Avec une pluviométrie inférieure à 150 mm/an, l’Arabie saoudite est un pays aride et semi-aride dépendant à plus de 80% de nappes fosssiles. Le royaume affiche une consommations d’eau par habitant estimée entre 235 et 270 l/jour parmis les plus élevées au monde. Leader mondial du dessalement d’eau de mer (22% du parc mondial), l’Arabie saoudite chercher aujourd’hui à diversifier ses sources d’approvisonnement notamment face aux coûts économiques et énergétiques élevées de cette technologie. Pour réduire la pression sur la ressource, le royaume se tourne vers des alternatives non conventionnelles, parmi lesquelles la Réutilisation des Eaux Usées Traitées (REUT) suscite un intérêt croissant.

 

I/ Une politique nationale ambitieuse

Pour répondre à une consommation en eau de plus de 13 millions m3/jour pour les usages domestiques et industriels, ainsi qu’à une demande de 28 millions m3/jour pour les usages agricoles, le pays s’appuie sur trois principales sources : le dessalement de l’eau de mer, assurant les trois quarts de l’eau distribuée quotidiennement pour la demande domestique ; le pompage dans les nappes fossiles ; dans un moindre mesure la réutilisation des eaux usées.

Sur les 2300 millions de m3 d’eau consommés chaque année par les ménages saoudiens, le Water Technologies Innovation and Research Institute (WTIIRA) de la SWA estime dans son rapport de 2024 que 40 à 50 % des eaux usées municipales sont traitées dans le Royaume. Environ 1875 m3/an sortent des 133 stations d’épuration du pays (contre 8400 millions de m3/an estimé pour 2023 en France) D’ici 2030, 70% des eaux usées traitées doivent faire l’objet d’une réutilisation REUT. La part consacrée à l’irrigation (agriculture et espaces verts) est estimées aujourd’hui à 22% du total des eaux usées recyclées (voir annexe 2 pour le détail des secteurs concernées par la REUT).

La ville d’Al-Ahsa et son oasis de 8500ha furent dès 1987 l’un des premiers lieux d’expérimentation de l’irrigation agricole avec de l’eau usée traitée recevant aujourd’hui 400 000 m3/jour (voir annexe 3). Plus récemment, le projet de Green Riyadh, a pour objectif de planter dans la capitale saoudienne 7 millions d’arbres irrigués via des eaux usées traitées (voir annexe 4). De même, le King Salman Park, en cours de construction dans la capitale va utiliser de l’eau usée traitée fournie par Green Riyadh, pour l’irrigation de ses 11,6 km² d’espaces verts ains que le remplissage du lac artificiel et des cascades. La REUT figure également dans le cahier des charges de la plupart des mégaprojets de la Vision 2030, tels que le Red Sea Project (un réseau de complexe touristique de luxe sur le littoral de la mer Rouge) ou encore l’initiative Green Mosques and Schools, portant sur la réutilisation des eaux d’ablution de 1200 établissements. Outre l’irrigation, la REUT concerne certains réseaux de refroidissement collectif, comme celui l’aéroport international du Roi-Abdelaziz à Djeddah.

II/ Leviers et blocages de l’expansion de la REUT

Bien que les mégaprojets et la volonté politique du gouvernement saoudien soient des moteurs essentiels du développement de la REUT, plusieurs freins subsistent. D’un point de vue technique, la majorité des stations d’épuration sont déjà équipées selon les standards internationaux de réutilisation des eaux (Title 22 Californien). Toutefois, un défi majeur reste la distribution de cette eau traitée, qui nécessite la création et la construction d’un réseau d’infrastructures adapté. Ainsi 1600km de canalisation ont été déployées pour le projet Green Riyadh. A cela s’ajoute la problématique de la salinité des eaux usées, qu’elle provienne d’infiltrations involontaires ou de rejet de saumure dans le réseau. La salinité de l’eau d’irrigation ne devant pas dépasser 1500 ppm (ou 1.5g/L) afin d’éviter l’accumulation du sel dans le sol et ne pas nuire au bon développement des plantes. Le stockage des eaux usées retraitées, constitue un autre enjeu à venir pour l’Arabie, même si la tension sur le foncier est moins forte qu’en France ou en Europe. Dans le cadre du projet Green Riyadh, 2000 réservoirs d’une capacité individuelle de 2000 à 3000 m3 ont été construits pour une capacité totale de deux jours à trois jours d’irrigation. Pour limiter les pertes par évaporation et intégrer au mieux ces réservoirs dans le paysage urbain, le choix a été fait de les enterrer. La recharge des aquifères ne semble pas à ce stade être un obstacle au développement de la REUSE à des fins agricoles. Actuellement, 50 à 60% des eaux usées sont rejetées dans l’environnement et s’infiltrent dans le sol. Cette pratique, non encadrée d’un point de vue législatif, pourrait représenter une solution partielle pour certaines zones mal desservies en infrastructures (notamment le sud du pays).

L’acceptabilité sociale constitue un enjeu central pour assurer la réussite et l’optimisation des projets. À cette fin, certains mégaprojets, tels que Green Riyadh, intègrent systématiquement des campagnes de sensibilisation à destination de la population. Afin d’éviter tout risque sanitaire, notamment pour les enfants jouant à proximité de zones irriguées via de la REUT, le projet garantit une qualité d’eau d’irrigation conforme aux standards de la consommation humaine. Il convient de rappeler que dès 1978 la fatwa n°64 du Conseil des grand oulémas d’Arabie saoudite encourageait l’utilisation d’eau usée retraitée en considérant que celle-ci présentait les mêmes qualités qu’une eau pure dès lors qu’elle avait fait l’objet des traitements adéquats. La première législation sur le traitement des eaux usées et leur réutilisation date de mai 2000 complétée en 2006 par la définition de règles de bonnes pratiques pour l’irrigation.

