Situation économique et financière - quatrième trimestre 2023

Résumé :

L’année 2023 n’a pas permis à l’économie tchèque de retrouver le niveau d’activité observé au dernier trimestre 2019. Les répercussions des crises successives (COVID et énergies), couplées à la faible croissance allemande et à la très forte inflation  (10,7 % sur l’année), minorant les salaires réels, ont continué de pénaliser les déterminants de la croissance en 2023. Le pays a ainsi connu une récession sur l’ensemble des trimestres (-0,3%, - 0,4 %, -0,8 % et - 0,2%) avec une moyenne de -0,4 % en g.a. La baisse de l’inflation, passée de 16,1 % à 7,6 % entre le 1er et le 4ème trimestre (+ 6,9 % en g.a. en décembre) a conduit la banque centrale à décider l’assouplissement de sa politique monétaire fin décembre, abaissant pour la première fois depuis juin 2022 son taux directeur, de 7% à 6,75 %. Si le gouvernement table sur une stabilisation de la conjoncture économique en 2024 avec un rebond du PIB, le ministère des finances a, dès janvier, minoré sa prévision de croissance à + 1,2 % contre +1,9 % prévu à l’automne lors de l’examen de la loi de finances initiale. Structurellement, si les fondamentaux macroéconomiques et financiers sont sains (faible endettement et plein emploi) l’économie tchèque est confrontée au défi de la préservation de sa compétitivité. La hausse des coûts énergétiques, comme le manque de main d’œuvre pénalisent sa production. La perte de pouvoir d'achat liée à l’inflation pénalise la demande intérieure.

 
  • 1/ Economie réelle et croissance : les répercutions des crises successives placent la Tchéquie en situation de récession

 Situation conjoncturelle : suite au Covid, le rebond est resté modéré en 2021 (croissance du PIB +3,6 %[i]), freiné par les difficultés d’approvisionnement dans l’industrie[ii] (30 % du PIB). En 2022, la croissance du PIB s’est maintenue (+2,4%) en dépit de la guerre en Ukraine, de la crise énergétique et de la poussée inflationniste. A l'inverse, selon les données préliminaires, l'année 2023 s’achève sur une récession annuelle de - 0,4 % du PIB en g.a, après quatre semestres de contraction[iii][iv]. Celle-ci résulte des baisses de la production industrielle (- 0,4%)[v], de la consommation (- 4,1 %)[vi], de la construction (- 2,6 %)[vii], des services (- 3 %)[viii]2024 devrait être une année de reprise, malgré une révision à la baisse des prévisions du ministère des finances dès janvier (+ 1,2 %, contre + 1,9 % prévu précédemment). Cette croissance serait portée par une reprise de la consommation résultant de la hausse des salaires réels.

Au plan structurel, les crises successives et leurs répercutions ont interrompu la croissance tendancielle dynamique qui prévalait jusqu’en 2019 (+3 % par an en moyenne depuis 2000). Celle-ci avait permis une convergence économique soutenue[ix] : le PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat (PPA) a ainsi reculé en 2022 à 90 % de la moyenne UE, après un pic à 93 % en 2020. La Tchéquie fait ainsi face à des défis multiples : le modèle de croissance économique actuel, fondé sur une industrie manufacturière de sous-traitance de moyenne valeur ajoutée bénéficiant de coûts de production compétitifs, est en difficulté.

Du côté de l’offre, une montée en gamme qualitative de la production, fondée sur l’innovation, et le développement des compétences sont nécessaires pour renforcer l’attractivité et préserver la compétitivité de l’économie. Néanmoins, si les marges des entreprises apparaissent élevées, la croissance des investissements peine à retrouver les niveaux observés en 2019 (6 %), 2018 (10 %) ou 2017 (5 %)[x]. La crise énergétique a par ailleurs démontré la nécessité de disposer d’un approvisionnement sûr et d’une source de production stable offrant une meilleure compétitivité coût-énergie. Le remplacement de l’approvisionnement en gaz et pétrole russe a été réalisé avec succès, mais avec un renchérissement des coûts de production[xi] par rapport aux années avant crise.

