Face au recul de sa production gazière, l’Égypte subit des délestages depuis 2023 et importe du GNL pour couvrir les pics estivaux, au détriment de ses exportations. La demande croît avec la démographie, tandis que le réseau, fragile et marqué par des pertes, doit être modernisé pour intégrer les renouvelables et attirer les investissements privés, conditionnés à la libéralisation du secteur.

I. La stabilité du réseau électrique égyptien à l’épreuve de la chute de la production locale de gaz naturel

Des délestages massifs pour contrer la pénurie de combustible

Ployant sous la pression des pics de chaleur, et donc de consommation d’électricité, le réseau égyptien connaît depuis l’été 2023 des coupures de courant programmées, encore réhaussées en cette fin de mois de juin 2024 à une durée de deux  trois heures quotidiennes, et parfois plus dans certaines localités (le Premier Ministre a néanmoins annoncé lors d’un point presse le 25 juin que ces coupures s’interrompraient dès la troisième semaine du mois de juillet et jusqu’à la fin de l’été) : une situation inédite depuis les délestages massifs du début des années 2010, qui avaient conduit le Président Abdel Fattah Al-Sissi à engager dès 2014 des investissements considérables pour y remédier. Plus de 189 Md EGP (soit plus de 12 Md EUR au taux de change moyen sur la période 2014-2020) ont été injectés par l’État dans les infrastructures de génération. 31 centrales ont été construites, augmentant en seulement six ans de 30 GW la capacité installée (sur un total actuel de 59 GW, avec 75 unités de production) permettant à l’Egypte de dégager un excédent de capacité installée (pics de consommation à 35 GW).

Le retour des délestages à l’été 2023 a pourtant démontré qu’un goulot d’étranglement ressurgissait au niveau de la production électrique, la pénurie de gaz naturel pour faire tourner les centrales ayant conduit le gouvernement à réduire la charge sur le réseau (avec à la clef une économie annuelle pour le budget de l’État estimée à 1 Md EUR). Le mix électrique, carboné à 89 %, repose largement sur le gaz, dont la production de gaz s’est effondrée depuis deux ans, pour atteindre en 2023 son niveau le plus bas depuis 2017 (5,84 Md pieds cubes/jour), en raison des difficultés rencontrées sur Zohr, le principal champ offshore, et en dépit d’importations record en provenance d’Israël. Les exportations de GNL, source de devises essentielles pour le pays, se sont effondrées de moitié en 2023, et des importations ont été relancées pour la première fois en six ans (trois cargaisons mensuelles devraient être importées entre juillet et octobre 2024, EGAS ayant lancé le 23 juin un appel d’offre pour 17 cargos à livrer dans les trois mois à venir pour faire face aux pics de température). 

La mise en service à venir d’importantes capacités de renouvelables implique un renforcement et une extension du réseau de transmission

Pour pallier l’impact délétère de ces imports de gaz pour les finances publiques égyptiennes (le Premier ministre a fait état dans son allocution télévisée le 25 juin d’un plan à 1 Md USD pour importer du combustible pour alimenter les centrales électriques jusqu’à à la fin de l’année, s’ajoutant aux 180 M USD liés à l’importation de 300 tonnes de mazout début juillet), les autorités souhaitent accélérer le développement des énergies renouvelables, avec une cible ambitieuse de verdissement du mix fixée à 42 % d’ici 2030. Le pilier énergie du programme NWFE (Nexus for Water, Food & Energy) vise la mise en service de 10 GW d’ici 2028 grâce à la levée de 10 Md USD. Pour l’heure, avec 1,9 GW d’éolien et 1,9 GW de solaire installés (5 % du total), et un rythme de mise en service qui a ralenti ces dernières années, le chiffre annoncé par le ministre de l’Électricité et des Énergies renouvelables (MoERE) de 126 GW de nouvelles capacités vertes dans les prochaines années demeure un objectif ambitieux. Mais même si seule une partie de ces projets voit le jour, d’importantes implications devront être prises en compte en matière de modernisation et de stabilité du réseau pour permettre d’absorber ces énergies intermittentes.

Cette électricité verte a par ailleurs vocation à générer des devises via l’export grâce à de nouvelles interconnexions, essentielles pour optimiser la stabilité du réseau. Si l’Égypte est déjà connectée au Soudan (capacité de 80 MW), à la Libye (300 MW, avec une cible à 2GW) et à la Jordanie (550 MW), une interconnexion avec l’Arabie saoudite est en cours de construction (1,8 Md USD) pour une capacité attendue de 3 GW en 2025, qui doit offrir une liaison avec l’ensemble du Golfe. Surtout, une interconnexion avec l’Europe est à l’étude selon différents schémas pour des capacités d’échange journalière autour de 3 GW pour un coût estimé à quelques milliards de dollars. Le projet de connexion au réseau grec GREGY, inclus dans l’initiative Global Gateway, a été inscrit sur la liste des projets d’intérêt mutuel de la Commission européenne fin 2023, ouvrant la voie à l’octroi de subventions. Un tracé alternatif reliant les côtes italiennes est également envisagé. Ces projets représentent un défi technique monumental, et devront également composer avec des chaînes d’approvisionnement en câbles sous-marins et en stations de conversions sévèrement congestionnées jusqu’en 2030.

