La ville de Tokyo, à l’instar du reste du Japon, a été confrontée à de sérieux problèmes de pollution de l’air durant la seconde moitié du 20ème siècle. A travers un certain nombre de décrets et d’actions allant au-delà des obligations réglementaires nationales, la ville a joué un rôle pionnier dans la lutte contre la pollution de l’air, tant d’origine industrielle (énergie notamment) qu’automobile. Il en résulte que l’agglomération de Tokyo, première au monde en termes de population et de PIB, connaît également l’une des meilleures qualités de l’air au monde comparée aux autres grandes métropoles Des défis persistent cependant dans la lutte contre les particules fines et la formation d’ozone.

1. Tokyo, une ville à la pointe de la lutte contre la pollution de l’air

1.1. La lutte contre le dioxyde de soufre a marqué l’un des premiers succès de la ville de Tokyo. Le boom industriel du Japon au sortir de la seconde guerre mondiale s’est accompagnée d’une forte augmentation de la présence dans l’air de suie, poussières et d’oxydes de soufre, y-compris dans l’agglomération de Tokyo qui de tout temps ajoué un rôle économique prépondérant. Si le gouvernement central n’a pas immédiatement réagi, le Tokyo Metropolitan Government (TMG) a publié dès 1949 le premier décret du Japon[1]  sur la prévention de la pollution industrielle. En 1968, tandis que la loi nationale sur le contrôle de la pollution de l’air est promulguée, le TMG va au-delà et conclut des accords avec plus de 800 entreprises, en particulier l’électricien TEPCO[2]. Cet engagement donne lieu à des résultats rapides: dès 1973, on compte 37 tonnes de soufre par jour en moins. Entre 1970 et 2000, le taux de dioxyde de soufre dans l’air a connu une baisse drastique de 86%. En 2012, les taux mesurés en ville et à proximité des routes étaient en tout lieu conformes aux standards japonais[3].

1.2. Bien qu’étant la plus grande agglomération mondiale avec 37 millions d’habitants et un PIB de 1480 Mds USD à PPA en incluant les préfectures attenantes de Kanagawa, Saitama et Chiba, Tokyo est considérée comme une ville référente en matière de qualité de l’air[4]. A titre d’illustration, les pouvoirs publics mettent en avant le fait qu’il y est possible d’y voir plus de 100 jours par an le Mont Fuji, pourtant situé à plus de 100 km. Lorsque l’on compare aux autres grandes agglomérations d’Asie[5], Tokyo présente la meilleure qualité de l’air[6]

2. La baisse de la pollution automobile, un succès emblématique

Circulation dans Tokyo2.1 Au début des années 2000, le TMG devance à nouveau la réglementation nationale, sur la question des véhicules roulant au diesel. Le TMG opte pour une approche originale en établissant des standards différenciés pour les véhicules déjà sur le marché et les véhicules neufs alors que la réglementation nationale ne cible que les nouveaux véhicules. Le diesel n’est pas interdit mais des standards sont mis en place et progressivement renforcés afin de rendre obligatoires les filtres à particules (DPF), ou pots catalytiques (DOC) pour les voitures plus récentes. Cette même approche sera ensuite adoptée par les trois préfectures voisines (Chiba, Saitama et Kanagawa) qui participent du même bassin économique. La réglementation de la préfecture de Tokyo n’en reste pas moins la plus stricte, avec des délais plus courts de mise en conformité avec les standards d’émission locaux ou nationaux.

2.2. Pour accompagner la mise en place de ces standards, le TMG a lancé en 1999 la campagne « Non au diesel » qui, portée par le maire Ishihara, connait un fort retentissement médiatique. Dès l’année suivante, le décret local sur la sécurité environnementale (Tokyo Metropolitan Environmental Security Ordinance) est promulgué. Pour accompagner la transition, un ensemble de subventions à l’achat est mis en place[7]. Par ailleurs, au niveau du gouvernement central, un dialogue est conduit avec la Petroleum Association of Japan pour promouvoir les carburants à très basse teneur en soufre. Parallèlement, des systèmes de contrôle[8] sont mis en place dans la capitale afin d’assurer la bonne application du décret.