Du côté de la demande, la baisse du salaire réel[xii], résultant de la poussée inflationniste, s’est poursuivie cette année (-2,8 %), après - 8 % en 2022, et ce malgré la hausse nominale des rémunérations (7,5%). Le taux d’épargne s’est accru passant de 17,9 % à 18,7 % entre le premier et troisième trimestre[xiii]. L’inflation, les faibles salaires[xiv] et le taux d’épargne ont pénalisé la consommation des ménages en 2023 qui affiche une baisse de 4,1 % sur l’année.

Si la Tchéquie dispose du taux de chômage le plus faible de l’UE (2,7 % en décembre 2023[xv]), la pénurie de main d’œuvre représente une véritable contrainte qui pénalise le développement des entreprises[xvi]. Ces dernières préfèrent garder leurs salariés malgré la faible croissance actuelle[xvii] plutôt que de s’en séparer pour ensuite éprouver des difficultés à recruter. Cette situation s’explique par une population vieillissante où le nombre et la part des actifs diminuent (-0,4 % en décembre[xviii]) continuellement, l’apport de travailleurs étrangers est ainsi devenu essentiel jusqu’à représenter près d’un cinquième des actifs du pays[xix].

Si le taux de change effectif réel de la couronne tchèque s’est apprécié par rapport à l’euro en 2023 (1€ = 24 CZK), le rattrapage des coûts de production et salaires, favorisé par les tensions sur le marché du travail[xx], s’accompagne d’un ralentissement des gains de productivité du travail[xxi], ce qui se traduit par une hausse des coûts salariaux unitaires relativement plus rapide que dans les autres pays du V4[xxii].

 

  • 2/ Equilibres externes : après le déficit, apparu en 2021, le solde courant s’est rétabli en 2023 avec la stabilisation à la baisse des prix de l’énergie 

Le solde commercial (biens et services)[xxiii], est redevenu excédentaire en 2023 (+15,36 Md€) du fait de la stabilisation des prix de l’énergie[xxiv]. Le solde des revenus, stable, est structurellement déficitaire (-11,7 Md€ soit 4,3 % du PIB) du fait de la position extérieure nette déficitaire des investissements étrangers (- 128 Md€) alimentant les sorties de dividendes. Au total, le solde courant 2023, déficitaire en 2021 et 2022 (- 2,7% et - 6,1 % du PIB), redevient excédentaire en 2023 (+3,6 Md€ soit 1,3 % du PIB).

Si la position extérieure nette globale est déficitaire (~50 Md€ soit 18,3 % du PIB[xxv] ), les actifs de réserve de la banque centrale demeurent élevés (134 Md€ fin décembre soit 49,1 % du PIB[xxvi]). La dette externe représente quant à elle ~180 Md€ soit 65,6 % du PIB[xxvii].

 

  • 3/ Finances publiques : Avec comme objectifs la réduction du déficit public dès 2023 et de la dette à partir de 2024, le  gouvernement conserve le cap du rétablissement des comptes publics

Le budget devenu déficitaire en 2020 a entrainé la hausse de la dette publique, passée entre 2019 et 2022 de 30 % à 43,7 % du PIB. En 2023, la dette atteint 44,7 % du PIB, avec un déficit de 3,6%. Le gouvernement s’est donné pour objectif en 2024 l’assainissement des finances publiques en diminuant les niveaux de déficit (-2,2 %) et de dette. Le paquet de consolidation adopté et la LFI prévoient, parallèlement aux hausses d´impôts, des réductions de 5 % des dépenses de fonctionnement et de 2 % de la masse salariale, seules exceptions : la hausse des salaires des enseignants et l’augmentation des dépenses de défense. La LFI entérine également la fin des dispositifs d´aide mis en place durant la crise énergétique[xxviii], en leur substituant un mécanisme de protection réservé aux industries énergivores.

 

  • 4/ Inflation et politique monétaire : la baisse de l’inflation moyenne, passée de 15,1% en 2022 à 10,7 % en 2023, a entrainé un premier assouplissement de la politique monétaire en décembre
 L’inflation, tirée par les prix de l’énergie et de l’alimentation (42 % du panier de consommation), a terminé à 6,9 % en décembre 2023 en g.a.[xxix]. La CNB, préalablement à la publication des données, a initié une première baisse de son taux directeur à 6,75 % fin décembre[xxx], puis une deuxième le 8 février à 6,25 %. L’institution anticipe un recul rapide de l’inflation dès le premier trimestre, qui devrait s’accompagner d’une baisse parallèle du taux directeur[xxxi]. Cet assouplissement monétaire pourrait néanmoins être ralenti par la dépréciation actuelle de la couronne[xxxii] qui pourrait entraver la décrue de l’inflation.

