Le secteur de l’aéronautique au Nigéria, entre opportunités et blocages
Le secteur nigérian de l’aéronautique se caractérise par de fortes potentialités. Le pays connaît en effet une croissance particulièrement dynamique de son trafic aérien ces dernières années, tandis que sa position géographique pourrait justifier un rôle de plaque tournante pour le continent. Plus récemment, la Banque centrale du Nigéria (CBN) a réglé l’essentiel des arriérés de change qu’elle devait auprès des banques commerciales, permettant aux compagnies aériennes étrangères de retrouver les devises qui leur étaient dues. Par ailleurs, le gouvernement s’est engagé à respecter la Convention du Cap, rassurant ainsi les sociétés de leasing internationales. Dans ce contexte, de nombreuses entreprises françaises du secteur sont présentes au Nigéria (Airbus Commercial, Thales, Air France, Newrest), d’autres envisagent de s’y étendre. La visite du ministre fédéral de l’Aviation civile en France, organisée par le Service économique régional (SER) d’Abuja, a été en cela un catalyseur. D’importants blocages demeurent toutefois en matière réglementaire, fiscale, financière et d’infrastructures de maintenance (MRO).
Le secteur nigérian de l’aéronautique présente des opportunités considérables.
La tendance est au développement du trafic aérien au Nigéria, malgré un léger ralentissement conjoncturel. En 2022 et 2023, les aéroports nigérians ont enregistré 16 millions de passagers, soit une hausse de 13 % par rapport aux 14 millions de passagers de 2021. L’évolution du trafic aérien semblerait toutefois en recul en 2024, notamment à cause des effets de l’inflation sur la classe moyenne. Pour les deux principaux aéroports à Lagos et à Abuja, le nombre de passagers serait ainsi passé de 2 millions en 2023 à 800 000 entre janvier et septembre 2024.
Au-delà de l’atout démographique, sa position géographique stratégique confère au Nigéria un potentiel considérable pour devenir un des principaux hubs aériens sur le continent. Argument souvent évoqué par les dirigeants nigerians, le ministre fédéral de l’Aviation civile, Festus Keyamo, rappelait en septembre 2024 : « Géographiquement, le Nigéria est le mieux placé pour être le véritable hub d'Afrique. Si vous regardez une carte, le pays est à égale distance de l'Amérique du Sud, de l'Europe et de l'Asie. »
Dans la continuité des réformes en faveur de la libéralisation du marché des changes, la CBN a entrepris des mesures significatives pour améliorer les conditions d’opérations des compagnies aériennes étrangères dans le pays. En janvier 2024, la CBN a en effet rempli l'ensemble de ses engagements en matière de contrats de change auprès de quatorze banques commerciales, amorçant ainsi le règlement des arriérés dus aux compagnies aériennes étrangères. Cette initiative visait à faciliter le rapatriement des revenus desdites compagnies, contribuant ainsi à stabiliser et à rendre plus attractif le secteur du transport aérien au Nigéria. En avril, 98 % des 850 M USD dus avaient été remboursés. L’effet sur l’attractivité a été immédiat puisque, depuis, Royal Air Maroc et Qatar Airways ont ouvert des lignes depuis et vers le Nigéria.
En septembre 2024, le Nigéria s’est engagé à appliquer la Convention du Cap, rassurant les propriétaires d’avions et les investisseurs internationaux. Certains opérateurs locaux avait pu en effet, par le passé, enfreindre la Convention du Cap, ce qui avait conduit le Groupe de travail sur l’aviation (AGW, coprésidé par Airbus et Boeing) à placer le Nigéria sur liste noire. Cet engagement de la part du gouvernement devrait permettre aux sociétés internationales de leasing de demander l'exportation d'un aéronef en cas de défaut de paiement du locataire nigérian, diminuant ainsi les coûts d'assurance pour les compagnies aériennes locales, tout en leur permettant de louer des aéronefs en dry leasing (sans équipage, et donc moins chers).
Plusieurs entreprises françaises sont ainsi présentes ou souhaitent s’étendre au Nigéria, comme cela a pu être observé lors de la visite en France du ministre fédéral de l’Aviation civile.
Le ministre fédéral de l’Aviation civile et du Développement aérospatial, Festus Keyamo, s’est rendu à Paris, Marseille et Toulouse en mars 2024 à l’occasion d’une visite organisée par le SER d’Abuja. Après une rencontre avec le directeur général de l’aviation civile, Damien Cazé, le ministre Keyamo et sa délégation – composée de directeurs d’administration, de compagnies aériennes et d’entreprise de gestion d’escale – ont pu participer à un forum d’affaires à Paris. Le lendemain, le ministre et la délégation se sont rendus à Marseille pour visiter les usines d’Airbus Helicopters, avant de rejoindre Toulouse et rencontrer le surlendemain Airbus Commercial et ATR. Le dernier jour, de retour à Orly, le ministre et certains directeurs d’administration ont pu rendre visite à Thales.
