Lituanie : des prévisions économiques revues à la baisse et l’entrée dans une phase de récéssion technique

Après une première phase de résilience remarquable face aux conséquences des tensions géopolitiques dans la région, la Lituanie est entrée en récession technique au premier trimestre 2023. Les prévisions des acteurs économiques se dissocient désormais entre pessimisme et optimisme. Alors que les tensions sur les marchés énergétiques s’apaisent, plusieurs mois seront nécessaires à la stabilisation des indicateurs économiques. En raison du resserrement monétaire de la BCE, des risques planent désormais au-dessus du marché du travail et de l’immobilier qui malgré de précédents signaux positifs voient leurs performances se détériorer en raison du ralentissement économique.

1-La croissance de l’économie lituanienne s’essouffle et les prédictions économiques divergent

Après un rebond important post-covid en 2021 (marqué par une hausse du PIB de 6%), la croissance de l’économie lituanienne s’est graduellement dégradée en 2022 et son PIB a enregistré un recul au quatrième trimestre, de 0,4% en un an. Ce niveau est bien en deçà de la croissance enregistrée dans la zone euro sur la même période (1,9%) selon Eurostat.  Le ralentissement économique est le reflet d’une inflation galopante, d’une baisse de la demande et d’une politique monétaire restrictive. L’essoufflement des activités dans le secteur des transports – en raison des sanctions sur le mouvement des biens – et dans le secteur manufacturier qui a souffert du prix de l’énergie et des matières premières ont eux aussi impacté la croissance globale.  La perte du dynamisme dans ces secteurs a été en partie contrebalancée par les performances dans les secteurs agricoles et du BTP qui ont respectivement profité d’un bon niveau de récoltes et d’une forte demande de constructions de bâtiments résidentiels.

Depuis 2022, les prévisions des observateurs économiques ont été hautement volatiles et rythmées par des abaissements continuels en conséquence du contexte instable et dégradé. Au premier trimestre, plusieurs experts ont publié leurs prévisions macroéconomiques, mais celles de la Banque de Lituanie demeurent les plus optimistes (voir l’annexe 1). Si les principales institutions tablent sur une croissance annuelle de moins d’1%, d’autres prévoient plutôt une récession économique en 2023, notamment le FMI, la SEB et Swedbank. Dans l’analyse macroéconomique du ministère des Finances parue en mars 2023, les projections de croissance pour 2023 se sont abaissées de 0,2 pp. pour atteindre 0,5%, alors que celles de la Banque de Lituanie sont restées à un niveau inchangé (+1,3%). Il est prévu que la croissance en 2023 soit tirée par une amélioration, au second semestre 2023, de la situation économique nationale avec une reprise des importations chez les partenaires commerciaux, un regain de pouvoir d’achat et de demande – puisque le revenu réel devrait repartir à la hausse en 2023 – ainsi qu’une hausse des investissements publics. Plus spécifiquement, ce sera l’utilisation accélérée des fonds européens qui permettra de stimuler la croissance, avec le nouveau cadre financier pluriannuel lancé en 2021, combiné avec plusieurs tranches du financement au titre du PNRR.

Le premier trimestre 2023 marque la deuxième contraction successive de l’activité économique en Lituanie. En glissement annuel, le PIB s’est contracté de 3,6% et il a marqué un recul de 3% par rapport au trimestre précédent. A l’heure actuelle, beaucoup d’économistes estiment qu’il ne s’agit que d’une récession industrielle temporaire – puisque la production manufacturière a diminué de 9,1% au premier trimestre et de 11% sur le seul mois de mars – qui se résorbera au deuxième trimestre. Pourtant, les ventes de détail connaissent elles aussi un déclin :  les ventes de produits alimentaires ont baissé de 7,1% sur le trimestre, celles des produits non-alimentaires ont chuté de 6,1% en mars et les investissements immobiliers suivent la même tendance. Ce sont ces facteurs ajoutés à la demande atone et l’inflation en baisse mais persistante qui sont à l’origine des prédictions économiques pessimistes. Au premier trimestre, les dépenses de consommation des ménages ont été plus retenues en raison notamment de la hausse des taux d’intérêts qui pèse sur les revenus disponibles. D’après le ministère des Finances lituanien, les prévisions de croissance de consommation des ménages devraient atteindre 0,5% en 2023 et être davantage boostées en 2024 (+3,4%). Selon la Banque de Lituanie la reprise devrait cependant intervenir dès le deuxième trimestre 2023 en raison de la résilience du marché du travail et du ralentissement de l’inflation. L’action gouvernementale permettra elle aussi de stimuler la demande des ménages. Si le budget de l’Etat lituanien 2023, adopté par le Seimas en novembre 2022, tablait sur un déficit budgétaire de -4,9%, le programme de Stabilité adopté fin avril 2023 estime que celui-ci s’établira à seulement 2,2% du PIB en 2023, en raison notamment des recettes fiscales meilleures qu’attendu et du volume des dépenses publiques inférieur aux estimations. Les mesures pensées par le Ministère des Finances contribueront à créer un bouclier tarifaire pour soutenir entreprises et ménages dans les défis géopolitiques, économiques et énergétiques que subit le pays. La dette publique lituanienne devrait osciller autour de 38% du PIB, ce qui placera ce pays au quatrième rang des niveaux les plus bas dans la zone euro.

