Le mix énergétique du Japon : situation actuelle et perspectives (2017)
Une version plus récente de cette note est disponible : Le mix énergétique du Japon - situation actuelle et perspectives (2018).
Le Japon a récemment dévoilé son mix énergétique et électrique prévu à l’horizon 2030. Il en ressort principalement une volonté d’augmenter le recours aux énergies renouvelables, renouveler le parc nucléaire japonais et ainsi diminuer le recours aux énergies fossiles qui vont malgré tout garder une place importante dans le bouquet énergétique japonais. Au regard de ces évolutions, les enjeux pour la France, partenaire de longue date du Japon, sont à prendre en considération afin de définir le positionnement français à long terme par rapport à la stratégie japonaise.
1. Vue d’ensemble sur le mix énergétique japonais actuel et visé à l’horizon 2030
1.1 La vision énergétique officielle du Japon en 2030 inclut, premièrement, une baisse de la demande finale d’énergie, grâce à une amélioration de l’efficacité énergétique de 35% comparée à 2013. La demande d’électricité devrait cependant augmenter en valeur absolue (de 83,1ktep en 2013 à 84,3ktep en 2030) comme en relatif (de 25% de la demande finale en énergie en 2013, à 28% en 2030).
1.2 Le mix énergétique global prévu en 2030 est plus diversifié que le mix 2015 (graphique ci-contre) mais aussi que le mix 2010 (avant l’arrêt du nucléaire suite à la catastrophe de Fukushima). Il est composé de moins d’hydrocarbures (25% de charbon, 33% de pétrole, 18% de gaz, soit un total de 76% contre 82% en 2010 et 88% en 2015), de davantage d’énergies d’origine renouvelable (14% en 2030 contre 4% en 2010 et 7% en 2015) et d’une part légèrement diminuée de nucléaire (11% en 2030 contre 13% en 2010).
En conséquence, le taux d’indépendance énergétique du Japon devrait atteindre 24% en 2030 (comparé à 20% en 2010 et 6% en 2015) et les émissions de CO2 devraient diminuer de 25% par rapport à 2005, malgré une consommation maintenue de charbon, notamment grâce à l’utilisation des technologies de capture et stockage de carbone et des centrales à charbon plus performantes[1].
1.3 Concernant la production d’électricité, qui est au cœur de l’attention du gouvernement depuis 2011, l’augmentation de la part renouvelable (24%, dont 7% solaire et 4% biomasse) et le retour du nucléaire (22%) permettraient de réduire le recours aux hydrocarbures, avec 27% de GNL, 25% de charbon et 3% de pétrole. Outre les effets positifs sur les émissions de gaz à effet de serre et l’indépendance énergétique, ce mix permettrait du Japon de mieux maîtriser le prix de l’électricité.
2. Vers un développement accru des énergies renouvelables, en phase avec les objectifs de réduction de gaz à effet de serre définis par l’Accord de Paris
Avec le difficile redémarrage des centrales nucléaires, qui se heurte à l’opposition de l’opinion japonaise et à des recours devant les tribunaux, le Japon va miser sur un développement intensifié des énergies renouvelables en vue de réduire sa dépendance aux énergies fossiles.
2.1 En vue de réaliser son mix énergétique bas-carbone, le Japon prévoit de promouvoir et développer les énergies renouvelables de 17% actuellement à 22-24% en 2030 dans son mix électrique, et de 7% à 14% dans le cadre de son mix énergétique global. La décomposition de l’objectif d’énergies renouvelables[2] donne une place importante au solaire et à la biomasse, au détriment de l’énergie éolienne (coûts de construction) et géothermique (opposition de l’influente industrie des sources thermales).
2.2 Le gouvernement japonais a instauré en 2012 des tarifs d’achat particulièrement attractifs pour l’électricité renouvelable, qui ont favorisé l’émergence de multiples projets, notamment de centrales solaires (tarifs les plus attractifs). Ces tarifs pèsent cependant de plus en plus sur la facture des consommateurs ; le gouvernement a donc entamé en 2015 une diminution des tarifs pour le solaire et l’éolien, baisse qui se poursuivra en 2017.
2.3 La stratégie japonaise de développement des sources renouvelables est aujourd’hui limitée à la question de la production électrique – qui représente pourtant moins d’un tiers du paysage énergétique. La politique du Japon en matière de carburants alternatifs (hors électricité et hydrogène) est peu diffusée, et il n’existe pas de politique pour la production de chaleur/froid (pour l’industrie et le résidentiel-tertiaire) à partir de sources renouvelables non électriques. Le développement des énergies marines est par ailleurs peu évoqué.
