Aux États-Unis, plusieurs indicateurs récents indiquent un fléchissement significatif du marché du travail, en raison d’une dégradation tant de l’offre que de la demande. Les fortes révisions à la baisse publiées par le Bureau of Labor Statistics (BLS) le 11 septembre révèlent d’ailleurs que la baisse des créations nettes d’emploi s’inscrit dans une tendance antérieure à 2025. En effet, le nombre total de créations nettes d’emploi sur la période d’avril 2024 à mars 2025, initialement estimé à 1 758 000, serait en réalité surévalué de 911 000.  image

Du côté de la demande, le contexte d’incertitudes actuel génère un attentisme des entreprises, qui réduisent voire gèlent leurs embauches. Ainsi, d’après l’enquête sur les offres d’emploi et la rotation de la main-d’œuvre (JOLTS) du BLS, les offres d’emploi sont tombées à leur plus bas niveau en 10 mois en juillet, chutant de 500 000 en deux mois (cf. Graphique 1). Pour la première fois depuis la crise sanitaire, le nombre de postes disponibles dans l’économie américaine est inférieur au nombre de chômeurs. Du côté de l’offre, ce ralentissement est visible dans l’évolution de la population active, dont le taux de croissance annualisée a été réduit de moitié depuis mi-2024, passant de +1 % à +0,5 %. La baisse de l’immigration en est le principal facteur : le nombre de travailleurs immigrés a diminué de 810 000 depuis août 2024, et cette baisse se traduit également en pourcentage de la population, la part d’immigrés dans les résidents aux États-Unis passant de 15,8 % en janvier à 15,4 % en juin (Pew Research Center). Cette faiblesse de l’offre de travail affecte plus particulièrement les secteurs les plus dépendants des travailleurs immigrés (construction, hôtellerie, soins à domicile), qui connaissent des croissances d’emploi nulles (cf. Graphique 2). 

Graphique 2 - Croissance de l'emploi par secteur

Si le ralentissement du marché du travail américain est clairement perceptible, son ampleur demeure incertaine en raison de la complexité croissante à collecter des données fiables et précises. Selon une étude de Goldman Sachs, les taux de réponses ont diminué pour les enquêtes emploi de premier plan, tendance qui s’est accélérée depuis la pandémie (−16 pts pour l’enquête permettant de mesurer le taux de chômage par rapport à la moyenne 2015-2019, −18 pts pour l’enquête destinée à estimer les créations d’emploi et −30 pts pour celle sur les offres d’emploi). Cette diminution a entraîné l’apparition de fortes révisions sur le passé ainsi que l’augmentation des marges d’erreurs statistiques, en moyenne 26 % plus élevées que sur la période 2015-2019. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette détérioration. La crainte des expulsions du fait d’une politique migratoire stricte pourrait dissuader les réponses de la population immigrée selon le Peterson Institute (PIIE). Par ailleurs, la réduction des budgets des administrations pourrait impacter la méthodologie de collecte, notamment la taille de l’échantillon.

Face aux risques pesant sur l’emploi, le Comité de politique monétaire de la Fed (FOMC) a décidé le 17 septembre de diminuer la fourchette cible des taux fed funds de 25 points de base à [4,00 % – 4,25 %]. Alors que l’actuel ralentissement conjoint de l’offre et de la demande de travail est inhabituel, la Fed estime que le rythme de créations d’emploi serait en dessous du taux d’équilibre nécessaire pour stabiliser le taux de chômage. En juillet, le PIIE estimait ce taux d’équilibre à 86 000 en juin 2025, contre 166 000 à son pic en janvier 2024. Or, depuis janvier, le rythme moyen des créations d’emploi n’est que de 75 000 par mois, soit un niveau déjà inférieur à ce seuil, sans compter les révisions annuelles à la baisse dont la déclinaison mensuelle jusque mars n’a pas encore été publiée. Dans ces conditions, un assouplissement monétaire plus prononcé pourrait contribuer à soutenir la demande et stabiliser le marché du travail. Néanmoins, compte tenu de son double mandat, la trajectoire de la Fed devra être ajustée avec prudence afin de prévenir une hausse durable de l’inflation, qui sera par ailleurs déjà soutenue par les hausses de droits de douane américains.