2-Les conditions sur le marché du travail se détériorent et la situation financière des ménages pourrait davantage se dégrader

Depuis la fin 2022, les tensions sur le marché du travail se sont apaisées puisque l’on observe une baisse du nombre d’offres d’emploi (-46,6%) par rapport au printemps dernier, une réduction du nombre d’entreprises soumises à des pénuries de main d’œuvre et un léger ralentissement de la croissance des salaires. Depuis le début de l’année, le ralentissement économique montre ses premiers impacts sur le marché du travail. Le taux de chômage au premier trimestre s’établit à 7,7% marquant une hausse trimestrielle de près de 1,3 points de pourcentage. Plus précisément, c’est le chômage des jeunes – de 15 à 24 ans qui a enregistré la hausse la plus marquée – de 3,7 points de pourcentage – en un trimestre. Selon les données de la Bourse du travail, au 1er mai 2023, le taux de chômage s’est établi à 9% et le taux d’emploi a poursuivi sa pente descendante pour atteindre 71,5% sur la période. Les économistes ont justifié ces tendances par une série de facteurs : le ralentissement de l’activité du secteur industriel – qui a réduit le nombre d’employés de 2,2% depuis le début de l’année – et la hausse des taux d’intérêts qui impacte le marché du crédit.

Le marché du travail fait cependant preuve d’une certaine résilience. Le taux de participation enregistre des taux plus élevés comparé au premier trimestre 2022 et le taux de chômage est 0,5% plus faible qu’en mai 2022.

Toutes ces tendances s’inscrivent sur fond d’inflation et de resserrement monétaire. En avril 2023, l’inflation en glissement annuel a atteint 14,5%.  Mensuellement, son évolution a avoisiné les 0%, mais reste cependant tirée à la hausse par le prix des services (+1,3%) et de certains biens. Dans les mois à venir, l’inflation sera conditionnée par les changements géopolitiques de même que par l’accroissement du salaire minimum mensuel (MMA) qui pourrait davantage augmenter les coûts unitaires de production. Pour le moment, la plupart des économistes prévoient une inflation autour de 9% en 2023 et une augmentation du MMA de 10,7% à compter du 1er janvier 2024.

En mai 2023, la BCE a une nouvelle fois augmenté ses taux d’intérêts directeurs, durcissant ainsi les conditions d’emprunts bancaires. Avant cette augmentation, les taux d’intérêts sur les prêts immobiliers et de consommation s’élevaient déjà à 5,03% et 9,31% respectivement. Ce resserrement monétaire a eu un impact double sur les agents économiques D’un côté, l’augmentation de ces taux a pesé sur leurs finances, car plus de 90% des prêts accordées sont à taux variable. Malgré cela, les prêts des établissements de crédit aux résidents lituaniens ont augmenté de 0,9% en mars, contre une augmentation annuelle de 10,8% ce même mois. De l’autre, les augmentations des taux directeurs ont permis une meilleure rémunération des dépôts. De cette manière, alors que l’ensemble des dépôts des sociétés non-financières et des ménages ont augmenté, les dépôts à vue des ménages se sont contractés de 0,9%.

3-Les espoirs d’un dynamisme pérenne sur le marché de l'immobilier se sont estompés en avril

Selon les experts de la Banque de Lituanie, à la fin de l’année 2022, on pouvait constater une certaine stagnation des transactions sur le marché de l’immobilier qui préfigurait vraisemblablement une baisse des prix dans ce secteur. Si les performances divergeaient entre le marché du neuf - qui s’écroulait - et le marché de l’ancien - toujours dynamique -, les trois premiers mois de 2023 ont été caractérisés par un regain d’intérêt sur ces deux marchés aussi bien à Vilnius qu’à Kaunas et Klaipėda. En mars 2023 sur le marché du neuf, les ventes ont augmenté de 29% et 36% respectivement à Vilnius et à Kaunas et ont été multipliées par 4 à Klaipėda en glissement annuel. Cependant, en raison des conditions de financements sur les marchés et du niveau des prix, les logements de classe économique ont subi une baisse d’attractivité – en 2023 ils représentaient 14% des ventes totales contre 46% en 2021-2022.

Sur le marché secondaire sur la même période, le secteur a poursuivi son dynamisme. Les prix ont augmenté en mars – puis baissé en avril – soutenus par la hausse des ventes survenue après une longue période d’attente de baisse des prix.

Les spécialistes du secteur s’accordent sur l’absence d’une tendance claire dans l’évolution des prix et de la demande en raison des augmentation successives des taux d’intérêts et des salaires. Les prix restent stables cependant la reprise enregistrée en mars, sur l’ensemble des marchés, ne s’est pas consolidée en avril car le nombre de transactions a diminué de 8%, en glissement mensuel.

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ANNEXE

Prévisions de croissance par les différentes insitutions financières

Publié le