2.4 Le développement de l’électricité renouvelable au Japon se heurte à de nombreuses difficultés : intermittence du solaire et de l’éolien non compensable par des imports/exports (aucune interconnexion avec les pays voisins, et des interconnexions très limitées entre les régions), un réseau électrique peu optimisé, des technologies de stockage encore en développement (hydrogène, batteries), un manque d’espace pour le solaire, des difficultés à développer la géothermie dans les parcs nationaux, un coût élevé de la ressource bois-énergie, opposition de lobbies (électriciens historiques globalement peu enclins à remplacer leur appareil de production nucléaire/fossile par de nouvelles installations renouvelables, une industrie de la pêche opposée à l’exploitation des énergies marines, lobby des sources chaudes opposés au développement de la géothermie, etc.). Ce développement n’est d’ailleurs pas favorisé par l’organisation des ministères japonais : le MOE et le METI travaillent séparément sur la question de la décarbonation du bouquet énergétique, mais leurs missions respectives ne sont pas clairement établies, et le pilotage d’ensemble n’est pas bien identifié. Des divergences de fond existent entre ces ministères, par exemple sur la question du marché carbone.
3. Une forte volonté de conserver l’énergie nucléaire comme solution à long terme, avec un renouvellement du parc nucléaire
3.1 Depuis la catastrophe de Fukushima et l’arrêt des centrales nucléaires, l’électricité d’origine nucléaire couvre une part très faible des besoins – elle ne représente en 2015 qu’1% du mix énergétique. Le gouvernement a la volonté de relancer la filière, par le redémarrage progressif des réacteurs mais également de nouvelles constructions pour atteindre 11% du mix énergétique global (22% du mix électrique) en 2030[3]. Cependant des doutes pèsent sur la filière nucléaire, liés aux contrôles plus stricts de l’autorité de sûreté nucléaire, à l’opposition publique et aux contraintes techniques. En mai 2017, seuls 3 réacteurs sont en service alors que le redémarrage de 5 à 7 réacteurs était attendu pour fin 2016.
3.2 Le Japon et la France partagent des orientations identiques dans le secteur nucléaire qui consistent à réduire la part du nucléaire, tout en la maintenant à un niveau significatif, et renouveler leur parc nucléaire avec des technologies plus sûres. En septembre 2016, le METI réaffirme clairement le rôle de l’énergie nucléaire dans le mix énergétique japonais et l’ambition de renouveler le parc nucléaire japonais conformément aux objectifs suivants : utilisation efficiente des ressources domestiques, obtention des technologies les plus avancées dans le monde, rentabilité des projets, établissement d’un système fondé sur la responsabilité, réduction du volume et de la nocivité des déchets.
4. Des énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) qui restent largement majoritaires en 2030, malgré une volonté de diminuer leur part
4.1 Le gaz naturel (liquéfié pour son acheminement au Japon) continuera d’occuper une place importante dans le bouquet énergétique. Le gaz naturel représentera en 2030 27% de la production électrique (39% en 2015, 29% en 2010) et 18% de la production énergétique totale (23% en 2015, 18% en 2010).
(i) Représentant déjà 30% des importations mondiales en 2016, le Japon veut se positionner comme leader du marché mondial du GNL, favoriser l’établissement d’un marché mondial fluide et transparent, et devenir une plaque tournante des transactions du GNL d’ici 2020. La création en 2014 de la joint-venture JERA (TEPCO et Chubu Electric Power), qui représente aujourd’hui un volume annuel de 40 millions de tonnes (sur un marché japonais de 80 millions de tonnes et un marché mondial de 240 millions de tonnes) s’inscrit dans cet objectif. Ce dernier est cependant mis à mal par l’avance prise par Singapour, son principal concurrent, qui s’est érigée en hub des opérations GNL et dont la position est maintenant reconnue par les maisons de commerce japonaises.
(ii) La stratégie énergétique japonaise mise sur la stabilité du marché du GNL et la diversification des sources afin de renforcer la sécurité énergétique. A la poursuite de cet objectif, le gouvernement japonais s’est efforcé d’obtenir un approvisionnement stable en GNL en provenance de la Russie, avec la signature de l’Accord de coopération économique nippo-russe de décembre 2016, et des Etats-Unis, avec des importations massives de GNL produit à partir de gaz de schiste américain, au moyen de contrats à long terme.
