Israël, un pionnier du dessalement aux ambitions toujours fortes
La sécheresse des années 2000 a incité le gouvernement israélien à mettre en place un programme ambitieux de dessalement de l’eau de mer en utilisant la technique de l’osmose inverse. Le développement des ressources artificielles, via le traitement des eaux usées et le dessalement de l’eau de mer, assure à Israël la couverture de 75% de ses besoins. Israël projette de multiplier par deux sa capacité de production d’eau dessalée d’ici 2050, grâce notamment à la nouvelle usine d'Emek Hefer.
1. Le dessalement de l’eau de mer est un pilier central de la politique hydrique en Israël
Israël est confronté à un fort stress hydrique. Vulnérable au changement climatique, Israël fait face à une pénurie chronique d’eau douce, aggravée par un climat semi-désertique (60% du territoire est désertique), des précipitations irrégulières lors d’une courte et inégale saison des pluies et une croissance démographique rapide (+1,6% en 2024). Le rythme de réapprovisionnement naturel en eau décline continuellement et les périodes de sécheresse se font de plus en plus fréquentes ; le dernier hiver a été le plus sec des cent dernières années, la pluviométrie relevée correspondant à 55% de la moyenne habituelle en cette période.
Au plan législatif et institutionnel, le gouvernement israélien a placé l’eau sous l’autorité exclusive de l’État. La loi relative à l’eau, introduite en 1959, définit l’eau comme bien public. En 2006, les autorités l’ont amendée, confiant la supervision et la régulation du secteur à l’Autorité israélienne de l’eau, institution centralisée et indépendante du pouvoir politique. Mekorot, la compagnie nationale des eaux, est quant à elle chargée de l’acheminement et de l’approvisionnement de l’eau, et placée sous la tutelle de cette autorité. Cette réorganisation n’a toutefois pas été suivie immédiatement d’un plan directeur à long terme pour le secteur de l’eau, qui devrait être seulement finalisé cette année, avec une vision à l’horizon 2050.
La politique israélienne repose sur un vaste programme d’investissement dans des infrastructures de dessalement. Développé dans les années 2000, le réseau israélien s’appuie aujourd’hui sur cinq grandes usines de dessalement, réparties le long de la côte méditerranéenne : Ashkelon (2005), Palmachim (2007), Hadera (2009), Sorek (2013) et Ashdod (2015). Elles utilisent des technologies de pointe comme l’osmose inverse pour transformer l’eau de mer en eau potable et disposent de capacités de production parmi les plus élevées au monde. En 2024, près de 75% de la consommation domestique provient d’eau dessalée. À noter qu’Israël exploite également environ 30 petites usines de dessalement d’eau saumâtre (« brackish ») dans le Néguev et l’Arava.
2. Face à des besoins croissants, le gouvernement prévoit d’accroître sa capacité de production
Les besoins de l’État hébreu devraient croître rapidement. En 2024, la consommation d’eau a atteint 2 380 M de m3 d’après les données de l’Autorité de l’Eau. Les ménages et l’agriculture représentent respectivement 41% et 50% de la consommation totale. Or, en 2050, la consommation pourrait atteindre 3 730 M de m3 alors que la population devrait dépasser les 16 M d’habitants, compte tenu du solde naturel.
Le gouvernement prévoit une augmentation substantielle de sa capacité de production. Il s’est fixé l’objectif de passer de 900 M de m3 de production en 2025 à 1 400 M de m3 en 2031, puis 2 500 M de m3 d’ici 2050 grâce notamment à trois projets sous forme de partenariats public-privé (PPP) : l’extension de Soreq II dont les travaux doivent être achevés cette année (200 M m3), l’usine de la Galilée occidentale (100 M m3, horizon 2026) et enfin le projet emblématique d’Emek Hefer. En outre, le Ministère des Finances, qui supervise le déploiement des PPP en Israël, renouvelle actuellement le contrat de concession de l’usine d’Ashkelon à partir de 2027 (préqualification réalisée), qui prévoit la rénovation et l’expansion du site à 220 M m3. Pour soutenir ces projets et adapter le réseau national, des investissements de 4,5 Mds ILS à 7,2 Mds ILS sont prévus par le gouvernement (soit 1,3 à 2 Mds USD par an). Dès 2026, les usines de dessalement devraient fournir 90% de l’eau potable consommée en Israël. En 2050, l’eau dessalée devrait représenter 42% de la consommation totale d’eau contre 24% à ce jour.
