A mi-parcours de la Vision 2030, le gouvernement réaffirme ses ambitions en matière d’infrastructures, en dépit de lourds défis économiques
Lancée en 2016 et révisée en 2023, la Vision 2030 définit la stratégie égyptienne pour les ODD, conciliant dimensions économique, sociale et environnementale. Malgré les fragilités économiques et les chocs externes qui ont freiné l’atteinte des cibles intermédiaires, le gouvernement a relevé ses objectifs pour 2024-2030, affichant des ambitions renforcées dans un contexte difficile.
I. Une stratégie nationale ambitieuse qui a ouvert la voie à des grands travaux …
La stratégie nationale égyptienne officiellement recentrée autour des enjeux de développement durable
A l’instar de plusieurs de ses voisins régionaux, l’Égypte a dévoilé en 2016 sa Vision 2030, stratégie nationale bâtie sur les objectifs de développement durable de l’ONU et qui consolide les orientations économiques, sociales et environnementales du pays pour les 14 années à venir. Définie autour de dix piliers clés, ce document de 364 pages énumère les principaux domaines d’actions et définit des indicateurs chiffrés censés orienter la politique du gouvernement vers une croissance juste et durable. Révisé en 2023, le texte a été substantiellement modifié afin d’ajuster les grands objectifs aux évolutions macroéconomiques et géopolitiques du pays et de la région. Alors que la première version se concentrait strictement sur la définition d’indicateurs stratégiques et des projets pour y répondre, le texte actualisé offre une approche holistique, en définissant plutôt des orientations générales destinées à orienter les futurs investissements dans le pays. La Vision 2030 devait également répondre aux enjeux d’une Égypte qui allait passer de 90 M à 125 M d’habitants en 15 ans. Cette expansion démographique a été le moteur de la Vision 2030 qui a offert des solutions intégrées pour y répondre à travers des grands projets d’infrastructures, de logement et de gestion des ressources énergétiques. La stratégie économique et sectorielle s’articule autour d’une quinzaine de « méga projets » englobant des initiatives en matière industrielle, d’énergie ou de transport. Complémentaires, ces projets visent différents objectifs : (i) faire de l’Égypte un hub commercial attractif pour les investissements étrangers, en développant les infrastructures routières, portuaires et des zones économiques spéciales ; (ii) anticiper la croissance démographique en étendant les zones urbaines et améliorant leur accessibilité ; (iii) faire de la transition énergétique un vecteur de croissance pour le pays.
Des avancées notables en matière d’infrastructures grâce à de nombreux grands travaux
Depuis 2016, l'Égypte s'est engagée dans d'importants projets nationaux capitalisant un investissement total de 143 Mds EGP (4,4 Md EUR au taux moyen sur la période), offrant des opportunités considérables aux entreprises étrangères. Si la plupart des grands chantiers initiés ces dernières années étaient déjà centraux dans la Vision 2030, d’autres, comme le monorail ou le LRT, ont été lancés indépendamment. S’inscrivant toutefois systématiquement dans la lignée de la stratégie globale, ces nouveaux projets s’alignent non seulement sur la Vision 2030 par les objectifs de développement auxquels ils répondent mais également par les partenariats qu’ils favorisent avec le secteur privé. Parmi les investissements structurants inclus dès le lancement de Vision 2030, l’élargissement et la construction d'une nouvelle voie dans le Canal de Suez, ont permis l’accroissement de la capacité d'accueil des navires et résolu les problèmes de congestion. En parallèle, des efforts ont été déployés pour optimiser les espaces et les installations de stockage dans les ports maritimes. Cinq tunnels ont également été construits pour relier le delta du Nil et la péninsule du Sinaï. De surcroît, la Nouvelle capitale administrative est un mégaprojet majeur initié par le Président Sissi. Les travaux pour la première phase ont débuté en 2016 avec un coût initial prévu de 58 Md USD. Sur le volet énergétique, un vaste plan de construction de centrales thermiques (Siemens) et de libéralisation du secteur, a permis à l’Egypte de pallier son déficit électrique et d’accroitre sa capacité installée à 59 GW, sans toutefois résoudre les problèmes d’accès à l’électricité. Dans le secteur des transports, outre l'expansion du réseau routier sur 25 500 kilomètres, d’autres initiatives essentielles sont en cours de réalisation pour assurer une meilleure connectivité nationale et électrifier le réseau. Un train électrique léger (LRT) de construction chinoise est opéré par RATP Dev, tandis que le monorail (Alstom UK), et trois lignes à grande vitesse (Siemens) sont en cours de développement. Le réseau de métro du Caire continue également de s’étendre. La ligne 3 inaugurée en 2012 et exploitée par RATP Dev depuis 2020, a été étendue sur ses phases 3B et 3C en 2024, tandis que la première phase de la ligne 4, financée par les japonais, est en cours de construction. Les indicateurs de compétitivité mondiaux ont également montré de nets progrès dans la qualité des infrastructures égyptiennes, le pays (34ème sur 185) ayant gagné 20 places en 2023 par rapport à son classement de 2018 au Global Quality Infrastructure Index. Le pays est en revanche 56ème concernant la qualité de ses infrastructures pour répondre aux ODD (QI4SD) et 6ème de la région MENA, derrière l’Iran, la Tunisie et les Emirats Arabes Unis.