4.2 Dans les mix énergétique et électrique 2030 envisagés, le charbon tient toujours une place significative qui semble peu compatible avec l’effort global contre le changement climatique. Le mix énergétique japonais 2015 est composé à 28% de charbon, l’objectif 2030 étant fixé à 25%. Pour ce qui concerne le mix électrique, une baisse de 34% actuellement, à 26% en 2030, est prévue par le gouvernement.
(i) Pour répondre aux préoccupations environnementales, le Japon[4] a fait le choix de développer et promouvoir sur son territoire et à l’international des technologies de « charbon propre ». Il s’agit essentiellement de centrales plus efficaces (réponse à court terme, déjà disponible et promue par le Japon notamment dans les pays en développement d’Asie) et de systèmes de capture et stockage de carbone (réponse à plus long terme, les technologies n’étant pas encore matures), dont les observateurs – notamment les énergéticiens français – s’interrogent sur la façon dont le Japon pourra les déployer sur son territoire compte-tenu du manque d’espace, qui pénalise déjà le développement des énergies renouvelables et la relance du nucléaire.
(ii) Le charbon utilisé par le Japon provient essentiellement d’Australie (1er fournisseur) et d’Indonésie (2ème). Alors que le gouvernement japonais envisage déjà d’importer de l’hydrogène de producteurs étrangers, l’Australie se positionne pour devenir fournisseur en mettant en avant ses réserves de charbon brun, avec la Norvège comme principal concurrent, offrant notamment une production décarbonée d’hydrogène en s’appuyant sur les énergies renouvelables (barrages hydroélectriques et centrales éoliennes).
4.3 La tendance actuelle est à la réduction de la consommation de pétrole, de 43% actuellement à 33% en 2030 dans le mix énergétique visé, et de 9% à 3% au sein du mix électrique. Les principaux fournisseurs du Japon sont l’Arabie Saoudite (33%), les Emirats Arabes Unis (25%) et la Russie (9%). Le gouvernement japonais n’a pas encore fait part des mesures concrètes qui seront mises en place pour atteindre les objectifs importants de baisse de la part du pétrole. Il est à noter, cependant, une claire volonté d’assurer un approvisionnement en ressources énergétiques à long terme stable et peu coûteux avec la signature en mars 2017 d’un accord avec l’Arabie saoudite qui représente pour le Japon une opportunité d’obtenir de nouvelles concessions pétrolières, et une intention affichée d’entamer des négociations avec l’Iran.
5. Les enjeux pour la France au regard des orientations du mix énergétique japonais
5.1 En vue de réaliser les objectifs de l’Accord de Paris et assurer la mise en place d’un marché énergétique mondial sûre et stable, la France soutient le développement des énergies décarbonées(renouvelables, nucléaire) et met en avant ses positions sur la stratégie énergétique japonaise.
(i) Dans le cadre de l’effort global contre le changement climatique, les objectifs fixés par l’Accord de Paris tendent vers une réduction des émissions de gaz à effet de serre notamment au moyen de la substitution des énergies fossiles par des énergies renouvelables. Le développement du « charbon propre », prôné par le gouvernement et le secteur privé japonais, n’est pas en phase avec ces orientations : même avec des centrales plus efficaces, le charbon reste une source importante de gaz à effet de serre. La France peut valoriser sa stratégie de sortie du charbon, et contribuer à la promotion du modèle européen de marché carbone, qui conduit les opérateurs énergétiques vers des énergies décarbonées.
(ii)La France peut également valoriser auprès du Japon sa politique énergétique d’ensemble, matérialisée par son plan pluriannuel pour l’énergie, avec des objectifs de diversification du mix qui couvrent la production électrique mais aussi les énergies non électriques consommées par les transports ou encore la production de chaleur et de gaz (biocarburants, chaleur et froid renouvelable, biogaz, énergies marines…). Ces aspects sont en effet encore peu développés dans la stratégie japonaise de décarbonation et diversification, très centrée sur l’électricité. La France peut également partager l’expérience de l’organisation administrative qu’elle a mise en place au cours des 10 dernières années pour renforcer les liens entre énergie et climat dans ses politiques publiques.