Si Airbus avait d’ores et déjà conclu en novembre 2023 la vente d’un Airbus A220-300 à la compagnie aérienne nigériane Ibom Air, la visite du ministre a contribué à l’acquisition par l’entreprise d’un même appareil appartenant à Air Sénégal en juillet 2024, ainsi qu’à la commande de neuf A220 supplémentaires auprès d’Airbus, dont les acomptes ont été déposés et dont la livraison devrait être achevée en 2028. Le montant de l’acquisition des dix A220 fournis par Airbus est d’environ 400 M USD. Si le constructeur américain Boeing a pu conclure un MoU avec le Nigéria pour « renforcer le secteur de l’aviation ouest-africain » en août 2024, lors de la visite du ministre Festus Keyamo aux États-Unis, cet accord ne s’est pour l’heure traduit par aucune mesure concrète de coopération ou par une quelconque vente d’avion.
Le Nigéria est une priorité pour Thales en Afrique, à travers le contrat de Couverture radar totale du Nigéria (TRACON) fourni entre 2004 et 2009 pour un montant de 67 M EUR. Thales et l’Agence de gestion de l’espace aérien (NAMA) ont signé en mars 2022 un contrat de modernisation de TRACON pour une valeur totale de 36 M EUR. Le ministre de l’Aviation a officiellement demandé au ministère des Finances d’exécuter ce financement. Celui-ci n’a jusqu’à présent pas été décaissé, les autorités nigérianes attendant une approbation formelle du président en conseil des ministres (FEC).
Le groupe Air France-KLM est présent au Nigéria depuis plus de 70 ans. Air France opère sept fréquences hebdomadaires entre Paris et Lagos, et quatre fréquences hebdomadaires entre Paris et Abuja – ces dernières via N’Djamena, au Tchad. Air France est la seule compagnie aérienne proposant des vols directs entre le Nigéria et la France. KLM opère quant à elle des vols quotidiens entre Amsterdam et Lagos.
Présente au Nigéria depuis 1996, l’entreprise française Newrest exploite des cuisines de restauration à bord, des salons, des restaurants et des commerces dans les aéroports de Lagos et d'Abuja. Elle fournit ainsi plus de 7 500 repas par jour à neuf clients (parmi lesquels British Airways, Delta, Emirates, Lufthansa et Qatar Airways) et sert chaque année plus de 100 000 repas dans les salons des deux aéroports. Newrest emploie pour cela environ 400 personnes sur ses deux sites. L’entreprise est en pleine expansion au Nigéria. Newrest opère à Lagos, aux côtés de Servair (qui a quitté le groupe Air France-KLM et rejoint le suisse Gategroup en 2017) et LSG Sky Chefs (filiale de Lufthansa), et à Abuja.
La filiale turque d’Aéroports de Paris (ADP), TAV Airports, avait été déclarée attributaire en octobre 2022 de la concession portant sur la gestion du terminal international de l’aéroport Lagos. Après de nombreux recours, la procédure d’appel d’offres a été annulée. Le gouvernement se fait désormais conseiller par la Société financière internationale (SFI, groupe de la Banque mondiale) pour définir le nouveau périmètre et les nouvelles modalités des mises en concession des aéroports nationaux. Si la CCECC (China Civil Engineering Construction Corporation) avait remporté en 2013 plusieurs contrats pour la construction des aéroports de Lagos, Kano, Abuja et Port Harcourt, la gestion des aéroports au Nigéria est pour l’instant assurée par l’Autorité fédérale des aéroports du Nigeria (FAAN), dans l’attente des nouveaux appels d’offres.
Le secteur de l’aviation au Nigéria rencontre encore toutefois des défis significatifs.
La croissance du secteur de l’aviation civile au Nigéria reste contrainte par les règles de contenu local concernant l’assurance des avions. Les directives actuelles de la Commission nationale des assurances (NAICOM) disposent que les assureurs nigérians doivent choisir la part du risque qu’ils souhaitent accepter, avant toute assurance par des assureurs étrangers. Au cas par cas, les assureurs nigérians prennent donc en charge jusqu’à 50 % des risques sur les aéronefs vendus ou loués, alors même que les investisseurs internationaux exigent une assurance des avions au Nigéria qui soit au moins 90 % internationale. De fait, les compagnies aériennes nigérianes souscrivent à plusieurs contrats d’assurance, avec des surcoûts qui bloquent souvent toute opération de vente ou de leasing.
L’ambition de devenir un hub continental du trafic aérien se heurte pour l’instant à l’absence de centre de MRO dans le pays. La plupart des compagnies aériennes de la région dépendent fortement de la maintenance effectuée à l'étranger. En Afrique, peu de pays disposent d'installations de MRO comme l'Égypte, l'Afrique du Sud, le Maroc, l’Ethiopie ou le Kenya. Cette limitation oblige la plupart des compagnies aériennes du continent – dont le Nigéria – à utiliser des installations de MRO à l'étranger, ce qui entraîne des surcoûts opérationnels considérables.
L’ambition continentale du Nigéria est aussi contrainte par le niveau actuel des taxes des aéroports. D’après l’Association internationale du transport aérien (IATA), l’aéroport d’Abuja est l’aéroport où les taxes sont les plus élevées au monde, suivi de l’aéroport de Lagos. Elles représentent généralement 50 % du prix de vente des billets d’avion, ce qui contribue à rendre les voyages aériens plus coûteux au Nigéria par rapport à d'autres pays de la région, et dissuade ainsi le choix du pays comme plaque tournante par les compagnies aériennes étrangères.