Investissements chinois sortants

Les IDE chinois ont fortement augmenté à partir du début des années 2000 et la « Go Out Policy », stratégie adoptée en 1999 dans le but (i) d’internationaliser les entreprises chinoises pour les rendre plus compétitives (ii) d’utiliser les réserves de devises étrangères déjà importantes. La State-Owned Asset Supervision Administration Commission (SASAC) a été créée dans ce cadre en 2003, afin de superviser les entreprises publiques (SOEs) les plus importantes et de soutenir leurs prises de participations à l’étranger. Les flux d’IDE sortants ont ainsi fortement augmenté, de moins d’1 Md$ en 2000 à près de 200 Md$ en 2016.

La baisse des IDE chinois sortants ces dernières années (de 196 Md$ en 2016 à 136 Md$ en 2019) s’explique en premier lieu par les mesures de restriction de capitaux sortants prises par les autorités chinoises. À partir de 2016, dans le contexte de la chute du yuan et de la baisse des réserves de change[i], des mesures visent à mettre fin aux investissements « irrationnels » (hôtellerie et divertissement) et à aligner les investissements des entreprises chinoises sur les priorités industrielles définies par l’Etat central. Un contrôle est instauré de la part (i) de la Commission nationale du développement et de la réforme (NDRC ; approbation préalable nécessaire dans les secteurs sensibles ; enregistrement dans les autres secteurs) ; (ii) de la Banque centrale (PBoC) et l’Administration nationale du contrôle des changes (SAFE : autorisation obligatoire pour toute transaction d’un montant supérieur à 5 MUSD). Pékin aurait également fait pression  sur certains conglomérats (Anbang, Hainan…) pour qu'ils vendent leurs actifs à l'étranger[ii].

D’autre part, les investissements chinois font l’objet d’une vigilance renforcée de la part des pays récipiendaires. Les Etats-Unis, le Canada, l’Australie, l’Inde, le Japon, Le Royaume-Uni, l’Union européenne et 12 de ses Etats membres ont notamment renforcé leurs mécanismes de screening à partir de 2017 (encore renforcés en 2020 dans le contexte du Covid). La dimension internationale des objectifs du plan Made in China 2025 (accélération des achats d’entreprises high-tech par les investisseurs chinois) a été un déclencheur. Ces mécanismes de contrôle ont été particulièrement défavorables aux entreprises d’Etat, dont les investissements à l’étranger ont chuté (de 121,9 Md$ en 2017 à 46,6 Md$ en 2019 ; les investissements des entreprises privées ont dans le même temps légèrement augmenté, de 21,1 Md$ à 21,7 Md$).

Les IDE sortants ont en conséquence acquis un nouveau profil. Ils ont globalement diminué dans les pays occidentaux, en particulier dans les secteurs des TIC et des infrastructures.

Dans l’Union européenne, les flux ont largement reculé en 2018 (-40 % à 17,4 Md€[iii]) et 2019 (-33 % à 11,7 Md€), avec notamment une diminution radicale de la part des investissements contrôlés par l’Etat[iv]. Les IDE dans le secteur des TIC ont bien résisté  (-11 % à 2,4 Md€ en 2019) tandis que ceux dans le secteur automobile ont chuté (-58 % à 1,3 Md€). En France, le stock d’IDE chinois mesuré par investisseur ultime[v] est passé de 1,2 Md€ en 2013 à 10,1 Md€ en 2017 avant de retomber à 8,7 Md€ en 2018. Les investissements importants ont visé les secteurs des semi-conducteurs, du luxe et de l’hôtellerie[vi] (liste des investissements chinois en France en annexe).

Après une forte augmentation entre 2010 et 2016 (pic de 46 Md$), les investissements chinois aux Etats-Unis ont fortement baissé et leur répartition sectorielle a changé, en particulier au détriment des les investissements dans les transports, les infrastructures[vii], le divertissement et les TIC qui sont quasiment nuls depuis 2018. Lles acquisitions concernent désormais des secteurs moins sensibles tels que les produits et services à la consommation (53,1 % du total à 2,54 Mds$), l’automobile, l’immobilier et l’hôtellerie (ces deux derniers représentant 12,1 % à 0,58 Md$). La part des entreprises d’Etat[viii] a par ailleurs progressivement diminué (de 81 % en 2010 à 7 % en 2019).

Après une hausse en 2018 (+17 %), les investissements chinois « Belt and Road » (BRI) ont diminué en 2019 (-16 % à 106 Mds$[ix]). Ces investissements sont composés pour la majeure partie de contrats de construction[x] (63 % du montant) et sont généralement réalisés par des SOEs (52 % des projets auxquels il faut ajouter 18 % réalisés en partenariat avec des entreprises privées[xi]). Entre 2013 et juin 2019, les projets se sont tournés en majeure partie vers le secteur des transports (43 %, en nombre de projets), de l’énergie (26 %) et de l’immobilier (21 %). Dans les pays de l’ASEAN, les flux d’investissement chinois ont quasiment triplé entre 2010 et 2018 (de 3,5Md$ à 10,2 Md$), principalement grâce à des investissements dans l’immobilier, la finance et le commerce de gros. Le Vietnam en particulier a vu les investissements chinois augmenter de manière importante ces dernières années (0,4 Md$ en 2014 ; 2,5 Md$ en 2018 ; 4,0 Md$ en 2019[xii]), certains géants de l’électronique (TCL, Lenovo) construisant des usines afin de contourner les droits de douanes additionnels imposés par les Etats-Unis sur les importations en provenance de Chine.

