Après l’export en 2023 d’un premier cargo d’ammoniac vert, l’Égypte finalise sa stratégie nationale et adopte ses premières mesures incitatives. Elle vise des objectifs ambitieux à l’export, s’appuyant sur ses ressources renouvelables et sa position stratégique. Les développeurs étrangers étudient des projets d’hydrogène et dérivés, dont la concrétisation dépendra de la sécurisation de contrats d’achat long terme et de la mise en place d'un cadre incitatif clair et renforcé.

I. Une stratégie H2 centrée sur l’export et sous-tendue par d’ambitieux développements de renouvelables

La structuration de la gouvernance et la finalisation de la stratégie nationale sont en cours et affichent de récents progrès

Les autorités égyptiennes, appuyées par la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), ont révélé lors de la COP27 au Caire une première ébauche de stratégie nationale en matière d’hydrogène bas carbone, qui prévoit un développement en trois phases (la première, jusqu’en 2030, cible la mise en œuvre de projets pilotes et l’établissement d’un cadre pour la gouvernance du secteur ; la deuxième vise à amplifier ces initiatives, avec des projets à plus grande échelle ; la troisième, à partir de 2040, se concentrera sur les usages). Au cœur de cette stratégie, la volonté de l’Égypte de devenir un hub à l’export se traduit par un objectif de couvrir 5 à 8 % des parts du marché mondial de l’hydrogène bas carbone d’ici 2040, créant 100 000 emplois et augmentant le PIB de 10 à 18 Md USD (2,5 à 4,5 % du PIB). La parution de la version finale de cette stratégie a eu lieu en mars 2024, après son approbation en novembre 2023 par le Conseil national de l’hydrogène vert, nouvellement créé. Présidé par le Premier ministre, il vise à promouvoir les investissements dans l’hydrogène vert et la compétitivité de l’Égypte (également assorti d’un comité exécutif, supervisant les projets à un niveau technique). Il réunit les acteurs institutionnels du secteur, afin de structurer le processus décisionnel et de remédier à une gouvernance diluée entre plusieurs entités (ministère de l’électricité et des énergies renouvelables, ministère du pétrole, Zone économique du canal de Suez – où sont appelés à s’établir les électrolyseurs, l’Autorité des énergies renouvelables (NREA), la Compagnie de transport électrique EETC, le Fonds souverain égyptien…). Cette première avancée a été suivie, le 2 janvier 2024, de l’approbation par le parlement d’un projet de loi établissant des mesures incitatives pour les porteurs de projets d’H2 vert, en particulier un abattement fiscal allant jusqu’à 55 % sur l’impôt sur le revenu, ainsi que des exemptions de TVA ou de frais administratifs. Pour en bénéficier, les entreprises devront financer leurs projets par des capitaux étrangers à hauteur d’au moins 70 %, lancer leurs opérations commerciales au plus tard cinq ans après la signature de l’accord et atteindre au moins 20 % de contenu local - les modalités de ces mesures devraient être précisées dans le décret d’application à paraître après la ratification de la nouvelle loi par le Président intervenu le 27 janvier 2024.

 

Un fort potentiel en matière d’H2 vert indexé sur le développement effectif de capacités massives de renouvelables

Si l’Égypte produit déjà environ 1,8 Mt/an d’hydrogène gris et a exploré des projets de capture et de stockage de CO2, c’est principalement sur l’hydrogène vert et ses dérivés que repose la stratégie égyptienne, au regard du potentiel considérable en matière d’énergies renouvelables de l’Égypte (ressources solaires et éoliennes abondantes et peu onéreuses, foncier disponible…). Si l’Égypte ne compte encore que 5,9 GW de renouvelables (10 % des capacités installées), les autorités ciblent un mix électrique décarboné à 42 % d’ici 2030, via 10 GW de capacités supplémentaires à horizon 2028. Néanmoins, la mise en service de capacités de renouvelables a stagné ces dernières années, et les ambitieux accords signés en marge de la COP27 n’ont pas encore été suivis d’effets concrets. Par ailleurs, l’avantage que constituaient les capacités installées largement excédentaires est contredit depuis l’été 2023 par la chute de la production gazière, qui a entraîné des délestages. Dès lors la génération d’électricité d’origine renouvelable pourrait servir en priorité la consommation intérieure plutôt que la production d’hydrogène. Enfin, la modernisation du réseau de transport et de distribution électrique apparaît comme un prérequis indispensable au développement des renouvelables.

