ÉRYTHRÉE
Une politique monétaire dirigiste fondée sur le contrôle des changes et la fixation des prix
Avec une moyenne décennale de 3,5 %, l’inflation en Erythrée est restée relativement stable entre 2010 et 2022 à l’exception d’une période de déflation sur trois ans (2016-2018) déclenchée par un rappel de la monnaie en circulation par le gouvernement érythréen (GoE) et exacerbée par la reprise des échanges avec l’Ethiopie en 2018 (-14,4 %). Fixé par les autorités (1 USD = 15 ERN), le taux de change du Nakfa érythréen ne reflète pas sa réelle valeur (les taux du marché noir peuvent atteindre 1 USD = 100 ERN). En raison d’une pénurie structurelle, le GoE exerce un contrôle strict sur l'utilisation des devises et manque de transparence dans ses politiques de conversion et de transfert. Cette politique entrave le développement du secteur privé local et décourage les investisseurs étrangers. Néanmoins, pour assurer une source pérenne de devises, le GoE impose une « Diaspora tax » de 2 % à tous les érythréens de la diaspora.
Une hausse des prix internationaux couplée à une inflation domestique alimentée par une politique monétaire interventionniste
Avec une moyenne décennale de 3,5 %, l’inflation en Erythrée est restée relativement stable entre 2010 et 2022. Selon les derniers chiffres du FMI (octobre 2022), le taux d’inflation en moyenne annuelle, qui était de 6,6 % en 2021, augmenterait à 7,4 % en 2022 puis s’infléchirait 6,4 % en 2023. Si l’Erythrée subit l’effet de la guerre en Ukraine et de l’augmentation des prix internationaux du blé et des transports, la fixation des prix par le gouvernement et la part minoritaire du blé dans la consommation de céréales en limitent les effets. Le gouvernement subventionne le blé par un système de « cross subsidies », c’est-à-dire qu’il paye plus cher pour les céréales qui vont vers l’armée ou les fonctionnaires, afin que le reste des prix n’augmente pas. Il centralise également les importations de pétrole, qu’il revend à un prix qui était déjà très élevé avant la guerre en Ukraine et ne change que très rarement. L’augmentation des prix internationaux au premier semestre 2022 a ainsi été absorbée dans les finances publiques. Si l’inflation est restée contenue entre 2019 et 2021 (4,5 % en moyenne), celle-ci enregistré une hausse de 5 pp entre 2019 et 2020. En moyenne pendant la pandémie (2020-2021), le taux d’inflation était de 6,1 % sur 2020-21. Le recours au financement monétaire du déficit budgétaire a en partie alimenté l'inflation, couplé à la pénurie structurelle de devises, la baisse des envois de fonds de la diaspora et les emprunts massifs de l'Etat auprès du secteur bancaire. Par ailleurs, les taux d'intérêt réels négatifs ont découragé l'intermédiation financière (prêt) et fragilisé la stabilité des banques.
Néanmoins, l’Erythrée a connu une période de déflation entre 2016 et 2018, à la suite de l'échange de devises en circulation en novembre 2015 qui a entraîné une contraction monétaire. En novembre 2015, la Banque centrale érythréenne a publié un règlement qui vise à remplacer les billets en circulation (l'ancien Nakfa) et imposer des limites au montant de liquide que les particuliers peuvent détenir en espèces. La mesure visait à rendre caduques les sommes de Nakfas dans le marché informel et réduire la masse monétaire en circulation. Cette mesure a entraîné une déflation progressive depuis 2016 qui a atteint -14,4 % en 2018, en raison également de l'augmentation des échanges avec l'Ethiopie (signature de l’accord de paix) ayant entraîné une pression à la baisse supplémentaire sur les prix. Par ailleurs, selon la BAfD, la masse monétaire a été réduite de 17,5 % du PIB en 2010 à environ 15 % du PIB en 2016 en passant du financement du budget par la "planche à billets" à la recherche de subventions extérieures et de prêts concessionnels.
Un taux de change contrôlé mais qui reste peu transparent et décourage les investissements
Le taux de change de la monnaie locale, le Nakfa (ERN), est fixé à 15 pour un dollar. Compte tenu de la faiblesse de la base financière des banques et du manque d'outils pour la mise en œuvre d’une politique monétaire, les autorités considèrent que le régime de taux de change fixe imposé par la loi sur la Banque centrale est la meilleure option et peut servir de point d'ancrage pour les prix. Néanmoins, dès 2014, le taux du Nakfa sur le marché parallèle avait atteint 52 ERN pour un USD, aujourd’hui 100 ERN.
Le gouvernement exerce un contrôle strict sur l'utilisation des devises mais manquerait de transparence dans ses politiques de conversion et de transfert. Sans autorisation spéciale de la Banque centrale, il est interdit de détenir ou d'échanger des devises étrangères en Erythrée et un plafond de retrait a été instauré pour éviter le développement d’un marché parallèle. Néanmoins, en raison de la pénurie structurelle de devises, le gouvernement exigerait des paiements en devises à certaines entreprises malgré des services réalisés sur le territoire érythréen et ne paierait qu’en Nakfa. Ainsi, certains hôtels érythréens accueillant des visiteurs étrangers ont commencé à directement facturer en devises fortes.
Cette politique entrave le développement du secteur privé local et décourage les investisseurs étrangers, malgré un léger assouplissement en 2013 (proclamation 173/2013) pour les investisseurs issus de la diaspora et les importateurs (seules les entrées de devises étrangères supérieures à 10 000 USD doivent être déclarées). La pénurie de devises étrangères a entravé l'accès des entreprises exportatrices nationales aux matières premières importées d’une part et incite les investisseurs étrangers à partir. Incapables de convertir le Nakfa en devises étrangères, des transporteurs aériens étrangers disposeraient de centaines de millions de Nakfa non convertibles dans les banques locales. C’est le cas de Lufthansa, longtemps premier transporteur international desservant Asmara, qui a suspendu ses opérations en 2013. Suite à ce départ, les autres transporteurs Egyptair et Yemenia, ont commencé à vendre leurs billets en devises fortes.
Afin de pérenniser ses ressources en devises fortes, le gouvernement érythréen a imposé une « Diaspora tax » à la diaspora érythréenne. Etabli en 1995, le système par lequel des devises étrangères sont envoyées de l'étranger à la fois pour le paiement de la taxe de 2 % est appelé Himbol Financial Services. Le personnel de l'ambassade d'Erythrée perçoit la taxe et la transfère au système Himbol en Erythrée. Les envois de fonds privés, autrefois exclusivement acheminés par le biais du système Himbol, arrivent désormais via des intermédiaires personnels. Officiellement, le paiement de cette taxe confère des droits politiques et économiques, notamment le droit d'obtenir des terres à des fins commerciales ou résidentielles. Le non-paiement de cette taxe peut entraîner le refus des services consulaires érythréens et la sanction de parents en Erythrée. Certains pays ont lancé une enquête sur cette taxe dont un groupe de parlementaires britanniques qui considère qu’elle avait servi à financer le conflit en Ethiopie.