II. …aux objectifs confrontés à une conjoncture économique dégradée
La mise en œuvre de projets parfois contrariée par des capacités financières contraintes
Les objectifs et indicateurs de performances décrits dans la vision ont été élaborés avant les chocs externes majeurs du début de la décennie 2020 (Covid-19, guerre en Ukraine, conflit Israël Hamas) qui ont eu de lourdes conséquences. La crise économique a contraint le gouvernement égyptien à réévaluer ses priorités et ses objectifs. À titre d’illustration, le gouvernement égyptien avait beaucoup d’attente sur la multiplication des investissements dans la Zone économique du Canal de Suez (SCZone) et de nombreuses annonces ont été faites à cet égard. Moins de projets qu’initialement prévu se sont concrétisés jusqu’à présent. Cela étant, l’Égypte a décuplé ses ambitions initiales dans le secteur énergétique, aspirant depuis le mois de février à porter la part des énergies renouvelables à 60% du mix électrique d'ici 2030 (contre 42% annoncés début janvier 2024 et 35% en 2016). A ce stade, avec 6,2 GW de capacités renouvelables actuellement disponibles, l'Égypte affiche un écart de 13 GW par rapport à ses objectifs initiaux pour la même période. Alors que l'Égypte comptait sur le développement de producteurs d'électricité indépendants (IPP) pour augmenter ses capacités renouvelables, la crise de change et la libéralisation encore limitée du secteur limitent leur expansion.
Après les élections de décembre 2023, le gouvernement a annoncé sa stratégie 2024-2030, réhaussant encore ses ambitions en matière d’énergie et d’infrastructures
En janvier 2024, le Président Sissi, tout juste réélu, a révisé les objectifs du gouvernement d’ici à 2030. Le gouvernement égyptien fonde une partie de son projet de croissance sur sa filière énergétique qui représente aujourd’hui 13% de son PIB et pourrait atteindre 25% du PIB en 2030, capitalisant sur l’exportation d’hydrocarbures (doublement des capacités entre 2023 et 2030) et d’électricité (via notamment la construction de nouvelles interconnexions avec l’Arabie saoudite et, de manière plus incertaine, avec l’Europe pour doubler ses exportations d’ici 2030 à 1,5 GW/jour). Ces objectifs paraissent particulièrement audacieux alors que l’Egypte a vu sa production gazière s’effondrer l’an dernier et a subi de fortes pressions sur son réseau durant toute la deuxième partie de l’année 2023, induisant des délestages quotidiens pour la population qui se poursuivent. L’Égypte cherche aussi à développer son potentiel minier, grâce à la création d’une zone économique spéciale dans le Triangle d’Or, se fixant l’objectif de multiplier par dix la contribution du secteur au PIB d’ici à 2030 (de 0,5% à 5%). Le Triangle d'Or, situé entre Qena, Safaga et Al Qusair, est considéré comme l'une des régions les plus riches en sources minières, représentant 75 % des minéraux de l'Égypte, dont certains utilisés dans la fabrication d’engrais minéraux, secteur stratégique pour le pays qui se positionne dans les dix premiers fournisseurs d’engrais au monde. La nouvelle stratégie du gouvernement s’appuie enfin largement sur le développement du fret maritime et de ses voies navigables intérieures. La création d'une zone logistique au lac Nasser pour relier le réseau d'eau douce du lac Victoria à Alexandrie à la mer Méditerranée entre en résonance avec la stratégie du ministre de l’Approvisionnement qui a annoncé à la rentrée de janvier l’ouverture de 14 zones logistiques dans 10 gouvernorats pour un coût de 33,5 Md EGP.