Lancée en 2019 par la SDAIA[i], la stratégie nationale saoudienne d’intelligence artificielle (IA) a franchi un nouveau cap cette année avec la création de HUMAIN[ii], société financée par le PIF à hauteur de 100 Md USD. Selon PwC, l’IA pourrait représenter jusqu’à 12,4 % du PIB d’ici 2030[iii], justifiant le rôle central que le Royaume entend lui donner. L’Arabie se classe déjà 14ème au niveau mondial en capacité en IA, devant les EAU[iv]. Mais derrière ces résultats, des fragilités subsistent : une adoption encore insuffisante par le secteur privé, un cadre réglementaire à consolider, et une dépendance marquée vis-à-vis des États-Unis, qui constitue à la fois un levier d’accès aux technologies de pointe et un risque pour la souveraineté technologique saoudienne.

I. Une stratégie nationale alliant régulation publique et financement souverain

L’Arabie saoudite a choisi de centraliser sa politique d’IA en articulant une gouvernance institutionnelle confiée à la SDAIA et une capacité d’investissement incarnée par le PIF. La Saudi Data & AI Authority (SDAIA), créée en 2019, pilote la National Strategy for Data & AI (NSDAI), avec une enveloppe initiale de 20 Md USD, qui vise à positionner le Royaume parmi les 15 premiers pays mondiaux en matière d’IA d’ici 2030, à former 20 000 spécialistes[v] et à favoriser la création de plus de 300 start-ups d’IA[vi]. Certains objectifs sont d’ores et déjà atteints, l’Arabie saoudite se classant 14ème au niveau mondial en capacité en IA et premier pays arabe du classement[vii]. La stratégie nationale est accompagnée par des investissements considérables, en témoignent l’engagement du Fonds souverain saoudien (PIF), avec la création d’un fonds de 40 Md USD spécifiquement dédié aux technologies d’IA, et le lancement de sa société HUMAIN, dotée d’une enveloppe cible de 100 Md USD et illustrant la volonté de Riyad de ne pas seulement adopter des solutions importées, mais aussi de produire ses propres technologies[viii].

Le Royaume a mis en place un cadre réglementaire favorable visant à encadrer l’IA tout en préservant l’innovation. La loi sur la protection des données personnelles (PDPL), entrée en vigueur en 2021, impose des standards proches du RGPD européen[ix]. La SDAIA a publié des principes éthiques en 2022, fondés sur la transparence et la justice, visant à mettre en place un cadre réglementaire favorable[x]. En mai 2025, la Communications, Space and Technology Commission (CST) a annoncé la création du Global Center for Artificial Intelligence, régi par le Global AI Hub Law, pour attirer gouvernements et entreprises dans un cadre sécurisé. Plus souple que l’AI Act européen, mais plus encadrée que l’approche américaine, la régulation saoudienne se rapproche du modèle émirien, combinant attractivité institutionnelle et supervision étatique renforcée, qui n’est pas sans rappeler l’approche chinoise[xi].

 

II. L’IA comme levier potentiel de croissance et de rayonnement à l’international

L’Arabie saoudite pourrait voir l’IA contribuer à hauteur de 135 Md USD à son PIB d’ici 2030 (environ 12,4 % du PIB), soit les prévisions de gains les plus importants du Moyen-Orient[xii]. Le Royaume voit dans l’IA une opportunité de diversification hors hydrocarbures et un levier de puissance régionale. Sa stratégie nationale se traduit par une progression rapide dans les classements mondiaux : 14ème au Global AI Index et 1ᵉʳ pays arabe devant les EAU (20ème), 2ème pays publiant le plus de travaux sur la sécurité de l’IA[xiii], 1er pays arabe au Global AI Safety Index, et 15ème pour les publications scientifiques[xiv]. Ces résultats renforcent la visibilité internationale de l’Arabie, complétée par l’organisation d’événements majeurs tels que le Global AI Summit (GAIN), DeepFest et LEAP, ce dernier ayant généré près de 15 Md USD d’annonces en février 2025, dont 10,9 Md liés directement à l’IA. Toutefois, selon certaines études, bien que 95 % des entreprises saoudiennes déclarent être déjà dotées d’une stratégie en IA (contre 93 % l’année précédente), formalisée ou en cours d’élaboration, à peine un tiers lui consacre aujourd’hui une priorité budgétaire effective, révélant ainsi un secteur privé encore en rattrapage, mais conscient de l’urgence[xv].