En 2021, 4% de l’eau consommée par le secteur agricole provenait de la REUT, réduisant d’autant la pression sur la ressource et principalement les nappes fossiles. A terme, l’Arabie prévoit de disposer de 6.5 millions de m3/jour d’eau usée traitée, ce qui permettrait de couvrir plus de 20% des besoins agricoles. D’un point de vue agronomiques, la Saudi Water Authority (SWA) reconnait également l’intérêt que pourrait représenter la réutilisation des boues d’épuration pour la fertilisation des sols. Toutefois, leur mise en œuvre fait encore l’objet de discussion.

III/ Opportunités et coopérations bilatérales

La signature le 2 décembre 2024, à Riyadh, d’un Partenariat stratégique entre la France et l’Arabie Saoudite vise à renforcer la coopération bilatérale tant scientifique qu’économique et inclut les enjeux agricoles et d’accès à l’eau dans sa feuille de route. Dans ce cadre renouvelé, la réutilisation des eaux usées traités et plus largement des eaux non conventionnelles présente un intérêt commun pour nos deux pays.

La multiplication des épisodes de sécheresse en métropole et des conflits d’usage autour de la ressource a renouvelé l’intérêt de la France pour la REUT avec l’ambition d’atteindre 10% d’eau usées traitées réutilisées d’ici 2030 contre moins de 1% actuellement sur les 3000 milliards de m3 consommés par an. Le cadre réglementant notamment les usages agricoles et agroalimentaires a été précisé en 2024 et devrait donner un nouvel élan à la REUT dont 30% des arrêtés préfectoraux concernent des projets agricoles. Deux sondages récents tracent des perspectives pour son développement : 80% des Français se déclarent prêts à consommer des aliments irrigués avec des eaux non conventionnelles (ce qu’ils font déjà) tandis que 31% des agriculteurs se déclarent prêts à utiliser des eaux usées traités pour leurs cultures[vi]. Le coût encore élevé de l’eau issue de la REUSE (environ 1 euro le m3) contre 15 centimes payé par les agriculteurs français pour l’eau de nappe, motive la recherche d’innovations et d’économie d’échelle. Si la France accuse un retard important comparativement à l’Espagne (15% de REUSE), Israël ou Singapour (70%), ses entreprises leaders du secteur de l’eau ont développé en France comme à l’étranger une expertise précieuse en la matière qui pourrait intéresser l’Arabie. Véolia, Suez et SAUR sont déjà fortement implantés dans la gestion et l’assainissement des eaux urbaines dans quatre des principaux clusters du royaume ainsi que dans le secteur du dessalement.

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La question de l’eau est au cœur des transformations en cours en Arabie saoudite qu’il s’agisse des besoins urbains, industriels ou agricoles. L’accès, quasi gratuit, à l’eau est considérée comme un droit fondamental, consubstantiel de la création du royaume. Cette promesse explique en partie pourquoi les tarifs de l’eau y demeurent parmi les plus bas au monde (75 centimes d’euros le m3 d’eau potable contre 4 à 6 euros en Europe), alors même que son coût de production est l’un des plus élevés. Jusqu’à aujourd’hui, les agriculteurs ne payent pas l’eau qu’ils consomment, cependant les autorités ont engagé un recensement exhaustif des puisages et conditionnent l’octroi de subventions à l’installation de compteur. Dans ce contexte, la réutilisation des eaux usées traitées présente de nombreux intérêts pour réduire la pression sur la ressource et réserver l’eau dessalée à la consommation domestique. Des doutes subsistent quant aux volumes disponibles à terme en comparaison des besoins nécessaires au développement des filières agricoles et de l’économie saoudienne. Toutefois, la dimension des expérimentations et les capacités de financement ouvrent des perspectives de coopération et de marchés pour nos entreprises. La rédaction d’un green code par le MEWA, basé sur les premières expérimentations à grande échelle, permettra notamment de statuer sur le potentiel de la REUT dans tout le royaume.



[i] La consommation d’eau désigne l’usage total d’eau desservie et utilisée dans divers secteurs (urbain, agricole, industriel…), mesuré par les volumes consommés au sein des réseaux de distribution, incluant notamment les pertes et les usages réels dans les foyers, les bâtiments publics et l’irrigation. Source : Ministère de l’Environnement, de l’Eau et de l’Agriculture (MEWA), « Stratégie nationale de l’eau 2030 ».

 

[ii] Il existe également des nappes renouvelables assurant 12 % des ressources en eau, qui se rechargent ponctuellement grâce aux précipitations. Ce pourcentage fait référence aux nappes peu profondes, principalement présentes dans les zones montagneuses de l’ouest et du sud-ouest du pays, qui bénéficient d’apports pluviométriques irréguliers mais significatifs en saison. Source : Ministère de l’Environnement, de l’Eau et de l’Agriculture (MEWA), « Stratégie nationale de l’eau 2030 ».

 

[iii] 85% des saoudiens vivent en ville. Après la découverte du pétrole, l’Arabie Saoudite a connu un fort exode rural cumulé à une explosion démographique, le nombre d’habitants passant de 3,5 millions en 1970 à 35 millions en 2020.

 

[iv] Avec une superficie cinq fois supérieure à celle de Central Park, le King Salman Park est le plus grand projet de parc urbain au monde en cours de réalisation. Il prévoit d’accueillir, à terme, 5 millions de visiteurs et nécessitera 1,7 million de m3/jour d’eau retraité pour son irrigation.

 

[v] Capacité de réserve stratégique identique à celle de la consommation domestique en eau dessalée.