L'industrie pharamceutique: au coeur de la stratégie de nationalisation de l'État
Malgré un marché porteur et une production locale solide, l’industrie pharmaceutique égyptienne reste dépendante des importations d’intrants. L’élargissement de la chaîne de valeur nécessite des investissements massifs, en grande partie privés, freinés par une régulation des prix peu attractive, des contraintes d’approvisionnement et des procédures lourdes. La mobilisation du secteur privé sera déterminante pour renforcer l’autonomie et les exportations.
I. Une industrie pharmaceutique en croissance dynamisée par le secteur privé local et étranger
Un secteur en pleine croissance encadré par de nouvelles entités publiques
L'industrie pharmaceutique en Égypte se distingue par une production nationale robuste qui couvre près de 90 % des besoins du pays, le marché étant estimé à 6,2 Mds USD en 2023 (les ventes en 2022 se sont établies à 5,5 Mds USD, +106 % par rapport à 2021). Cette production s’appuie sur 170 usines de médicaments et 40 en construction, auxquelles viennent s’ajouter 500 unités de production de cosmétiques et 300 usines d’équipements médicaux. L'Égypte se positionne comme un acteur compétitif pour la fabrication de produits pharmaceutiques, notamment pour les médicaments génériques. Le potentiel du marché égyptien pourrait à moyen-terme être encore renforcé par la mise en place progressive depuis 2018 de l’assurance maladie universelle rendant l’accès aux médicaments plus aisé, avec une couverture de santé à l’intégralité de la population égyptienne théoriquement d’ici 2030 et qui couvre déjà 2 millions de bénéficiaires dans trois gouvernorats pilotes. Créées dans le sillage de l’AMU, l’UPA (Unified Purchase Authority) concentre l’intégralité des marchés publics en matière pharmaceutique et l’EDA (Egyptian Drug Authority) contrôle les autorisations d’entrées et de sorties sur le marché des médicaments. Ces entités se rejoignent sur la définition des axes prioritaires du secteur pour (i) centraliser les activités en Égypte pour diminuer les coûts et multiplier les investissements, (ii) étendre son positionnement sur la chaîne de valeur, notamment la recherche et développement et (iii) soutenir à l'export les entreprises locales pour faciliter l’accès aux marchés internationaux.
Une industrie marquée par le dynamisme du secteur privé et des multinationales étrangères
Le secteur privé, notamment étranger, joue un rôle moteur dans l'industrie pharmaceutique égyptienne. Les multinationales (Sanofi, Servier, Novartis, Pfizer, etc.) sont largement présentes et se distinguent par des investissements directs conséquents, tandis que les entreprises privées locales, à l’image de Pharco, affichent également de bonnes performances. La politique de propriété de l’État, publiée en décembre 2022, fait néanmoins état de la volonté du gouvernement de renforcer les investissements publics dans le secteur, en particulier pour les grands projets stratégiques (production d’intrants, industrie biologique, fabrication de vaccins, etc.) tout en insistant sur la nécessité de s’appuyer également sur les acteurs privés.
II. Un positionnement élargi sur la chaîne de valeur sera décisif pour renforcer les exportations
La forte dépendance aux intrants fait de la localisation de la production de médicaments une priorité
L’industrie pharmaceutique égyptienne est tributaire des importations de matières premières à hauteur de 95 %. Cette forte dépendance aux marchés étrangers est un facteur de risque dans un contexte de crise de change et de forte inflation. La rareté des devises a fait croître les risques de pénuries de matières premières importées, avec des cargaisons bloquées dans les ports au premier semestre 2023, obligeant la banque centrale à intervenir pour que les banques commerciales allouent en priorité des devises à ce secteur. A noter que la France est le quatrième fournisseur de l’Égypte après la Suisse, l’Allemagne et les États-Unis en produits pharmaceutiques. Afin de pallier les difficultés d’approvisionnement en Égypte, plusieurs projets de localisation ont récemment vu le jour comme GYPTO PHARMA, le plus grand centre de production de produits pharmaceutiques de la région ANMO. Ce projet surnommé « pharm city » et initié en 2021 prévoit une collaboration entre le secteur public et les multinationales pour localiser de nouvelles technologies et développer une chaîne de production de matières premières. De même, dans la Zone économique du canal de Suez, ACDIMA (Arab Company for Drug Industries and Medical Appliances) a lancé la construction d’une usine de 165 M USD pour la production de substances actives. Les investisseurs des pays du Golfe s’intéressent à l’acquisition d’entreprises de production et des chaînes de distribution, à l’instar d’ADQ, filiale du fonds souverain d’Abu Dhabi, qui a racheté Amoun Pharma, le 6ème groupe pharmaceutique d’Egypte, en 2021.
Des obstacles à lever pour libérer le potentiel de production, afin de renforcer les capacités d’exportation
Outre la dépendance de l’industrie aux importations, l’entrée de nouveaux produits sur le marché égyptien et l’octroi de licences de mise sur le marché des médicaments restent lourdes et de nature à décourager les entreprises. Des avancées régulatoires ont toutefois permis d’alléger ces procédures d’enregistrement. La régulation des prix par la puissance publique peut également s’avérer un frein pour les nouvelles implantations. Le secteur doit encore se diversifier et développer un avantage comparatif pour certains produits spécifiques (médicaments brevetés, biotechnologies, etc.). Le manque d’innovation, de transferts de technologies et les retards en matière de réglementation l’empêchent de se frayer un chemin sur le marché mondial et de s’affirmer comme un fournisseur clé pour les pays occidentaux, dont les normes spécifiques à l’importation sont strictes. Les efforts du gouvernement permettent progressivement de lever certaines de ces barrières, dans le but d’orienter la stratégie commerciale nationale vers l’export et de s’assurer des entrées de devises. Les exportations de produits pharmaceutiques de l’Égypte représentaient 319 M USD en 2022, la majorité de ces échanges se faisant avec le Moyen-Orient, en particulier l’Arabie saoudite et le Yémen. Toutefois, pour pénétrer d’avantage les marchés étrangers et conserver sa position en Arabie saoudite, qui accélère son propre développement, l’Égypte devrait se spécialiser dans la production de médicaments plus complexes. De plus, l’Égypte a pour objectif de s’étendre au reste du continent africain, qui présente non seulement un marché avec de faibles barrières à l’entrée, mais aussi une demande croissante pour des médicaments abordables. Depuis leurs lancements, UPA et EDA mettent en place des accords bilatéraux et multilatéraux pour soutenir cette stratégie. Après l’accord-cadre signé en juillet 2023 entre EDA et SAHPRA (son équivalent sudafricain) pour faciliter la collaboration bilatérale dans le domaine de l’industrie pharmaceutique, UPA a annoncé en octobre 2023 la conclusion d’un partenariat de 24 M USD avec la Zambie pour la fourniture de produits pharmaceutiques.