Consolidation et diversification : trajectoire de la fintech au Nigeria
Le développement des fintechs est particulièrement rapide au Nigeria, facilité par une population jeune, nombreuse et connectée. Depuis la révolution des paiements instantanés de la fin des années 2010, à sa forte expansion, le secteur des fintechs est désormais en train d’entamer une phase de consolidation, soutenu par le secteur public et un environnement règlementaire favorable, malgré une baisse des financements ces deux dernières annéees.
Le développement des fintechs est particulièrement rapide au Nigeria, facilité par une population jeune, nombreuse et connectée. Depuis la révolution des paiements instantanés de la fin des années 2010, à sa forte expansion, le secteur des fintechs est désormais en train d’entamer une phase de consolidation, soutenu par le secteur public et un environnement règlementaire favorable, malgré une baisse des financements ces deux dernières annéees. L’essor des solutions fintech permet de démocratiser l’accès au capital, renforcer l’inclusion financière et faciliter les opérations des acteurs économiques. Une partie importante du marché nigérian reste encore à pénétrer, avec davantage de solutions adaptées aux différentes réalités économiques et culturelles, malgré le déficit en infrastructures qui représente une contrainte structurelle importante.
Après une expansion importante, le secteur connaît désormais une phase de consolidation
Le secteur fintech est particulièrement dynamique au Nigeria, soutenu par une population jeune, nombreuse et connectée. En 2018, le taux de pénétration d’internet était de 51% au Nigeria, contre 34% en moyenne en Afrique. Sa population de 220 M de personnes renforce l’attractivité du pays. L’intérêt des Nigérians pour les solutions fintechs et les alternatives financières (actifs numériques, mobile money) s’explique par une confiance modérée dans le naira et le système bancaire. Ainsi, les services financiers et TIC sont les principaux moteurs de croissance avec 15,0% et 7,4% d’expansion au T1- 2025, représentant 3,6% et 10,6% du PIB. Le marché des TIC est estimé à 32,8 Md USD en 2025 et devrait croître de 18,3% par an entre 2025 et 2030 [i].
Le secteur fintech s’est dans un premier temps développé autour des solutions de paiement. Grâce à l’arrivée de disrupteurs tel que Paystack et Flutterwave, fondés en 2015 et 2016 respectivement par des Nigérians, les paiements dématérialisés se sont largement démocratisés. Les transferts monétaires étaient auparavant réservés aux grandes entreprises, limités aux montants supérieurs à 50 000 NGN. Les solutions de facilitation de paiement se sont développées auprès des populations bancarisées mais également de celles financièrement exclues. La stratégie de Moniepoint par exemple, s’est déployée en fournissant gratuitement aux commerçants des terminaux de paiements physiques. Entre 2023 et 2024, les paiements mobiles ont augmenté de 28% en volume et de 70% en valeur, représentant 3,9 Md de transactions et 79 500 Md NGN (49,6 Md EUR), incitant la formalisation et la numérisation de certains pans de l’économie.
Un nombre important d’acteurs compose le secteur, les produits et services disponibles s’étant multipliés, stimulant l’inclusion financière de la population et s’étendant désormais au-delà des solutions de paiement. Le pays compte désormais plus de 400 prêteurs numériques agréés (Carbon, Aella microfinance). Les applications de fintech proposent les services offerts par les banques traditionnelles (paiements, produits d’épargne, emprunts) avec une fiabilité accrue, des frais de fonctionnement réduits et des exigences plus faibles, expliquant leur large adoption. Ceci a permis de renforcer l’inclusion financière dans le pays ces dernières années, en dehors des zones urbaines et auprès des populations les plus isolées. Ainsi, 74% des adultes ont accès aux services financiers en 2024 selon le FMI. Cette démocratisation des paiements dématérialisés et des petits prêts à soutenu le développement des MPMEs et a pu renforcer leurs résiliences. De nombreuses solutions se sont également développées pour fournir des services de transferts de fonds internationaux, répondant aux besoins et flux financiers importants de la diaspora nigériane.
Dans un contexte fortement concurrentiel et de contraction des financements, le secteur se consolide, les acteurs cherchant à se spécialiser. Deux applications dominent désormais le marché des transferts et paiements (OPay pour les particuliers, Moniepoint pour les entreprises) pratiquant des marges très réduites. Ainsi, les nouveaux arrivants s’intéressent aux autres segments du marché, proposant une très large diversité de services : épargne (Piggyvest), investissements et actifs numériques et verts (Cowrywise, Bamboo, Trove, Chaka), facturation en ligne, monnaie mobile, système de fidélité (cashback), épargne retraite, assurance, financement participatif (ThriveAgric) mais également dans une logique trans-sectorielle (agriculture, transports, infrastructures, santé). Si le secteur a pu attirer des investissements particulièrement importants en 2021 et 2022 (dépassant 900 M USD avec plus de 160 start-ups tech financées par an), en 2023, les investissements dans la tech au Nigeria ont diminué, puis se sont stabilisés en 2024. Le nombre de start-ups concernées est également en baisse, attestant de la concentration des flux financiers. Le Nigeria compte ainsi cinq licornes dans le secteur : Interswitch, Flutterwave, OPay, Paystack et Moniepoint (dernière en date, après une levée de fonds en 2024 de 110 M USD, auprès entre autres de Google et Visa). Le Nigeria a néanmoins conservé sa position de première destination des financements techs en Afrique (332 M USD pour 39 start-ups) alors que ceux-ci se sont contractés de 54% en 2024 sur le continent. Selon plusieurs spécialistes du secteur, de nombreuses fintechs ne survivront pas aux prochaines années et à l’étape de la commercialisation, en raison notamment des coûts d’accès élevés aux structures cloud fournis par les géants du numérique mais également en lien avec la consolidation règlementaire mise en œuvre par les autorités.