 

  • 5/ Secteur financier : un secteur bancaire solide qui bénéficie des taux d’intérêt élevés 

Concentré et largement contrôlé par des groupes étrangers (dont les 5 premières banques, qui représentent 73% des actifs et 78% des dépôts), le secteur bancaire est rentable, sain et bien capitalisé[xxxiii]. Une taxe exceptionnelle (windfall tax) est appliquée sur leurs bénéfices exceptionnels réalisés en 2023-2025. Les risques macro-financiers domestiques sont limités au marché immobilier[xxxiv].



[i] Contre +5,4% pour l’UE.

[ii] L’industrie représente 30% du PIB, soit le ratio le plus élevé de l’UE. L’automobile a été particulièrement touchée par les pénuries d’intrants nécessaires au secteur qui représente 9 % du PIB et 25 % des exportations.

[iii] Selon l'office tchèque des statistiques, la croissance trimestrielle a été portée par la demande extérieure ainsi que par une légère reprise de la consommation des ménages à la fin du 4ème trimestre.

[iv] Selon la dernière prévision du ministère des finances, contre -0,6 % anticipé par le ministère des finances dans sa dernière prévision.

[ix] Selon Eurostat, le PIB/hab en PPA est passé de 84 % de la moyenne UE en 2010 à 93% en 2019, avant de redescendre à 90 % en 2022.

[xi] Selon les données de l’office tchèque des statistiques, voir annexe 5

[xii] Les niveaux de salaire en Tchéquie sont les suivants : minimum (18 900 CZK ~ 760 €), médian (37 492 CZK ~1 510 €), moyen (42 658 CZK ~ 1 717,8 €).

[xiii] Selon les données de l’office tchèque des statistiques. Ce taux d’épargne s’explique également par les intérêts liés aux dépôts selon la CNB.

[xiv] Selon l'office tchèque des statistiques : 2/3 des employés tchèques disposent d’un salaire inférieur au salaire moyen.

[xvi] Enquête du ministère du travail et des affaires sociales publiée le 5 ocotbre 2023 : “Companies in the Czech Republic lack up to 249,000 employees, with one out of five companies surveyed being short of workers and one out of seven citing this as the main barrier to growth, according to an analysis of job vacancies and employment of foreigners by the Labour and Social Affairs Ministry” : un cinquième des entreprises éprouvent des difficultés de recrutement qui constituent un frein à leur croissance pour un septième d’entre elles ; le nombre d’emplois non pourvus, estimé à 249 000, entrave la croissance d’une entreprise sur sept.

[xvii] L’indice PMI s’élevait à 41,8 points en décembre contre 43,2 points en novembre. Il s’élève à 43 points en janvier. Selon l’office tchèque des statistiques, l’indice de confiance composite de l’économie tchèque s’élève en Décembre à 93,4 avec du côté des entreprises une moyenne à 95,2 contre 84,9 du côté des consommateurs. L’indice PMI est lui à 41,8 en décembre contre 43,2 en novembre.

[xix] Les travailleurs étrangers représentent près d’un actif sur 5 en 2023, soit près de 825 000 personnes sur les 4,23 millions d’actifs du pays.

[xx] Selon l’office tchèque des statistiques, le nombre d’employés à diminué de 2,2 % en glissement annuel dans l’industrie en décembre 2023.

[xxi] Selon les données Eurostat, le PIB par heure travaillée, qui reflète la productivité du travail, a progressé de 11% entre 2015 et 2021, contre +19% en Pologne par exemple, +14% en Hongrie et +17% en Slovaquie (+4,5% en zone euro).

[xxii] Selon les données Eurostat, les coûts salariaux unitaires (CSU), qui reflètent le coût du travail en tenant compte de sa productivité, ont connu une accélération sur la période récente, augmentant de 25% entre 2016 et 2021 contre seulement +6% sur les cinq années précédentes (2011 à 2016). A titre de comparaison sur la période 2016-2021, les CSU ont augmenté de 15% en Pologne et de 6% en France.