L’Arabie saoudite renforce ses partenariats internationaux, avec une orientation privilégiée vers les États-Unis. Le PIF a noué des accords avec les géants américains NVIDIA, Google, Microsoft, AWS, IBM et Oracle, facilitant l’accès aux technologies de pointe mais accentuant la dépendance saoudienne. Kingdom Holding Company (KHC), le groupe d’investissement du prince Alwaleed ben Talal, est, par exemple, devenu le 2ème actionnaire de xAI après Elon Musk, avec un investissement de 400 M USD fin 2024. Ce rapprochement avec les États-Unis s’est confirmé lors de la visite de Donald Trump à Riyad en mai 2025, où l’Arabie s’est engagée à investir 600 Md USD dans l’économie américaine, dont 20 Md USD pour les centres de données IA. Une visite de Mohammed ben Salmane à Washington pourrait renforcer encore davantage ce partenariat. Des alliances existent également avec d’autres acteurs internationaux : chinois (Huawei, Alibaba Cloud), coréens (Samsung), même si l’essentiel des projets d’infrastructures IA reste porté par les acteurs américains. La France, elle, bénéficie d’un partenariat stratégique conclu en décembre 2024 entre Emmanuel Macron et le prince héritier, qui insiste particulièrement sur le numérique et l’IA. Ce partenariat s’est traduit par l’envoi d’une importante délégation saoudienne au Paris AI Action Summit en février, ainsi que par la participation du Royaume aux réunions du GPAI en tant que pays invité, illustrant une coopération structurée, bien que secondaire face à la centralité accordée à Washington[xvi].

 

III. Entre concurrence et partenariats : un écosystème en « coopétition »

L’Arabie saoudite avance sur tous les fronts, combinant partenariats étrangers et développement de champions nationaux. Les géants américains dominent l’infrastructure, mais le Royaume a choisi de développer ses propres alternatives via SCAI et plus récemment HUMAIN[xvii]. En août 2025, la société du PIF a lancé HUMAIN Chat, basé sur le modèle ALLAM 34B, pour la langue arabe[xviii], illustrant une stratégie de « coopétition » : le Royaume développe HUMAIN comme solution souveraine en arabe, tout en soutenant par exemple le français Mistral AI - financé en partie par le PIF via Sanabil - et en collaborant avec la start-up française pour adapter ses modèles à la région[xix]. Les groupes locaux comme Aramco Digital et stc investissent eux aussi massivement dans l’IA[xx]. L’écosystème local, encore en émergence, se structure autour d’incubateurs tels que CODE AI Incubator et stc inspire U, de centres d’innovation - Tuwaiq Academy, Thakaa Center - et d’investisseurs locaux, comme Impact46, Wa’ed Ventures[xxi].

Plusieurs acteurs français ont trouvé, dans cet environnement dominé par la Big Tech américaine, quelques ouvertures. Mistral AI a été directement approché par les Saoudiens, séduits par son modèle Saba, et a bénéficié d’un investissement du PIF[xxii]. LightOn se positionne sur la souveraineté des données et l’IA sur mesure. Diabolocom et ContractzLab, lauréats du programme Grow Global de Business France, explorent les opportunités avec les acteurs saoudiens Elm, Tahakom, et stc. Kayrros, leader de l’analyse de l’imagerie satellite au moyen de l’IA, travaille avec KAPSARC et le Ministère de l'Energie. AlloBrain, arrivé en 2022 dans le Royaume et qui propose un agent IA pour le service client, s’est imposé progressivement grâce à des partenariats stratégiques[xxiii]. D’autres acteurs comme Artefact, Thales, ou Capgemini interviennent dans des niches spécialisées où l’IA est utilisée comme brique technologique, mais sans être au cœur de leur modèle. La participation de plusieurs entreprises d’IA françaises au LEAP 2025 et la visite d’Arthur Mensch illustrent l’engagement croissant de la France sur ces sujets, dont l’expertise est désormais pleinement reconnue en Arabie.