Bénéficiant d’une réglementation porteuse, les fintechs disposent de moyens inégaux
L’environnement règlementaire favorable a permis la croissance du secteur. Prudent dans un premier temps, le secteur public se place désormais en soutien, établissant une réglementation claire et propice aux nouvelles innovations, en animant la dynamique du secteur. Consciente du rôle du secteur de moteur de la croissance économique, les autorités ont produit une réglementation permettant aux fintechs d’évoluer dans un cadre clair. Les gouvernements successifs se sont exprimés en faveur d’une économie sans argent liquide dès 2011. Bien que les régulateurs soient très nombreux[ii] avec des visions propres, les acteurs du secteur rapportent pouvoir évoluer et innover au mieux. La Regulatory Sandbox Framework mise en place par la CBN et la SEC permet notamment aux acteurs de tester des produits et services innovants dans un environnement règlementaire adapté et allégé. Plusieurs initiatives récentes illustrent la volonté des autorités de continuer à progresser comme l’adoption du cadre pour l’open-banking par la CBN, une première en Afrique ou encore la formalisation d’une Stratégie nationale fintech par la CBN en 2023. Des progrès importants restent néanmoins à accomplir selon un cabinet d’avocat s’intéressant au secteur et le FMI appelle au renforcement de la supervision. Le secteur public est également à l’initiative, déployant une stratégie de développement d’incubateurs publics, y compris dans des centres urbains secondaires.
Les acteurs du secteur possèdent des moyens très hétérogènes, certains étant appuyés par des fonds d’investissement ou s’associant aux géants du numérique, expliquant en partie la structure de marché. Le secteur est dominé par les investissements en provenance des États-Unis et notamment des géants du numérique. L’entreprise Visa a investi dans Moniepoint, et les deux leaders historiques Paystack et Flutterwave. Les banques traditionnelles, initialement en position défensive, investissent désormais le secteur et s’associent à certaines fintechs, permettant de développer une offre de service complémentaire ou d’atteindre des populations non bancarisées (Zest et Stanbic IBTC, Quad et GTBank, Hydrogen et Access Bank). Un spécialiste du secteur prévoit désormais une implication croissante des investisseurs nationaux et précisément des milliardaires nigérians. Toujours dans une logique de consolidation, les financements se concentrent davantage sur des entreprises à un stade de croissance plus avancé, prenant moins de risques en comparaison aux start-ups en cours de lancement.
Des opportunités de développement malgré d’importantes contraintes structurelles
Le Nigeria est perçu par le secteur comme un marché plein de potentiel, favorable au développement de services qui amélioreront l’inclusion financière (intégration des langues régionales, applications adaptées à des appareils moins onéreux et moins puissants, développement de la finance islamique). Grâce à une part encore importante de la population non bancarisée, les fintechs devraient miser sur le marché nigérian plutôt que sur l’international, où la réglementation diffère. 80% des Nigérians non bancarisés prévoient d’ouvrir un compte en 2025 [i]. En 2024, 120 M de Nigérians n’avaient pas accès à internet et 64% de la population était en situation d’exclusion financière. Les autorités se sont fixées l’objectif ambitieux d’une couverture internet de 90% de la population pour 2025. Le manque d’infrastructures numériques, d’électricité et de télécommunications reste néanmoins un obstacle structurel. La cybercriminalité pourrait également prévenir modérément l’essor du secteur, ralentissement le développement des acteurs et incitant les Nigérians à la prudence vis-à-vis des échanges dématérialisés. L’inclusion financière devrait continuer de progresser sans pour autant inaugurer une économie sans argent liquide à court terme.[i] Mordor Intelligence, ‘Nigeria ICT Market Size & Share Analysis – Growth Trends & Forecasts (2025-2030)’, (May 20, 2025).
[ii] Banque centrale du Nigeria (CBN), Autorité des marchés financiers (SEC), Commission des communications (NCC), Agence nationale pour le développement des technologies de l’information (NITDA), Commission de la protection des données (NDPC), Conseil de supervision financière (FRS), Service fédéral des impôts (FIRS), Commission nationale des assurances (NAICOM), Commission nationale des retraites (PENCOM).
[iii] Techpoint, 2024.