[xxiii] Selon les données préliminaires de la banque centrale tchèque.

[xxiv] Selon les données de l’office tchèque des statistiques, le reflux des importations est notamment observé sur les produits pétroliers qui représentent 7,2 Md€ en 2023, contre 8,4 Md€ en 2022, soit une baisse de 14 % avec un volume importé en hausse de 3 %, ainsi que pour le gaz naturel avec une valeur importée de 3,7 Md€ en 2023 contre 9,4 M€ en 2022, soit une baisse spectaculaire de 60,8 %, pour un volume importé lui-même en forte baisse à -26,5 %.

[xxv] Selon les données de la CNB :-54,6 Md€ au premier trimestre 2023, -50,5 Md€ au deuxième trimestre, - 45,1 Md€ au troisième trimestre.

[xxvii] Selon les données de la CNB, la position est stable sur l’ensemble des trimestres 2023.

[xxviii] Voir note sur le PLF 2024 de la Tchéquie.

[xxix] L’inflation moyenne en 2023 s’est élevée à 10,7 %, contre 15,1 % en 2022. Après un plancher à 6,9 % en glissement annuel constaté en septembre, l’inflation a rebondi à 8,5 % en octobre puis 7,3 % en novembre avant de retomber à 6,9 % en décembre. Ce rebond s’explique par la sortie du bouclier tarifaire mis en place par le gouvernement entre octobre 2022 et décembre 2022, mais également par la fin de la suppression de la redevance pour les sources d’énergie renouvelables mise en place sur la même période. L’inflation sur l’année a principalement été influencée par les hausses de prix pour l’eau (16,3%), l’électricité (43,1%), le gaz (30,9 %) et les autres sources d’énergie (26 %) ainsi que par l’alimentation et les boissons (11,5 %). Seul le secteur des transports a vu ses prix baisser (-1%).

[xxx] Mettant fin au taux de 7 % maintenu depuis juin 2022.

[xxxi] Interview de Jan Frait, vice-gouverneur de la Banque nationale tchèque.Le conseil de la CNB a décidé le 7 septembre de mettre fin à la rémunération des réserves obligatoire placées par les banques sur leurs comptes logés à la banque centrale. Cette mesure, effective depuis le 5 octobre, vise à réduire le montant global des intérêts à verser diminuant ainsi l’excédent de liquidité et s’inscrit dans le contexte de lutte contre l’inflation. Le taux de réserves obligatoires des banques en Tchéquie est de 2 % de leur passif primaire.

[xxxii] Interview de Jan Tomas HolubFrait, vice-gouverneur Membre du conseil d’administration de la Banque nationale tchèque.

[xxxiii] Selon la CNB, à la mi année 2023, le total des actifs du secteur financier s’élevait à 511,4 Md€, soit 178% du PIB, soit une hausse de 10,7 %% par rapport à janvier 2023. Le secteur bancaire qui représente presque 80 % du total de ces actifs a connu une hausse de 12,1 % sur la même période et atteint 409,1 Md€, soit 150 % du PIB. Les fonds d’investissement ont connu une croissance de 14 % entre janvier et juin 2023 pour atteindre 44,78 Md€. Données 2022 : total des actifs bancaires : 365,4 Md€, soit 131% du PIB ; Rentabilité des capitaux propres (RCP)/Return on equity (RoE) : 14,2 % ; Prêts non productif / non performing loans : 1,2 % pour les ménages, 3,43 % pour les firmes non financières, 5,11 % pour les indépendants ; ratio de solvabilité bancaire CET1 : 20,73%

Données 2021 : total des actifs bancaires : 340 Md€ soit 160% du PIB, dont 74% de dépôts ; ratio prêts/dépôts : 73% (moyenne UE : 92%) ; RoE moyen de 17% sur la période 2016-2019 ; ratio NPL : 1,5% ; ratio CET1 : 22%.

[xxxiv] Selon la CNB, les prix des appartements seraient surévalués de 20% au deuxième trimestre 2023, contre 23% précédemment. Après une hausse de près de 20% en 2021 et 35% sur 3 ans, les prix de l’immobilier se sont néanmoins stabilisés entre juin 2022 et juin 2023 avec des baisses fortes sur l’ancien, la CNB estime que le risque d’un éclatement à moyen terme de la bulle immobilière a diminué.

 
 
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