, les autorités envisagent un renforcement des effectifs douaniers. En outre, en contrepartie des risques sur le trafic trans-Mer du Nord, le Brexit pourrait accélérer le développement des connexions à l’hinterland européen, notamment les modes alternatifs à la route.

Le principal défi de l’industrie portuaire néerlandaise réside en effet dans la transition écologique et énergétique. Le seul port de Rotterdam émet environ 30 Mt de CO2 par an. Son trafic alimente par ailleurs la congestion routière dans la Randstad et au-delà.

Cet événement s’inscrit dans la politique de la Direction générale du Trésor de mieux faire connaître ses travaux et de renforcer le dialogue avec les acteurs économiques.

Illustration ports et brexit