Industrie automobile en Égypte : une ambition prometteuse
Créée dans les années 1960, l’industrie automobile égyptienne demeure limitée, essentiellement centrée sur l’assemblage et dépendante des importations. Face à une concurrence régionale accrue et à un marché intérieur fragile, les autorités déploient une stratégie pour stimuler les exportations et attirer constructeurs et équipementiers grâce à des incitations ciblées, favorisant l’annonce de nouveaux investissements.
I. Un marché intérieur de taille réduite et une industrie locale encore peu développée
Panorama du marché automobile égyptien
Le marché automobile égyptien est d’une taille réduite avec un parc automobile estimé à 10 M de véhicules dont 5,2 M de véhicules passagers en 2023, pour 110 M d’habitants, soit un ratio de 94 véhicules pour 1 000 habitants. Après une forte progression au cours de la décennie précédente, le nombre de véhicules immatriculés en Égypte a amorcé un déclin depuis 2019 (CPAM de -3,4% - Annexe 1). Si la voiture demeure un moyen de transports personnel privilégié, l’essentiel de la population égyptienne n’a en effet pas les moyens d’acquérir et entretenir un véhicule. Le marché demeure toutefois non-négligeable à l’échelle du continent africain, constituant le troisième parc automobile derrière le Nigéria et l’Afrique du Sud. A long terme, il devrait bénéficier mécaniquement de la dynamique de la croissance démographique.
Un rebond progressif alors que le secteur a traversé de nombreuses crises
Depuis 2021, le marché des véhicules neufs a traversé une crise sans précédent, en lien notamment avec les pénuries de devises et la forte baisse du pouvoir d’achat des ménages. Ainsi, les ventes globales de véhicules neufs (voitures de passagers, utilitaires, camions, bus) se sont effondrées, atteignant 86 044 unités sur l’année 2023, soit une baisse de moitié en g.a, après une baisse de 37% en g.a en 2022. Il s’agit du niveau de ventes le plus faible depuis 2005. A titre de comparaison, entre 2018 et 2022, en moyenne plus de 200 000 véhicules neufs étaient vendus par an. La tendance est moins marquée mais tout aussi visible sur les importations du secteur, alors que la Banque centrale avait imposé en mars 2022 des restrictions sur le financement des importations de bien non-essentiels, dont les véhicules assemblés, et que les autorités ont imposé des quotas sur les importations de véhicules. La stabilisation de la situation économique au cours de l’année 2024 et la levée de certaines restrictions devraient toutefois permettre un redressement des ventes, avec un premier léger rebond attendu sur l’année. A terme, les ventes se stabiliseraient autour de 180 000 véhicules par an à l’horizon 2026, un niveau toutefois inférieur à ceux observés entre 2018 et 2022. Le marché est historiquement dominé par la présence des marques japonaises (Nissan, Toyota), européennes (Fiat, Renault, Peugeot) et américaines (Chevrolet), malgré une forte montée en puissance des constructeurs chinois (Chery, BYD). La présence des groupes français est non négligeable avec une implantation du groupe Stellantis (JV avec un partenaire local) et la présence de Renault via un importateur local. Par ailleurs, l’équipementier Valéo a massivement investi en Egypte dans un centre de R&D de logiciels à vocation mondiale. A noter que la transition du secteur vers l’électrique est balbutiante, avec moins de 4 000 véhicules électriques aujourd’hui en circulation, soit moins de 0,5% du parc total.
Une industrie nationale reposant essentiellement sur de l’assemblage
Si l’Égypte est également un pays producteur de véhicules, le troisième en Afrique avec environ 50 000 véhicules assemblés en 2023, l’industrie se concentre quasi-exclusivement sur l’assemblage de kits importés, avec un niveau de valeur ajoutée locale de l’ordre des 15 à 20%. Fin 2024, le pays comptait 17 usines d’assemblages, qui ont permis le développement d’un écosystème industriel comprenant une centaine de fournisseurs de rang 1 et 2. Si Nissan, Suzuki et General Motors sont directement implantés via des sites de production, la majorité des constructeurs a noué des partenariats avec des entreprises égyptiennes. A noter l’inauguration, en novembre 2024, d’une usine d’assemblage pour la marque malaisienne Proton suivi, en janvier 2025, par celle de modèle du constructeur chinois Geely. Le secteur représente un segment marginal pour l’industrie égyptienne, employant moins de 100 000 individus (emplois directs), avec des estimations de revenus inférieures à 2 Mds EUR. La production a vocation à alimenter presque entièrement le marché intérieur : les exportations du secteur étaient ainsi inférieures à 100 M USD en 2023. En parallèle, les importations du secteur ont atteint près de 4 Mds sur l’année – l’Europe détenant 43% de part de marché et l’Asie- 42%.
