Trois services économiques régionaux de le DG Trésor situés au sein de l’Union européenne (Allemagne, Italie, Suède) ont présenté des aspects ou des réformes du marché du travail dans leurs pays de résidence au cours d’un atelier préparé par la sous-direction EUROPE de la Direction générale du Trésor, en lien avec les bureaux en charge du suivi macroéconomique et des politiques sociales et de l’emploi.Cet événement s’inscrit dans la politique de la Direction générale du Trésor de mieux faire connaître ses travaux et de renforcer le dialogue avec les acteurs économiques.

Cette première session de présentation a permis d’apporter un éclairage sur les expériences de nos voisins européens en matière de réforme du marché du travail, un sujet qui est au cœur de l’actualité en France.

Catherine Rozan, adjointe à la chef du service économique régional à Berlin, a présenté la situation du temps partiel en Allemagne. Les emplois atypiques, dits « mini-jobs », concernent plus de 30% des salariés en Allemagne, en particulier les femmes. Plus de la moitié des mini-jobeurs toutes catégories et branches confondues sont des « mini-jobeuses ». Si le taux d’activité des femmes en Allemagne est très élevé (73,6% contre 67,6% en France), elles ont davantage recours au temps partiel (46,4% contre 30 % en France).

Paul Hunsinger, chef du service économique régional à Rome, a détaillé une réforme majeure de l’ancien Premier ministre italien, Matteo Renzi : le Jobs Act. Mis en place en 2014, cette réforme a pour objectif de réduire le chômage, qui est actuellement de 11% avec un taux de chômage élevé chez les jeunes (30%), stimuler l’emploi, flexibiliser le marché du travail, résorber le dualisme au sein du marché du travail (hommes/femmes, régions du nord/régions du sud, etc) tout en réduisant les emplois précaires.

Pierre-Alexandre Miquel, chef du service économique régional à Stockholm, a exposé les déterminants du « modèle suédois » : une forte acceptabilité apparente des changements affectant l’économie et en particulier des plans sociaux, un rôle majeur des partenaires sociaux (le taux de syndicalisation en Suède est de 70%), un accent mis sur l’éducation initiale et la formation professionnelle, des politiques actives de l’emploi avec une incitation massive à l’activité (le taux d’activité des seniors est le plus élevé avec 40% pour les salariés de 70 ans).

Des agents des différents services de la Direction générale du Trésor, de diverses administrations et institutions publiques (Cour des comptes, IGAS, France Stratégie, OCDE, Ambassades de Suède et d’Allemagne), des think tanks (Europanova, Fondation Robert Schuman), des universitaires et des spécialistes des questions de RH étaient présents dans l’auditoire et ont pu échanger avec les intervenants.

Les échanges ont notamment porté sur :

  • le fonctionnement concret des mécanismes d’aide au retour à l’emploi,
  • les déterminants des taux d’activité élevé en Suède,
  • le rôle des partenaires sociaux en Allemagne et en Suède,
  • les facteurs de réussite en Suède de l’accompagnement personnalisé dans le cadre de licenciements économiques,
  • le rôle des régions en Italie en matière de politique d’emploi.

Les diapositives ayant servi de support lors de l’événement sont disponibles ci-dessous.

Plusieurs fois par an, la DG Trésor donnera ainsi la parole à ses chefs de service économique pour présenter et débattre de leurs travaux qui couvrent un champ très large d’expertise.

Marché du travail : l’expérience allemande du mini-job

Avec un taux de chômage à 3,9 % au sens du BIT depuis fin 2016, à moins de 6% au sens national, l’Allemagne a-t-elle vraiment atteint le plein emploi ? Dans quelle mesure les mini-jobeurs (1) et au-delà, les travailleurs à temps partiels, ne constituent-ils pas une réserve de travailleurs potentiels en Allemagne ?

La population active en Allemagne en 2016, c’est : 42 millions d’actifs en 2016, 36 millions de salariés, près de 2 millions de chômeurs et 4 millions d’indépendants (Eurostat). En décembre 2016, 7,4 millions de salariés ont un emploi atypique dit « mini-job », pour les deux tiers en activité principale, et 24 % des salariés ont un contrat de travail classique à temps partiel.  

L’activité à temps partiel représente 37 % de la population salariée. Entre 2000 à 2010, les créations d'emplois à temps partiel ont représenté la totalité des créations d'emploi (suite des réformes Hartz).  

La femme reste un travailleur atypique : près de la moitié (46 %) des femmes salariées en 2015 travaillent à temps partiel. Tandis que 42 % des mini-jobeurs sont des étudiants ou des retraités, qui par définition ne font pas partie de la population active, 35 % des mini-jobeurs sont des femmes au foyer. Plus de la moitié des mini-jobeurs toutes catégories et branches confondues sont des « mini-jobeuses ». Si le taux d’activité des femmes en Allemagne est élevé en comparaison européenne (73,6 % contre 67,6% en France), leur taux d’emploi à temps partiel est également très élevé (46,4% contre 30 % en France).  

