TUNISIE
Indicateurs et Conjoncture
Alors que ses fondamentaux étaient déjà fragiles, l’économie tunisienne a été affectée par les chocs exogènes récents et a vu ses vulnérabilités s'accroître
L’instabilité politique qu’a connue la Tunisie depuis la révolution de 2011 n’a pas aidé à résorber les faiblesses structurelles de l’économie. Alors que le taux de croissance annuel moyen passait de 4,3 % dans les années 2000 à 1,7% durant la décennie 2010, les reculs de la productivité et de l’investissement ont affaibli le potentiel de croissance et la compétitivité, fragilisant ses équilibres extérieurs. Dépendante de la consommation, l’activité est aussi exposée aux aléas cycliques des secteurs agricole (9% du PIB) et touristique (5% du PIB, plus de 10% avec les retombées indirectes) ; le secteur manufacturier exportateur, dont le développement depuis les années 1970 est resté insuffisant pour rééquilibrer le déficit commercial structurel, est exposé aux marchés européens (70% des exportations). Le poids du secteur public et une règlementation complexe des activités économiques continuent de peser sur l’investissement, l’innovation et la concurrence, pénalisant la compétitivité et la croissance potentielle.
Ces vulnérabilités structurelles ont amplifié l’impact des chocs exogènes subis depuis 2020 (crise du Covid, crise énergétique) et limité le rebond de l’activité. Après -8,8% en 2020, +4,4% en 2021 et +2,5% en 2022, la croissance en 2023 a été nulle et les prévisions pour 2024 s’établissent autour de +1,2%, ce qui fait que la Tunisie n'a pas encore retrouvé son niveau d’activité d’avant Covid (2019). Cette atonie de l'activité s’explique notamment du côté de l’offre par les conséquences de plusieurs années de sécheresse qui pèsent sur la production agricole, et par un ralentissement de l’activité industrielle en raison d'une faible croissance en Europe. Du côté de la demande, la demande intérieure souffre des difficultés de pouvoir d’achat des ménages et de l’investissement privé dans un contexte de coûts de financement domestiques élevés et de manque de visibilité à long terme sur les perspectives économiques.
Les risques sociaux sont accentués par la baisse du pouvoir d’achat des ménages, les pénuries de produits de base et un chômage encore élevé. De 4,9% fin 2020, l’inflation est montée jusqu’à un pic de 10,4 % en février 2023 et baisse lentement depuis lors (6,6% en novembre 2024). La différence entre l’évolution des prix libres (+7,4% en novembre) et encadrés (+3,7%) en particulier dans le domaine alimentaire (+9,5% contre +1,6%) témoigne de l’effet amortisseur du système de subvention des prix des produits de base (carburants et produits alimentaires de base), mais des pénuries se sont développées en lien avec les difficultés financières de l’Etat et des opérateurs en charge de leur approvisionnement. Le taux de chômage a décru depuis le pic de 18,4% atteint en 2021 mais reste élevé, à 16% au 3e trimestre 2024 (40,5% chez les jeunes de moins de 25 ans).
En ce qui concerne les équilibres externes, le déficit courant s’est nettement contracté en 2023 mais les risques demeurent. La contraction du déficit commercial grâce à l’amélioration du solde des biens (-5 Mds EUR en 2023, contre -7,8 Mds EUR en 2022), la reprise du tourisme, et la hausse des transferts de fonds de la diaspora se sont traduites par une nette résorption en 2023 du déficit courant à 2,7% du PIB, après 9% en 2022. Ce bon résultat, conjugué aux financements extérieurs obtenus, a contribué au redressement du niveau de réserves de change à 112 jours d’importations (7,5 Mds EUR) fin 2024, après une érosion continue entre fin 2020 (162 jours) et mai 2023 (95 jours). Toutefois, le niveau dégradé du risque-pays et l’absence de perspective de programme FMI, pèsent sur l’attractivité des investissements internationaux et créent un risque de tarissement des entrées de capitaux - prêts étrangers et IDE- nécessaires au financement du déficit courant.