II. Une volonté politique d’accompagner le développement du secteur…
Mise en place d’incitations pour renforcer la filière industrielle
Le gouvernement a fait du développement de la filière automobile égyptienne l’une de ses priorités, dans un objectif plus global d’attirer les investissements des grands constructeurs et les inciter à localiser leur production, conformément au plan de développement Vision 2030. En novembre 2023, les autorités ont ainsi publié une stratégie dédiée au secteur qui ambitionne de faire de l’Égypte un hub régional pour la production de véhicules, avec un objectif de production de 400 000 à 500 000 à l’horizon 2030 dont 25% destiné à l’export. Elle intègre notamment un plan d’industrialisation - National Automotive Industry Development Program (AIDP) - concentré sur le développement d’une industrie des véhicules électriques. Il prévoit notamment un paquet de mesures d’incitation à la production pour les constructeurs automobiles (seuil minimum de production de 10 000 unités par usine) pour la création de nouvelles usines et la réhabilitation des lignes de production vieillissantes. Un volet du plan est consacré au renforcement des compétences de la main-d'œuvre locale, grâce à des partenariats avec des universités et des centres de formation privés, dont une partie du financement sera assurée par les constructeurs. Ces démarches s’inscrivent dans le cadre de l’objectif de porter à 7 millions le nombre d’emplois dans le secteur industriel d'ici 2030, contre 3,5 M actuellement. En parallèle, un ensemble d’incitations à l’achat visant à rendre les véhicules électriques plus compétitifs doit également être instauré (bonus pouvant aller jusqu’à 50 000 EGP, exemptions de la taxe d’immatriculation, etc.). Dès 2022, dans le cadre d’une réforme globale, les autorités égyptiennes avaient diminué significativement les taxes et droits à l’importation pour certains modèles de véhicules et composants. De même, l’industrie automobile était éligible aux nouveaux systèmes de réduction des droits de douane pour les biens produits localement.
Une restructuration de la gouvernance du secteur pour accompagner ces ambitions
Les autorités ont également clarifié la gouvernance institutionnelle du secteur, avec la création d’une unité automobile au sein du ministère de l’Industrie (désormais rattaché à celui des Transports) qui sera en charge d’établir les normes détaillées de l’AIDP et leur mise en place. Un comité de pilotage (Supreme Council for the Automotive Industry) a également été instauré pour fixer une stratégie pour le secteur. Placé sous la présidence du Premier Ministre, il intègre cinq ministères. Enfin, un fonds de soutien à la transition du secteur devrait voir le jour, bien que ses modalités et sources de financement restent incertaines. En parallèle, le secteur automobile a été identifié comme stratégique dans le développement de la zone économique du Canal de Suez (SC Zone) qui ambitionne de devenir le principal pôle économique du pays grâce à un système d’incitation propre et de son positionnement géostratégique.
III. …qui fait l’objet d’une attention croissante des constructeurs mais fait face à nombreuses incertitudes
Plusieurs annonces d’investissements des grands constructeurs internationaux, surtout chinois.
Dans ce contexte, les annonces d’investissements et de localisation des constructeurs automobile se sont multipliées. De nombreux constructeurs établis dans le pays ambitionnent ainsi d’étendre leurs capacités de production, comme Nissan ou encore Stellantis qui a annoncé un plan d’expansion pour une montée en puissance de l’assemblage local de ses modèles de Jeep Cherokee et a lancé une ligne de production pour les Citroën C4X. La majorité des annonces ont toutefois concerné l’implantation de constructeurs chinois via des partenariats avec des acteur locaux – GB Motor pour les marques Haval et Chery ; Al Mansour pour SAIC ; Alkan Auto pour BAIC ; Jianbei, etc.
Des ambitions encore confrontées à de nombreux défis
Les défis auxquels le secteur reste confronté demeurent nombreux et la matérialisation de ces plans d’investissements est incertaine. D’une part, car la concurrence régionale est forte alors que certains pays de la région comme le Maroc ou la Turquie ont développé un écosystème industriel plus mature avec le développement précoce de filières pour l’export. Plus généralement les constructeurs pourraient être confrontés à un manque de main d’œuvre qualifiée, une situation macroéconomique toujours fragile et un climat des affaires qui reste instable. Le développement d’une filière des véhicules électriques (VE), identifiée comme axe prioritaire par le gouvernement, semble enfin prématuré, de l’avis même de certains ministres, alors que le pays ne dispose pas des infrastructures fondamentales nécessaires à l’essor des VE (réseau de bornes de recharge encore embryonnaire), que l’essence demeure fortement subventionnée (17 LE soit 0,30 EUR le litre de « super ») et alors que l’écart de prix avec les véhicules thermiques demeure très élevé comparativement au pouvoir d’achat de l’essentiel de la population.