(ii) L’énergie nucléaire représente 17% du mix énergétique français et 78% de la consommation électrique française. Dans les deux pays, et encore plus depuis Fukushima, cette énergie souffre d’une perte de confiance. Au plan politique, la France et le Japon partagent donc un enjeu commun de développement responsable d’une énergie nucléaire sûre et économique. Les liens de partenariat politique en la matière ont été renforcés en mars 2017 avec un accord signé par les Ministres de l’énergie des deux pays.
5.2 Dans le domaine industriel, la valorisation et l’exportation du savoir-faire développé par le secteur privé français dans les nouveaux modes de production énergétique constitue également un pilier de la stratégie française en vue de contribuer à l’effort global contre le changement climatique.
(i)Dans le secteur des énergies renouvelables, le secteur privé français se positionne progressivement au Japon avec des technologies novatrices, à l’image d’Ideol (éolien flottant), DCNS (turbines marémotrices), Ciel et Terre (centrales solaires flottantes) et Energy Pool (effacement de pics de consommation). Les grands groupes comme Veolia, Total ou Bouygues se positionnent également, avec des projets de centrales solaire ou biomasse, dont le financement est possible grâce aux tarifs d’achat soutenus par le gouvernement. Les acteurs privés français et japonais coopèrent également sur les énergies renouvelables dans les pays tiers, à l’image du projet de Total et Mitsubishi pour une centrale solaire au Kenya, ou des nombreuses coopérations entre EDF et les maisons de commerce japonaises pour le solaire et l’éolien dans les pays en développement. Sur le plus long terme, dans le cadre de la politique de développement des PPP poussée par le gouvernement japonais et de l’obligation des collectivités de se doter de plans climat locaux, de possibles ouvertures dans le domaine des énergies renouvelables, par nature plus locales, décentralisées et donc à la portée des collectivités, comme cela existe déjà en France, pourraient apparaître.
(ii)La France est très attachée au partenariat franco-japonais dans le domaine de l’énergie nucléaire, qui constitue un élément majeur de la relation bilatérale. La déclaration du Président de la République le 20 mars 2017 souligne d’importants progrès dans ce partenariat. Notre coopération dans le domaine de la sûreté nucléaire reste fondamentale pour assurer un développement responsable de cette énergie, et permettre le retour de la confiance. De nombreuses coopérations franco-japonaises existent au niveau du secteur privé, à l’image des projets SINOP en Turquie (porté par le consortium composé des groupes Areva, Engie, MHI et Itochu) et NuGen en Grande-Bretagne (coentreprise constituée entre Engie et Toshiba). La coopération franco-japonaise se décline également sur le plan de la recherche avec le projet de réacteur rapide de 4ème génération ASTRID. Enfin, MHI a signé en 2017 un accord avec Areva pour une participation au sein d’Areva NP à hauteur de 15%.
(iii) Dans le secteur des énergies fossiles, les géants gaziers français se positionnent de façon déterminante avec une présence forte sur le marché asiatique du GNL (partenariat entre JERA et les groupes EDF et Total ; partenariat entre Engie et des compagnies régionales gazières japonaises). Concernant le charbon, la stratégie des énergéticiens français est dans la ligne de l’accord de Paris : Total et Engie ont clairement indiqué leur volonté de sortir du charbon, et EDF a entamé une sortie progressive avec la vente de ses actifs. Les enjeux sur le charbon pour les industriels français sont donc davantage sur l’encouragement des secteurs publics et privés japonais à réduire plus fortement la part de cette énergie et à orienter leurs choix vers les filières sur lesquels la France mise désormais – renouvelables, gaz, nucléaire – et pour lesquelles elle peut exporter son savoir-faire.
[1]Outline of Long-term Low-carbon Vision, March 2017, MOE
[2] Hydroélectrique : 8,8 à 9,2% ; Solaire : 7% ; Biomasse : 3,7 à 4,6% ; Eolien : 1,7% ; Géothermique : 1 à 1,1%.
[3] Avant l’accident de Fukushima, l’objectif était fixé à 50% d’énergie nucléaire dans le mix électrique 2050.
[4] Le Japon entretient notamment des dialogues officiels avec le Vietnam et l’Indonésie (2ème fournisseur de charbon du Japon, après l’Australie) sur la politique énergétique à adopter dans le secteur du charbon, principalement en vue de promouvoir une coopération plus forte pour l’exploration de mines de charbon et l’utilisation du charbon afin de générer de l’énergie.