L’usine d’Emek Hefer, une opportunité pour les entreprises françaises. Israël prévoit la construction d’une usine de dessalement d’envergure à Emek Hefer, au nord-est de Netanya (banlieue nord de Tel Aviv). D’une capacité de 400 M de m3, elle doit être achevée en deux étapes : la première partie (200 M m3) sera livrée en 2032 et la seconde quatre années plus tard. Elle devrait ainsi constituer à terme la plus importe usine de dessalement au monde, avec sa propre centrale électrique alimentée au gaz (230 à 300 MW, dont 200 à 240 MW pour les seuls besoins de l’usine). L’émission des documents de préqualification (en langue anglaise) est attendue dans les prochains mois. Cette étape est indispensable pour concourir ultérieurement aux appels d’offres. Israël ne dispose pas en propre des capacités suffisantes pour concevoir un tel projet et doit faire appel à des entreprises étrangères. Le Ministère israélien des Finances et l’Autorité israélienne de l’Eau ont fait part à ce poste de leur vif intérêt pour l’expertise technique française (Suez, Veolia, Engie, Vinci, Bouygues…) et leur participation à cette préqualification (qui requiert des candidats une expérience dans le domaine du dessalement, mais est peu exigeante sur les critères financiers). Le projet devrait représenter un investissement (en BOT sur 25 ans) de 5,5 Mds ILS (1,4 Md EUR) pour l’ensemble (eau et énergie), avec des possibilités de subvention côté israélien (notamment octroi du terrain) et d’un nouveau prêt de la BEI.
3. Le dessalement de l’eau de mer, un instrument de promotion de la paix au Proche-Orient
Pendant les années 2010, Israël et la Jordanie avaient initié un projet « eau contre électricité ». En 2013, Israël, les Territoires palestiniens et la Jordanie avaient signé un accord relatif au projet Red Sea-Dead Sea, visant à dessaler de l’eau à Aqaba, dont 35 à 50 M m³/an devaient être vendus à Israël. En contrepartie, Israël devait fournir un volume équivalent du lac de Tibériade à la Jordanie et aux TP. Cependant, Israël n'a jamais donné suite à cet engagement. Suite aux accords d’Abraham, les projets Prosperity Blue et Prosperity Green sont nés d'une déclaration d'intention initiale signée à Dubaï par la Jordanie, les Émirats arabes unis et Israël en 2021, suivie d'un protocole d’accord renouvelé le 8 novembre 2022 en Égypte. Prosperity Blue vise l'établissement d'une station de dessalement d'eau de mer en mer Rouge pour fournir de l'eau dessalée à la Jordanie (200 M m3), tandis que Prosperity Green prévoit le développement d'une centrale électrique à énergie solaire en Jordanie (600 MW) pour exporter de l'électricité verte vers Israël. L’accord final devait être signé à la COP 28 en novembre 2023 mais est en veille depuis le 7 octobre 2023.
Au point mort, ce projet est promu par l’organisation EcoPeace. EcoPeace Middle East porte une vision originale de la paix au Proche-Orient (« triangle de la paix »), fondée sur la coopération environnementale et la gestion partagée de l’eau. L’ONG propose la construction d’une grande usine de dessalement à Gaza, dont la capacité pourrait être portée à 200 M de m3 et qui permettrait l’exportation d’eau vers la Jordanie via les canalisations Nord-Sud en Israël. Les territoires palestiniens s’adjoindraient au projet Prosperity et importeraient en échange et au même titre qu’Israël de l’électricité issue des énergies renouvelables produite en Jordanie.