L'endettement public pèse sur le financement de l’économie
Si la situation des finances publiques a connu une dégradation ces dernières années, faisant craindre pour leur soutenabilité, la trajectoire du déficit budgétaire est orientée à la baisse. Après 9,4% en 2020, et 7,7% en 2021 puis 2022 et 7,6% du PIB (hors dons) en 2023, le déficit public devrait se réduire à 6,3% du PIB dons inclus en 2024. La hausse de la pression fiscale (25,1% du PIB en 2024) limite l’impact du ralentissement de la croissance sur la trajectoire des ressources fiscales (+7,3% en 2023 et +11,6% en 2024), et l’accord signé avec le syndicat UGTT en septembre 2022 (hausse des salaires plafonnée à 4%/an pendant 3 ans) se traduit par un dégonflement progressif de la masse salariale (qui avait connu une hausse de +12% par an en moyenne entre 2010 et 2020) passée de 16% en 2020 à 13,5% du PIB en 2024. Mais le système de subventions à l'énergie et aux produits de base (12 Mds TND en 2023 soit 3,5 Mds EUR ou 7,2% du PIB, contre 4,6% en 2021) représente un facteur de risque sur les finances publiques en cas d'évolution défavorable des prix internationaux, de même que la dégradation de la situation financière des entreprises publiques dont une part de l'endettement est garantie par l'Etat. La trajectoire d’endettement de l’Etat, passé de 46,7% du PIB en 2013 à 83% en 2023 et attendu à 83,7% (FMI) en 2024 apparaît difficilement soutenable sans la poursuite des réformes budgétaires structurelles.
Compte tenu de la dégradation du risque-pays, l’Etat tunisien a été confronté ces dernières années à des tensions pour honorer ses besoins de financement par emprunt et s'est tourné davantage vers des prêteurs domestiques. Les besoins d’emprunt de l’Etat devraient atteindre 28,2 Mds TND en 2024 (8,5 Mds EUR soit 16% PIB ou 1/3 des ressources totales) après 22 Mds TND en 2023. Le service de la dette s’alourdirait de 4 Mds TND pour atteindre 24,7 Mds TND (7,3 Mds EUR) soit 14,1% du PIB, alimenté par le service de la dette extérieure, qui passerait de 2,6 Mds EUR à 3,7 Mds EUR en 2024. Contraint dans l’accès aux financements extérieurs en raison du risque pays élevé et de l’absence de programme FMI, l’Etat se tourne davantage vers des sources de financement interne : émissions obligataires souscrites par les banques domestiques mais aussi prêts exceptionnels de la BCT à l'Etat (7 Mds TND en 2024).
Si les risques de crise de balance des paiements ou de défaut sur la dette publique externe apparaissent modérés à court-terme compte tenu de l’évolution favorable des équilibres externes et des réserves de change, la situation dégradée des finances publiques et la dette publique élevée demeurent des facteurs de vulnérabilité pour la stabilité économique et financière. La règlementation des changes (non-convertibilité du dinar pour les résidents), dont la mise en œuvre est étroitement contrôlée par la banque centrale, ainsi que le niveau des réserves de change limitent les risques de fuite brutale des capitaux et de dépréciation rapide de la monnaie. Toutefois, les besoins de financement de l’Etat et le montant du service de sa dette (remboursement du capital et intérêts), qui représentent entre 14% et 16% du PIB par an, maintiennent une pression sur le système financier tunisien. La hausse de l’exposition des banques sur le secteur public, à travers l'achat de titres de dette souverains et l'octroi de prêts, renforce le risque de boucle souverain-bancaire. Fin 2023, les créances sur l'État et les entreprises publiques représentaient 20% du total des actifs du secteur bancaire, contre seulement 12% en 2018. Cette hausse de l'exposition des banques sur le souverain s'accompagne d'un ralentissement du crédit au secteur privé (effet d'éviction apparent).