2.3. L’optimisation du trafic routier[9] constitue un levier supplémentaire pour réduire les émissions. Parallèlement la ville a mené une politique volontariste de fluidification du trafic sur plus de 200 points noirs (tronçons ou carrefours) entre 2003 et 2008. Celle-ci a permis des gains de durée de transport de 30 % en période de pointe et 12% en moyenne journalière[10].

Les principales actions étaient la lutte contre le stationnement[11] gênant (campagne de communication, contrôle plus strict, mise en place d’espace de livraison dans les parkings payants, création de zone spécifique pour les taxis…), une meilleure coordination de la signalisation et des travaux de restructuration de certaines zones (notamment par une optimisation de l’espace « libéré » par la lutte contre le stationnement gênant). Même si l’objectif premier de cette politique n’était pas la baisse de la pollution, des contrôles comparatifs (2003-2008) de pollution ont mis en évidence des gains de 60% en concentration de NOx et des baisses d’émission par voiture allant jusqu’à 20-30% en certains points.

2.4. Des résultats remarquables sont aujourd’hui mesurés, à l’issue d’une décennie d’action locale renforcée. Si le fait que ces diverses mesures[12] aient été prises en même temps ne permet pas d’évaluer avec précision l’efficacité d’une mesure isolée, la part des véhicules particuliers roulant au diesel à Tokyo est passée de 5,8% en 1999 à 0,7% en 2013[13]. En 2000, les émissions de dioxyde d’azote, gaz causant divers problèmes respiratoires[14] et intervenant dans la formation de l’ozone, s’élevaient à 73 700 tonnes à Tokyo . Les automobiles étaient à l’origine de 56% de ces émissions, dont 44% provenant des véhicules diesel qui ne représentaient pourtant que 14,4% du parc de véhicules. En l’espace de 10 ans, ces émissions ont diminué de 46% et la part liée au diesel est tombée à 38%. Les standards du ministère de l’Environnement en matière de dioxyde d’azote sont désormais atteints dans 89 des 91 points de mesure de la ville[15].

3. Les particules fines et l’ozone, des défis persistants

3.1. La principale origine de particules fines à Tokyo étant le trafic routier[16], le corolaire des mesures précédentes fut une baisse sensible (-55%) du taux de particules fines dans l’air entre 2001 et 2011. Cependant, en 2012, seules 65% des stations de mesure de l’air ambiant et 25% des stations de mesure en bordure routière affichaient un taux annuel répondant aux standards japonais[17]. La provenance de ces particules fines (PM2.5) n’est pas parfaitement identifiée : le TMG dit ignorer l’origine d’environ 33% des particules fines présentes dans l’air de la capitale.

3.2. Des mesures ont également été prises afin de limiter les composés organiques volatils (COV)[18], Les mesures prises par le TMG incluent notamment la mise en place d’un programme de conseil pour les PME afin d’identifier les gisements de réduction d’émissions ainsi que préconiser, le cas échéant, un prêt à taux préférentiel.  

 

Télécharger les tableaux annexes (PDF) :

  • Comparaison des seuils de pollution de l’Air
  • Réglementation à Tokyo et règlementation nationale
  • Comparaison avec des villes d’Asie


[1] Il faudra attendre 1962 pour la première loi nationale sur le sujet.

[2] En 1968, la ville de Tokyo, qui préparait un décret pour la prévention de la pollution, s’est retrouvée en négociation avec TEPCO pour la construction d’une centrale thermique d’Ooi. La collectivité voulait que TEPCO prenne des mesures suffisantes en matière de lutte contre la pollution. La négociation fut largement diffusée dans les médias. Finalement, TEPCO a accepté une réduction des émissions de gaz à acide sulfureux des centrales thermiques (nouvelles et existantes), une obligation de l’utilisation de pétrole à faible teneur en soufre, la possibilité pour la ville de faire une inspection sur site et un principe de transparence. Par la suite, la mairie de Tokyo a signé un accord similaire avec Tokyo Gas. Ces accords demandaient aux entreprises un critère plus sévère par rapport à la loi 1968. Par décret, la mairie de Tokyo a étendu certaines de ces mesures à d’autres sites en 1969.

