Afrique du Nord : Un partenaire stratégique pour l’Égypte mais une intégration régionale entravée
Située entre l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, l’Égypte entretient des liens notables avec ses voisins nord-africains, notamment la Libye. Ces relations restent toutefois contrastées, affaiblies par la concurrence régionale avec certains pays comme le Maroc. Si la région mise sur son positionnement stratégique entre Europe et Afrique, le manque de synergies freine l’intégration économique, malgré un potentiel considérable dont l’Égypte cherche à tirer parti.
I. Des échanges bilatéraux déséquilibrés largement en faveur de l’Égypte
Des échanges commerciaux en croissance lente, largement au bénéfice de l’Égypte
Représentant moins de 3 % des échanges commerciaux de l’Égypte en 2022, les pays d’Afrique du Nord apparaissent à première vue comme des partenaires de second plan. Toutefois, si l’Égypte n’y source que 0,3 % de ses importations, ses exportations vers les pays de la zone ne sont pas négligeables. Après une baisse significative suite à la pandémie, les exportations égyptiennes vers l’Afrique du Nord ont atteint un niveau record au cours de l’année 2023, s’élevant à 3,5 Md USD, soit 9 % de leur montant global. Au cours des neuf dernières années, l'Égypte a enregistré un excédent commercial moyen annuel de 1,5 Md USD avec cette zone. Si ses échanges avec le Maroc ont presque doublé en dix ans (+ 90 % entre 2013 et 2023) et ses exportations vers l’Algérie ont connu une forte croissance (+21 % entre 2022 et 2023), la Libye reste le premier débouché de l’Égypte dans cette zone (1,6 Md USD en 2023, + 60 % par rapport à 2022), notamment pour son ciment et ses minéraux. Ce renforcement s’inscrit dans le cadre d’une volonté partagée de renforcer les liens économiques bilatéraux en particulier dans le secteur de l’ingénierie. Alors que l’intégration régionale, dans le cadre d’accords internationaux rarement effectifs, peinent à se réaliser, l’Égypte tente de raviver les relations bilatérales avec les pays d’Afrique du Nord. La Fédération des chambres de commerce égyptiennes a notamment appelé à la mise en place d'une ligne maritime directe entre l'Égypte et l'Algérie pour stimuler les échanges commerciaux et les deux pays ont ravivé en 2022 leur Comité mixte supérieur dans le but d’intensifier leurs échanges, aboutissant à la signature de 12 protocoles d’accords.
La forte mobilisation des grands groupes égyptiens dans les projets d’infrastructure de ces pays
L’influence égyptienne en Afrique du Nord passe par l’implantation locale de ses grands groupes d’infrastructures. Orascom, présent dans les quatre pays, œuvre dans plusieurs secteurs clés (énergies, infrastructures, dessalement etc.). En 2021 s’est tenu le Haut Comité égypto-libyen (le premier depuis 2009) au Caire, aboutissant à la signature de 14 protocoles d’accords et six contrats d’infrastructures, impliquant encore davantage les grands groupes égyptiens dans la reconstruction du territoire libyen. Un consortium composé d’Elsewedy Electric et du qatarien UCC s’est vu octroyer en 2023 la construction d’une centrale électrique de 1 GW à Zliten (1,2 Md EUR) dont les travaux devraient durer jusqu’en juin 2025. Orascom, Hassan Allam, Rowad font également partis du consortium chargé de la construction d’une route périphérique à Tripoli pour un montant d’1 Md EUR. Cette mobilisation des groupes égyptiens s’est encore renforcée suite aux inondations qui ont ravagé la ville de Derna (à 300km de la frontière égypto-libyenne) en septembre 2023. Ils y dirigent désormais les travaux de reconstruction et emploient un millier de travailleurs égyptiens sur place. L’expertise de ces grands groupes est d’autant plus pertinente que la région connaît des défis communs tels que l’urbanisation rapide ou le stress hydrique. Orascom a en ce sens construit en Algérie et en Tunisie deux usines de dessalement, respectivement à Hamma (200 000 m3/jour) et Sfax (100 000 m3/jour) et Arab Contractors des logements sociaux en Algérie. Si la présence égyptienne en Libye et en Algérie est notable et croissante, elle demeure toutefois beaucoup plus timide en Tunisie, et quasi inexistante au Maroc malgré des annonces encore incertaines de participations dans certains secteurs comme le tourisme (le groupe hôtelier Albatros souhaiterait investir 130 M EUR au Maroc en 2024).
