L’Égypte génère 225 à 330 kg de déchets par habitant et par an, majoritairement agricoles, avec des taux de collecte (55 %) et de recyclage (15 %) encore faibles. La croissance démographique et l’urbanisation aggravent cette pression. Une réforme initiée par la loi de 2020 vise à structurer un secteur dominé par des acteurs informels, marqué par une gouvernance fragmentée, des moyens limités et de fortes disparités territoriales. La participation privée progresse mais reste locale.

I. Un engagement public pour une meilleure régulation qui peine à se concrétiser

La mise en place d’un cadre réglementaire ambitieux

Après l’introduction du concept de déchets dans la loi sur l’environnement de 1994, l’Égypte s’est dotée d’une régulation complète du secteur de la gestion des déchets dans la loi n° 202 de 2020, suivie d’un cadre d’exécution en 2022. Cette loi établit un cadre de la gouvernance, attribuant la régulation du secteur à la Waste Management Regulation Authority (WMRA), sous la tutelle du ministère de l’Environnement. Elle définit une typologie des déchets, formalise le secteur (obligation de licence pour exercer) et impose des obligations pour les entreprises, assorties de pénalités en cas de non-respect.

Des innovations sont également introduites dont un projet d’étiquetage pour les emballages responsables (pas encore appliqué), un tarif d’achat de l’électricité générée par des projets de valorisation énergétique des déchets (waste-to-energy) et l’introduction du principe de responsabilité élargie du producteur. Sur ce dernier point, un décret récent (mars 2025) instaure sous trois mois une taxe pour les producteurs et importateurs de sacs plastique.

Une lente transformation du secteur face aux défis d’une gouvernance fragmentée

Toutefois, la connaissance de cette réglementation ainsi que des dispositifs et des acteurs en charge de sa mise en œuvre est encore partielle. La gestion des déchets pâtit par ailleurs d’une structure de gouvernance marquée notamment par une multiplicité de parties prenantes : le ministère de l’Environnement et la WMRA, régulateurs, ne disposent pas pour autant des prérogatives d’exécution confiées aux ministères du Développement local (via la supervision des gouvernorats) et du Logement (pour les villes nouvelles). Par ailleurs, les modalités de mise en œuvre ne sont pas unifiées entre les gouvernorats (27 au total), chacun définissant les modes de collecte, de transfert et de traitement des déchets – recours au secteur privé, informel, etc. Enfin, doit encore être élaborée une stratégie nationale pour accompagner le développement de la filière de traitement et de valorisation, alors même que la Vision 2030 fixe des objectifs particulièrement ambitieux - taux de collecte des déchets municipaux de 95% et taux de recyclage de 60%. L’absence de données fiables complique également la planification.

Toutefois, la filière des déchets électroniques, avec un potentiel important de valorisation, a connu des avancées notables, en partie liées à l’évolution du cadre réglementaire mais également de l’engagement des pouvoirs publics, des entreprises et des bailleurs, à travers le projet Sustainable Recycling Industries (SRI) mis en place par CEDARE. Via le projet One Circle, soutenu par l’Union européenne, Orange Egypt s’engage également en mettant à disposition des points de collecte de déchets électroniques. A noter également que l’industrie du ciment offre un débouché pour les déchets non-valorisables, utilisés comme combustibles alternatifs dans les fours, évitant ainsi leur dépôt dans des décharges – un modèle en place dans plusieurs gouvernorats.

Les investissements publics encore insuffisants sont en partie compensés par les bailleurs

Le secteur est confronté à un manque de ressources qui engendre une forte disparité dans les modes de collecte, ainsi qu’une faible efficacité dans les opérations de traitement et de valorisation des déchets. Le traitement repose encore sur des techniques manuelles. Par ailleurs, l’état du réseau de décharges, bien que relativement étendu, souffre d’un manque de moyens et d’entretien. D’après la Banque mondiale, la résolution de ses dysfonctionnements structurels pourrait générer près de 6 Md USD de revenus par an. Les investissements publics sont par ailleurs concentrés dans les zones urbaines, essentiellement dans les infrastructures de valorisation des déchets.

Si le secteur concentre peu de financements des bailleurs opérant en Égypte, plusieurs programmes d’ampleur sont en cours, dont le projet Greater Cairo Pollution (GCAP) de la Banque mondiale, doté de 200 M USD, dont 126 M USD dédiés à l’opérationnalisation d’un système de gestion de déchets intégré (construction d’infrastructures dans la ville de 10th de Ramadan et de nouvelles stations de transferts). En parallèle, plusieurs programmes d’assistance technique sont déployés, dont le National Solid Waste Management, soutenu par la coopération allemande et la DUE.

II. Une ouverture progressive au secteur privé formel

Un secteur largement dominé par les acteurs informels

Bien qu’il soit difficile d’établir des statistiques précises, la collecte et le traitement des déchets restent majoritairement assurés par le secteur informel (représentant la grande majorité des 360 000 emplois du secteur), à l’instar des chiffonniers qui traiteraient près de la moitié des déchets du Caire. Si le taux de recyclage affiché est certes élevé – évalué à 80%, ces acteurs s’exonèrent de fait des obligations réglementaires, notamment pour la gestion de fin de vie des déchets non-valorisables et s’inscrivent dans des conditions de travail précaires, sans reconnaissance de leur statut par l’État égyptien.

Toutefois, d’autres modèles existent, associant notamment des ONGs. Hepca, forte de ses 700 employés, assure la collecte, la séparation, le suivi et le traitement préliminaire des déchets dans les villes de Hurghada et de Marsa Allam ; un modèle unique en Égypte. A Alexandrie, le gouvernorat a mis en œuvre une gestion intégrée des déchets, de la collecte jusqu’au traitement, reposant sur un partenariat public-privé avec des entreprises locales – un modèle jugé efficace et adapté au contexte égyptien.

D’autres initiatives visent également à faire le lien entre le secteur formel et informel. A titre d’exemple, dans le cadre du projet SRI, les recycleurs licenciés se sont regroupés en 2023 et devraient prochainement lancer une ONG, pour recueillir les déchets collectés par le secteur informel et les réintégrer dans le circuit formel en vue de leur traitement.

L’émergence d’acteurs privés locaux

Ces dernières années, le paysage de la gestion des déchets en Égypte a vu apparaître de nouveaux acteurs privés locaux, principalement des PME. Leur implication, en nette progression, s'accompagne d’une collaboration en sous-traitance avec le secteur informel. Ainsi, dans plusieurs gouvernorats, des entreprises privées assurent désormais des missions de collecte et de traitement des déchets.

Au Caire et à Gouna, l’entreprise Erteka, avec plus de 1 000 employés, est en charge de la collecte. Quelques acteurs locaux ont également émergé sur la filière de valorisation, dont l’entreprise Bariq, leader du secteur qui recycle environ 1,6 milliard de bouteilles en PET par an, transformées en granulés de qualité alimentaire conformes aux normes internationales (bottle to bottle), dont la quasi-totalité de la production est exportée. La société Flex P.Films[1], spécialisée dans la production de films plastiques, grâce à un financement obtenu dans le cadre du projet EPAP associant notamment l’AFD, a lancé une ligne de recyclage de plastique.

Plusieurs start-ups proposant des technologies innovantes se sont également positionnées sur le marché des déchets, dont Bekia, plateforme numérique affichant une traçabilité du recyclage des déchets et un suivi des émissions carbones évités, avec qui collaborent quelques grands groupes, dont Orange Business.



[1] Filiale du groupe indien UFlex Limited, l'un des principaux fabricants mondiaux de films polymères pour l'emballage flexible.