Quels sont les freins au travail à temps plein de la femme ? L’activité à temps partiel demeure majoritairement choisie par les femmes. Seules 12 % des femmes travaillant à temps partiel le font parce qu’elles n’ont pas trouvé d’emploi à plein temps (contre 22 % des hommes).  

Des freins au travail à temps plein d’ordre culturel et objectif dans la conciliation de la vie professionnelle et familiale : 29 % des femmes travaillent à temps partiel parce qu’elles sont en charge d’enfants. Seules 10 % des femmes avec des enfants de moins de trois ans travaillent à temps plein.  

Du point de vue fiscal, le foyer n’a pas nécessairement intérêt à augmenter ses revenus et le système de retenue à la source peut apparaître confiscatoire pour le conjoint ayant le plus petit revenu. En outre, la faible imposition des revenus des mini-jobs au taux forfaitaire de 2% apparaît désincitatif pour les emplois classiques.  

Une majorité de femmes aimerait travailler un nombre d’heures plus important (idéalement 27 heures par semaine), ce qui correspondrait à 40,5 millions d’heures hebdomadaires travaillées supplémentaires, soit près d’1 million d’emplois en équivalent temps plein (selon E. Spitznagel et S. Wanger 2012). Cette offre de travail supplémentaire pourrait en partie répondre à la demande de travail des entreprises en particulier sur les emplois qualifiés et dans le secteur des entreprises.

Le Jobs Act en Italie : un bilan d’étape

L’agenda italien des réformes relatives à l’emploi et au marché du travail a connu une accélération entre mai 2014 et la fin 2015, avec l’adoption des mesures dites « Jobs Act » par le gouvernement de Matteo Renzi. Alors que le taux de chômage avait atteint le taux record de 13% fin 2014 après plusieurs années de récession, l’objectif était d’introduire en Italie le principe de la flexi-sécurité sur le marché du travail et de résorber un dualisme croissant entre les salariés en contrat à durée indéterminée, et ceux titulaires de contrats plus précaires.

Parmi les mesures adoptées, la plus emblématique a été l’instauration du CDI dit à « protection croissante », qui est en réalité une modification du régime des licenciements injustifiés. Jusqu’alors, la règle prévalant était celle de la réintégration automatique du salarié dans l’entreprise, lorsque le juge déclarait le licenciement injustifié. Désormais, le juge est tenu par un barème fixe d’indemnisation proportionnel à l’ancienneté du salarié (l’indemnité variant entre 4 mois et 24 mois de salaire), la réintégration du salarié n’intervenant que dans quelques cas exceptionnels. Par ailleurs, pour réduire les contentieux après licenciement, le Jobs Act introduit une possibilité de rupture négociée à l’initiative de l’employeur comprenant une indemnisation fixée par la loi. Toutefois, ces nouvelles règles ne s’appliquent qu’aux nouveaux CDI, le stock de 14,5 millions de salariés italiens titulaires de CDI en cours demeurant soumis aux anciennes dispositions.

Afin de créer un choc d’embauches en CDI, une exonération totale de cotisations sociales employeur pendant trois ans (avec un plafond de 8000 € par an) bénéficie aux contrats signés en 2015. Le dispositif est reconduit en 2016 mais avec une exonération limitée à 40% pendant 2 ans.

L’assurance-chômage est réformée dans le but d’unifier les régimes d’indemnisation, d’améliorer le montant et la durée de l’indemnisation, tout en renforçant la conditionnalité des aides. 

Le Jobs Act ambitionne également d’instaurer en Italie une véritable politique nationale en matière de politiques actives de l’emploi, avec la création d’une Agence pour les politiques actives de l’emploi (ANPAL) destinée à mieux coordonner l’action des différents acteurs locaux, publics et privés et améliorer le placement des demandeurs d’emploi.

Quels résultats, deux ans et demi après le lancement du Jobs Act ?