En 2020 les investissements chinois devraient baisser relativement peu, dans un contexte de forte chute des flux d’IDE globaux. Les Nations unies prévoient une baisse de 40 % des flux globaux par rapport à 2019. Les chiffres préliminaires du ministère du Commerce chinois (MofCom) indiquent par contraste une baisse de 4 % à 54,9 Md$. Les autorités mettent même en avant une hausse dans les pays BRI (+19 % à 8,1 Md$), qui ne correspond toutefois pas aux estimations faites  sur la base de grands projets recensés (liste en annexe), indiquant une baisse de 50 % des montants investis[xiii] et de nombreux projets à l’arrêt[xiv] à cause de la crise. La hausse des chiffres officiels chinois s’expliquerait exclusivement par les investissements dans les pays de l’ASEAN (+53 % g.a. à 6,2 Md$ selon le MofCom). Les liens avec l’ASEAN (région devenue en 2020 le premier partenaire commercial de la Chine devant l’Union européenne et les Etats-Unis) devraient continuer de se renforcer dans le contexte du découplage avec les Etats-Unis, de contrôles renforcés dans la majorité des pays européens et de besoin pour la Chine de sécuriser ses chaînes de valeur.

 

*Pour une analyse plus complète, veuillez consulter la note détaillée ci-dessous. 
* Pour un suivi plus assidu de la politique de commerce et d’investissements chinoise et des relations commerciales bilatérales, nous vous invitons à vous abonner à nos publications régulières ou à consulter nos productions plus approfondies.

 

Notes explicatives

[i] Les réserves de change ont diminué de 23,6 % (à 3 052 Md$) entre juin 2014 et novembre 2016. La valeur des paiements internationaux en Renminbi a chuté de 29,5 % en 2016 d’après SWIFT.

[ii] Selon Bloomberg, le gouvernement chinois aurait demandé à Anbang (assurance) de céder plusieurs de ses actifs à l’étranger. Peu après avoir déclaré publiquement que le groupe ne comptait pas les céder, son président a été arrêté en 2017 et condamné à 18 ans de prison pour corruption. Anbang a vendu en 2019 le Waldorf-Astoria Hotel de Manhattan, acquis en 2015 pour 2 Md$ au groupe Hilton.

[iii] source : Rhodium

[iv] Contrôlés à au moins 20 % par le gouvernement ou par une SOE. Concernait entre 60 % et 90 % des investissements de 2010 à 2015 ; 41 % en 2018 ; 11 % en 2019

[v] Source : Banque de France. Ces données tiennent compte du pays d’origine de la maison-mère et non l’origine direct des investissements, souvent réalisés depuis des filiales installées dans des pays tiers.

[vi] Rachat du producteur de cartes à puce français Linxens par Tsinghua Unigroup pour 2,2 Mds EUR en 2018, dans le luxe par la prise de participation majoritaire de Shandong Ruyi Technology dans la marque de vêtement de luxe SMCP (Sandro, De Fursac…) pour 1,3 Md€ en 2016 et dans l’hôtellerie par le rachat en 2014 du groupe Louvre Hotels (Campanile, Kyriad…) par Jin Jiang pour 1,3 Md€.

[vii] 13,0 % et 35,0 % en 2016 et 2017

[viii] Selon la méthodologie de Rhodium, les entreprises d’Etat désignent les entreprises qui sont détenues et contrôlées à au moins 20 % par le gouvernement ou par une entreprise publique centrale.

[ix] Source : American Enterprise Institute

[x] Selon American Entreprise Institute, en 2019.

[xii] Source : Agence vietnamienne pour les investissements.

[xiii] De nouvelles données publiées par l'American Enterprise Institute montrent que la plupart des pays de l'initiative "Belt and Road" (BRI) ont connu une baisse des investissements chinois au cours du premier semestre 2020. Les investissements globaux dans la BRI se sont élevés à 23,4 Md$ au cours des six premiers mois de 2020, soit une baisse d'environ 50 % par rapport aux 46 Md$ investis au cours des six premiers mois de 2019.

[xiv] De nombreux projets ont dû être arrêtés par le Covid (20 % des projets ont été très affectés d’après un officiel chinois). De nombreux pays d'Afrique et d'Asie n'ont pas été en mesure de poursuivre les mégaprojets, financés pour la plupart par Pékin. Par exemple, au Nigeria, un projet ferroviaire de 1,5 Md$ subit des retards en raison des perturbations dues aux coronavirus, tandis que de nombreux projets financés par la Chine en Zambie, au Zimbabwe, en Algérie et en Égypte ont été mis en attente ou pourraient être retardés.

 

Publié le