[i] Saudi Data & AI Authority

[ii] L’Arabie saoudite a lancé, en mai 2025, HUMAIN, une entreprise d’IA du PIF, dotée de 100 Md USD, destinée à placer le Royaume à l’avant-garde de la course mondiale à l’IA. Elle couvre l’ensemble de la chaîne de valeur de l’IA : supercalculateurs, centres de données, cloud souverain, et modèles fondamentaux (LLM). HUMAIN a d’ores et déjà lancé “HUMAIN Chat”, basé sur ALLAM 34B, premier modèle multimodal d’ampleur conçu pour la langue et les valeurs arabes, développé sous le patronage du Prince héritier, lancé en août 2025.

[iii] PwC, The Potential Impact of AI in the Middle East, 2023

[iv] Selon la cinquième édition (2024) de l’Indice mondial de l’IA (Global AI Index), publiée le 19 septembre 2024, par Tortoise Media

[v] Les institutions de formation (Tuwaiq Academy, King Abdullah University of Science and Technology) ont mis en place des programmes massifs de montée en compétences, dont l’initiative “One Million Saudis in AI” visant à former un million de citoyens d’ici 2030

[vi] SDAIA, National Strategy for Data & AI (NSDAI), 2020

[vii] Selon la cinquième édition (2024) de l’Indice mondial de l’IA (Global AI Index), publiée le 19 septembre 2024, par Tortoise Media

[viii] Fonds de 40 Md USD dédié à l’IA créé en 2024, et le projet HUMAIN lancé en mai 2025. La société HUMAIN est chargée de développer des modèles fondamentaux (notamment en arabe) et une infrastructure de calcul souveraine

[ix] PDPL, Saudi Authority for Data & AI, 2021

[x] SDAIA, Ethical Principles for AI, 2022

[xi] Les Émirats arabes unis ont été pionniers dès 2017 en créant un ministère de l’IA et en mettant en place des “regulatory sandboxes” pour expérimenter de nouvelles applications. La Chine a adopté en 2023 une régulation spécifique sur l’IA générative, imposant une stricte supervision des contenus et des algorithmes.

[xii] PwC, The Potential Impact of AI in the Middle East, 2023

[xiii] Parmi l’ensemble de ses publications en IA

[xiv] Tortoise Media, Global AI Index 2024 ; AGILE Index, Global AI Safety Index 2025.

[xv] Cisco AI Readiness Index, Saudi Arabia, 2024

[xvi] Le Partenariat mondial sur l’intelligence artificielle (GPAI) est une initiative intergouvernementale lancée en 2020 par la France et le Canada, avec le soutien de l’OCDE. Il réunit aujourd’hui plus de 30 pays membres (UE, États-Unis, Japon, Corée, Inde, etc.) et vise à favoriser une IA responsable, éthique et centrée sur l’humain. L’Arabie saoudite a été invitée à certaines réunions du GPAI, même si elle n’en est pas membre fondateur.

[xvii] SCAI : Saudi Company for AI. Créée par le Public Investment Fund (PIF) en 2021, SCAI est une société d’investissement et de développement de projets dans l’IA

[xviii] Premier modèle multimodal d’ampleur conçu pour la langue et les valeurs arabes

[xix] Sanabil a participé au tour de financement de série B de Mistral AI, pour environ 640 M USD

[xx] Saudi Aramco a conclu 34 accords-cadres (MoU) avec des géants technologiques américains - NVIDIA, AWS, Qualcomm, entre autres - pour un montant total estimé avoisinant 90 Md USD, couvrant l’IA, la transformation numérique et d'autres secteurs stratégiques.

[xxi] Par exemple, Wa’ed Ventures, le fonds de capital-risque d’Aramco, a alloué 100 M USD pour investir dans des startups d’IA.

[xxii] Le modèle Mistral Saba, développé par Mistral AI, a été lancé le 17 février 2025. Il s'agit d'une approche régionale ciblée, avec 24 milliards de paramètres optimisés pour les langues du Moyen-Orient et de l’Asie du Sud, notamment l’arabe, et conçu pour être déployable localement sur des infrastructures sécurisées.

[xxiii] AlloBrain propose des solutions d’IA conversationnelle et d’analyse client, avec des partenariats stratégiques avec stc InspireU, Tawuniya, Salam, Obeikan, Tamimi Market