Evolution du PIBSous l’effet des incitations fiscales, les signatures de CDI ont été en nette hausse en 2015 (1 579 000 CDI bénéficiaires des exonérations, 934 000 créations de CDI nettes des destructions), mais sont revenues à un niveau modéré en 2016 (83 000 créations de CDI nettes), malgré la poursuite des allègements de charges sociales. Plus généralement, l’emploi a évolué plus rapidement que le PIB réel depuis début 2014, avec la création d’environ 600 000 emplois nets depuis trois ans (alors qu’un million d’emplois nets avaient été détruits depuis 2007). Toutefois, la baisse du taux de chômage est restée limitée (de 12,8 % fin 2014 à 11,5% fin 2016) en raison de la hausse de la participation au marché du travail.
Le dualisme du marché du travail est toujours marqué, le poids des CDD et des contrats atypiques dans l’emploi total étant de 35%. On observe enfin une baisse du chômage des jeunes, qui demeure au-delà de 30%, mais pas de réduction de l’écart entre hommes et femmes ou entre les régions du Nord et celles du Sud.
Si le Jobs Act devrait à long terme favoriser l’emploi et la modération salariale, il est encore prématuré de tirer un bilan de la flexi-sécurité italienne compte tenu du poids encore majoritaire des CDI traditionnels dans l’ensemble du salariat.

Le modèle suédois

Les annonces de plans sociaux entraînent rarement des réactions fortes dans les media ou chez les partenaires sociaux en Suède, ce qui peut surprendre ; à titre d’exemple, l’annonce, à l’automne 2016, du plan social d’Ericsson (3 000 licenciements) n’a pas donné lieu à manifestation alors que les emplois concernés étaient majoritairement localisés en Suède. Cette acceptation de la flexibilité des emplois peut s’expliquer, en partie, par trois caractéristiques très spécifiques du marché du travail suédois :

Les partenaires sociaux sont puissants en Suède (taux de syndicalisation de l’ordre de 70%) et s’accordent sur certains principes fondamentaux :

  • Ce sont les partenaires sociaux qui jouent un rôle déterminant dans la production de la norme sociale par le biais des conventions collectives (pour l’essentiel au niveau des branches), l’État jouant un rôle subsidiaire en la matière.
  • Le dialogue social est fondamentalement non conflictuel et tourné vers la préservation de la compétitivité des entreprises suédoises. Le principe du licenciement pour motif économique n’est, par conséquent, jamais contesté lorsqu’il survient dans une entreprise, mais ses modalités sont toujours négociées.

La Suède applique une stratégie pour le marché du travail qui peut se résumer en trois points :

  • Inciter à l’activité. La Suède présente aujourd’hui le taux d’activité global et le taux d’activité féminine le plus élevé de l’Union européenne, et le 2ème plus élevé pour les seniors. Les politiques publiques soutiennent pleinement cet objectif, qu’il s’agisse de la politique familiale ou des seniors (cumul possible d’une retraite et d’un emploi).
  • Accroître le niveau de qualification de la population active. Le niveau de qualification initiale est très supérieur en Suède à la moyenne de l’UE : au cours des vingt dernières années (1995-2015), la part des personnes faiblement qualifiées (niveau d’enseignement primaire) a chuté de 10 points (de 25,9% à 15,7%), tandis que la part des diplômés de l’enseignement supérieur a, elle, augmenté de 10 points (39,8% contre 27,7%), soutenue là aussi par une politique incitative (Studentbidrag). La formation professionnelle tout au long de la vie est également l’un des piliers du marché du travail suédois : plus de deux tiers des Suédois de 25 à 64 ans (72% en 2011) suivent au minimum une formation au cours de l’année, soit le plus haut taux de l’Union européenne.
  • Privilégier la demande en travail qualifié et la montée en gamme de la production à haute valeur ajoutée. La part de l’emploi peu qualifié dans le marché du travail en Suède était en 2015, et de très loin, la plus faible de toute l’UE, avec un taux de 4,8% contre 10,2% en France et 9,2% dans l’UE-28.

Enfin, les partenaires sociaux ont mis au point depuis les années 1970, avec les Conseils de sécurité de l’emploi (il en existe une quinzaine, spécialisés par secteur ou par niveau d’emploi, qui couvrent désormais 80% de la main d’œuvre suédoise), des dispositifs efficaces d’accompagnement et de retour à l’emploi des salariés licenciés. Le dispositif d’indemnisation publique du chômage n’est, en effet, pas très généreux ; la prestation fournie par l’assurance chômage (A kassan) est plafonnée, dégressive et limitée dans le temps, ce qui renforce l’intérêt de ces mécanismes de protection conventionnels. Les salariés licenciés qui bénéficient de la protection des Conseils de sécurité de l’emploi peuvent en effet percevoir, selon les cas, de revenus de remplacement complémentaires et, surtout, se voient proposer un accompagnement personnalisé de retour à l’emploi (formation, suivi) pendant les premiers mois de chômage. Ce dispositif est très efficace puisqu’au total, entre 80% et 90% des salariés ayant bénéficié d’un tel suivi retrouvent un emploi.

Le mini-job est un emploi à temps partiel par définition puisqu’il est plafonné à un revenu mensuel de 450 euros, ce qui correspond à un plafond théorique de 50 heures par mois (SMIC à 8,84€ depuis le 1er janvier 2017).

 

Illustration marché du travail