II. Un espace économique peu valorisé, au profit de géographies plus stratégiques
Des économies peu intégrées et en concurrence
Si l'accord d'Agadir, signé en 2004, a facilité et encouragé les échanges au sein de la région, des difficultés persistent. En mars 2021, les autorités égyptiennes ont interdit l’entrée sur leur territoire d’un lot de 250 à 300 véhicules Renault produits sur le site de Tanger, au motif d’une "non-conformité aux règles de cumul d'origine de l'accord d'Agadir", ce qui a été source de tensions bilatérales (le secteur automobile étant le premier poste à l’exportation du Maroc vers l’Egypte). De surcroît, des différends politiques entre ces pays entravent la coopération intrarégionale et freinent la viabilité des accords transfrontaliers, afin de limiter tout risque de dépendance. La non ratification par l’Égypte de l’Union du Maghreb arabe renforce ce phénomène. Des rivalités sont également à souligner dans le secteur énergétique. L'Algérie et l'Égypte, toutes deux tributaires du gaz pour leur mix énergétique et leurs entrées de devises (50 % du gaz algérien est exporté), se retrouvent en concurrence pour l’exportation de GNL. Alors que l'Algérie bénéficie d'une position privilégiée avec ses terminaux de GNL et ses connexions avec l'Europe via des gazoducs, l'Égypte, avec sa reprise récente d’importations de GNL, pâtit des problèmes de maintenance de son méga champ Zohr en particulier. Lors de la COP28, le Maroc s'est distingué comme le seul pays d'Afrique du Nord à s'engager vers un objectif de zéro émission nette d'ici 2050. En parallèle, l'Égypte a révisé à la hausse ses ambitions en matière d’énergies renouvelables début 2024, fixant désormais son cap à 60 % de renouvelable dans son mix électrique d'ici 2030 (42 % initialement). Avec des similarités notables dans le portuaire ou les renouvelables par exemple, les économies égyptiennes et marocaines sont souvent comparées et concurrentes pour attirer les investissements étrangers dans ces secteurs. Cette forte compétition entre les deux nations se manifeste aujourd’hui dans l’hydrogène vert, mais est toutefois ralentie par le risque de pénalité du first mover, qui incite à la prudence les deux pays dans la réalisation de leurs projets respectifs.
L’Égypte reste un partenaire secondaire de l’Afrique du Nord
A l’instar de l’Égypte qui explore plusieurs projets d’interconnexion avec l’Europe via l’Italie ou la Grèce, la Tunisie développe déjà un projet d’interconnexion électrique avec l’Italie ELMED, facilité par sa proximité avec le continent européen et soutenu par plusieurs bailleurs internationaux. Le Maroc se positionne également sur un projet d’interconnexion électrique avec le Royaume-Uni, encore au stade de discussion, cherchant à capitaliser sur sa proximité géographique, concurrençant indirectement le projet égyptien. L'Europe reste donc la principale destination des exportations nord-africaines et le premier partenaire commercial des pays de la zone. Toutefois, les échanges avec le reste de l'Afrique augmentent, la région capitalisant sur son expertise dans des secteurs clés (énergie, industrie, etc.) et son positionnement stratégique en Méditerranée, ouvert sur deux continents. Situé à la frange de la CEDEAO qu’il souhaiterait toutefois rejoindre, le Maroc mène une stratégie d’investissement en Afrique principalement axée sur la façade Atlantique, alors que l’Algérie se voit en couloir stratégique entre la Méditerranée et l’Afrique centrale et subsaharienne. Lors de la troisième conférence commerciale intra-africaine qui s’est tenue au Caire en novembre 2023, l’Egypte a mis en avant la croissance de ses échanges avec l’ensemble du continent, qui s’élèvent à 6,6 Md USD en 2023 (+16 % par rapport à 2022) largement portés par l’Afrique du Nord (3,5 Md USD), mais également l’Afrique de l’Est (875 M USD d’exportations vers le Soudan en 2023). L’Egypte devance aujourd’hui les échanges du Maroc avec le continent africain qui totalisaient 3,78 Md USD en 2023 mais au sein de laquelle la région Afrique du Nord représente seulement 306 M USD en 2023.