[3] La valeur limite au Japon pour le dioxyde de soufre est de 105 µg/m3 (moyenne journalière des valeurs horaires).

[4] Sur le site participatif numbeo.com, Tokyo a un meilleur indice pour la qualité de l’air que Singapore, Paris, Shangai, Toronto, Londres, New York.

[5] Comparaisons sur les concentrations de NO2, SO2 et PM10 avec Shangaï, Singapore, Taipei, Séoul, Hong-Kong, Pékin, Source : Asia Green City  A research project conducted by the Economist Intelligence Unit (voir annexe)

[6] A l’exception de la concentration de NO2, où seule la ville de Singapore a un taux moins élevé.

[7] Entre 2001 et 2003, plus de 50 000 véhicules en bénéficient. Des prêts bonifiés sont également accessibles pour les PME durant cette période.

[8] Caméras sur les voies express, équipes d’inspecteurs mobiles (création en 2001 du « Tokyo Metropolitain Vehicule pollution regulators»), mise en place d’un numéro vert permettant aux citoyens de signaler un véhicule polluant etc.

[9] Toujours dans l’objectif de fluidifier le trafic plus avant dans la ville, trois rocades sont en cours de construction et devraient être achevées à 90% d’ici les Jeux olympiques de 2020. D’une manière générale, la fréquentation routière à Tokyo a baissé (-3,2%) depuis 1999. Le taux d’utilisation de la voiture pour les déplacements domicile travail est passé 9%de 9% à 4% entre 1998 et 2008 (contre respectivement  74% et 79% pour le transport ferroviaire).

[10] L’objectif était de gagné 20 % de temps lors des périodes de pointes et 10 %  en moyenne dans la journée.

[11] Lors de l’acquisition d’une automobile, il est obligatoire de disposer d’une place de parking enregistrée à moins de deux kilomètres de son domicile. Vu la difficulté de stationner dans la rue, tout déplacement en voiture est à destination de parking payant. Autre évolution récente la loi qui obligeait les constructeurs à prévoir des places de parking en fonction de la taille de chaque nouveau bâtiment lors de sa construction a été dérégulée et les collectivités peuvent désormais fixer par décret la taille limite donnant lieu à construction d’une place de parking pour les nouveaux bâtiments. La ville de Tokyo a ainsi assoupli en 2014 la réglementation afin de favoriser les transports en commun : Dans tout bâtiment de plus de 10000m² et avec une surface logement de plus de 2000m², une place de parking pour 300m² devait être prévue contre 350 actuellement.

[12] Autre exemple la grande majorité des taxis à Tokyo roulent au gaz, des stations de ravitaillement spécifiques sont mises en places.   

[13] Parallèlement, elle est passée de 15,2 à 6,7% pour l’ensemble des véhicules (y-c. camions et bus).

[14] Réduction de la fonction pulmonaire, bronchites chroniques, etc.

[15] Les deux stations outrepassant les standards étant situées en bordure de route. A Paris, où les oxydes d’azote proviennent à 50% du trafic routier, la tendance est plutôt à la stagnation qu’à la baisse et les standards sont dépassés sur les 5 stations de suivi situées à proximité de routes

[16] A Paris également, en situation de trafic, le diesel est responsable de 90% des particules fines émises par le trafic francilien (Airparif et LSCE-2011).

[17] Moyenne annuelle de 15µg/m3 ; cf. annexe : comparaison des valeurs limites françaises et japonaises

[18] Difficiles à comptabiliser mais dont on sait qu’ils sont notamment émis par les activités humaines et qu’ils jouent un rôle dans la formation de l’ozone et des pics de pollution, notamment en réaction avec les oxydes d’azote. A Tokyo, les principales causes d’émissions de VOC sont les peintures (bâtiment, domestique, etc.) à travers l’utilisation de certains solvants (36% des émissions)