II. Des défis à surmonter pour catalyser les décisions d’investissement

Les ambitions de l’Égypte devront composer avec le caractère encore peu mature du marché mondial et les attentes des développeurs en matière réglementaire

De forts enjeux pèsent sur le cadre réglementaire : les investisseurs attendent des précisions sur le montant des wheeling fees qui seront exigés par EETC pour la fourniture d’électricité et sur la certification de la production, ainsi que des mesures plus incitatives eu égard au risque des projets et aux investissements requis. En outre, l’éloignement des électrolyseurs (positionnés au sein de la Zone économique du canal de Suez) et des capacités de renouvelables (principalement en Haute-Égypte, soit à plus de 500 km) pose un défi en matière d’acheminement de l’électricité. Enfin, paramètre critique de l’équation dans une stratégie résolument tournée vers l’export, la sécurisation de contrat d’achat de long-terme, déterminante pour débloquer les investissements, reste à ce stade incertaine. D’autres pays producteurs, en avance dans la structuration du secteur et présentant un profil de risque plus favorable, pourraient être privilégiés par les acheteurs, au moins dans un premier temps. Si le développement d’un marché intérieur pourrait constituer en théorie un débouché alternatif à l’export, il suppose des industries locales (aciéries, raffineries…) la volonté de payer les coûts additionnels, presque doubles concernant l’ammoniac, pour décarboner leurs procédés (l’introduction par l’UE du MACF est néanmoins susceptible d’accélérer la transition d’une partie de l’appareil exportateur). Cette perspective est rendue d’autant plus incertaine que la conjoncture économique dégradée et les difficultés traditionnelles d’accès au crédit entravent la capacité d’investissement du secteur privé. Enfin, et surtout, la ressource en eau constitue un frein majeur au développement de l’hydrogène vert (stress hydrique absolu d’ici 2025).

Les développeurs poursuivent leur prospection et quelques projets pilotes commencent à prendre forme

Les discussions entre la Zone économique du canal de Suez et les développeurs sont en cours pour faire avancer les 25 protocoles d’accord signés pour des projets d’hydrogène vert ou de ses dérivés, qui totalisaient plus de 100 Md USD d’investissements théoriques et dont seule une partie d’entre eux a été convertie en accords-cadres. La décarbonation du trafic maritime mondial, dont 12 % transite par le canal de Suez, représente un usage en aval particulièrement prometteur pour la production de méthanol vert utilisé pour le soutage des navires en carburant vert, qui permettrait à l’Égypte d’exploiter son positionnement géostratégique. Autre dérivé de l’hydrogène prisé par les porteurs de projets en Égypte, l’ammoniac vert, destiné notamment à verdir l’industrie des engrais, est l’objet du premier projet pilote actuellement en opération, « Egypt Green » porté par le norvégien Scatec, l’émirien Fertiglobe, l’égyptien Orascom et le Fonds souverain égyptien, en partie financé par un prêt de 80 M EUR de la BERD. « Egypt Green » a exporté depuis le port d’Ain Sokhna son premier cargo en novembre 2023, à destination de l’Inde. Les porteurs du projet devront néanmoins dépasser les défis liés au caractère encore peu mature de la demande mondiale pour changer d’échelle (cible de 15 000 t/an d’H2 vert pour produire 90 000 t/an d’ammoniac vert, grâce à 100 MW d’électrolyse).