II. Un besoin massif d’investissement qui passera par une réforme en profondeur du secteur

Une modernisation du réseau de transmission à l’œuvre qui devra s’étendre au segment de la distribution d’électricité

Le réseau de transmission a déjà fait l’objet d’efforts significatifs au cours de la décennie passée pour réduire les pertes techniques, grâce notamment à un appui des bailleurs (un programme de 762 M EUR financé par l’AFD, la BEI, la KfW et l’UE a ainsi permis entre 2011 et 2016 de construire des lignes à haute tension et des postes électriques, et de raccorder au réseau de nouvelles unités de renouvelables). La modernisation des sept centres de contrôles régionaux a en outre été initiée en 2015, dont celui d’Alexandrie, ARCC (le plus proche de l’UE et à ce titre préalable indispensable aux projets d’interconnexion), financé par l’AFD et l’UE et inclus dans l’accord intergouvernemental entre la France et l’Égypte signé en 2021, constituera la dernière étape. Également financée par l’AFD, la construction du nouveau centre régional du Delta est en cours d’achèvement. En 2023, la BERD a accordé un prêt de 165 M USD (complété par une subvention de 35 M EUR de l’UE) pour construire des sous-stations et une ligne haute tension de 200 km pour évacuer 2,1 GW de renouvelables produits dans le golfe de Suez.

Des efforts conséquents restent à fournir sur le réseau de distribution, dont les pertes très élevées en font le maillon faible de la chaîne de valeur et rendent caducs les investissements dans le réseau de transport : le MoERE évaluait ainsi le taux de perte à 22 % en 2021/22, à 18 % en 2022/23 avec l’objectif de le ramener à 16,8 % pour 2023/24, pour permettre de réduire les coûts colossaux affectant le budget de l’État causées par les pertes techniques (déficience des câbles et infrastructures) et non-techniques (compteurs défaillants ou trafiqués, erreurs de facturation…). La distribution gérée par neuf sociétés couvrant l’ensemble du territoire, et dépendant de EEHC (Egyptian Electricity Holding Company) qui supervise le secteur de l’électricité sous la tutelle du MoERE. L’enjeu des pertes se fait de plus en plus prégnant dans l’agenda des autorités, qui ont également signé des protocoles de coopération avec différentes entreprises dont EDF International Networks et Schneider Electric.

Mener à bien la libéralisation du secteur de l’électricité comme préalable au déblocage des investissements nécessaires

Une libéralisation du secteur et une extinction des subventions à la consommation apparaissent désormais comme des prérequis pour attirer les investissements pour permettre le renforcement du réseau, incontournable eu égard à la hausse de la demande et au caractère intermittent des nouvelles énergies. Si la volonté de renforcer le rôle du secteur privé est affichée par les autorités, la mise en œuvre de « loi Électricité » du 7 juillet 2015 qui dispose la création d’un marché de l’électricité concurrentiel est encore largement incomplète. Le gestionnaire du réseau de transmission, EETC, est dans la pratique toujours fortement lié à EEHC tandis que le marché reste largement régulé et que les prix pratiqués sont insuffisamment attractifs pour les investisseurs.

Les nouvelles mesures approuvées par le régulateur au printemps 2024 pour permettre, en application de la loi de 2015, aux producteurs d’électricité indépendants (IPP) de contractualiser directement avec des clients finaux en utilisant le réseau national sont assorties de conditions multiples et contraignantes qui affaiblissent la portée de cette avancée. L’appel à projets en vue de la préqualification s’est ouvert début juin 2024 pour trois mois, une incertitude pesant encore sur le paramètre clé du montant de « wheeling fee » que facturera EETC pour faire transiter ces volumes sur le réseau national (un prix trop élevé rendant automatiquement tout développeur non compétitif par rapport à EETC).

Enfin, l’élimination progressive des subventions sous quatre ans est une condition sine qua non à la montée des acteurs privés dans le secteur : une augmentation des prix pour les ménages et les entreprises (entre 16 % et 26 %) a eu lieu au 1er janvier 2024, la première depuis 2021, mais dont l’effet pour les développeurs a été rapidement balayé par chute de l’EGP fin février.