La gestion de la ressource en eau : un défi stratégique qui appelle une réforme du secteur
Fortement dépendante du Nil, l’Égypte subit un stress hydrique aggravé par la croissance démographique et des pertes importantes dans son réseau. Malgré les investissements et l’appui des bailleurs, le gouvernement mise sur une libéralisation progressive et les partenariats public-privé pour moderniser le secteur.
I. Une situation de stress hydrique et une forte dépendance au Nil
L’Égypte fait face à une situation aggravée de stress hydrique, avec un déficit annuel de 54 Md de m³.
Alors que la population égyptienne a dépassé les 107 M d’habitants en 2024 et devrait atteindre 160 M d’habitants en 2050, on estime que 570 m³ d’eau sont disponibles par an et par habitant (prévisions à 390 m³ en 2050), bien en deçà du seuil de pauvreté fixé par l’ONU (1000 m³). Les communautés rurales (56% de la population) sont disproportionnellement touchées par ce phénomène. Les ressources naturelles en eau de l’Égypte ne permettent ainsi de couvrir que 52% des besoins du pays. Elles dépendent à plus de 90% des ressources en eau du Nil (environ 55,5 Md m3 prélevés chaque année). De surcroît, dans un contexte d’aridité extrême, les précipitations, limitées à 8 Md de m³ par an et inégalement réparties sur le territoire, sont une ressource marginale. Pour pallier à ce déficit, le pays repose donc largement sur des ressources dites non-conventionnelles, à savoir la réutilisation de l’eau (20,9 Md couvrant ainsi environ 20% des besoins), ainsi que l’importation de cultures agricoles qui permet de compenser une partie des besoins (33,5 Md m³ soit 29,4%). A noter que le recours au dessalement reste encore marginal (couvrant moins de 1% des besoins).
II. Des investissements croissants et un soutien massif des bailleurs avec pour ambition une gestion optimale de la ressource
L’Égypte a consenti des investissements significatifs dans le développement d'infrastructures de traitement des eaux, destinées tant à l'usage domestique qu'agricole.
Le pays dispose d’un réseau de 508 stations d’épuration, permettant de traiter 89,2% des eaux usées. Les grandes stations de traitement, en particulier autour du Caire et d’Alexandrie, ont été modernisées et utilisent des technologies performantes, notamment françaises. A noter toutefois que cet assainissement ne couvre que 65% de la population et que subsistent des disparités entre les zones urbaines et rurales, que les autorités s’efforcent de gommer. Un ensemble de cinq barrages hydrauliques, dont le grand barrage d’Assouan construit en 1960, permet par ailleurs d’assurer la retenue de l’eau et le contrôle du phénomène des crues du Nil. Le pays a également développé un vaste réseau de canaux d’irrigation (55 000 km – dont 20 000 km actuellement en cours de réhabilitation) et de stations de pompage, alors que le secteur agricole, stratégique pour l’économie (14% du PIB) repose à 96% sur l’irrigation et absorbe 85% des ressources en eau. Ces grands projets mobilisent les entreprises internationales, souvent dans le cadre de joint-venture avec des groupes locaux. Le positionnement des entreprises françaises est stratégique, couvrant l’ensemble de la chaîne de valeur
Le secteur a également bénéficié d’un appui significatif des bailleurs internationaux.
La sécurisation de la ressource en eau figure ainsi parmi les trois objectifs de développement durable (SDG) prioritaires dans la stratégie du gouvernement, catalysant à ce jour 43 projets financés pour un total de près de 5 Md USD, soit environ 20% de l’aide au développement globale reçue par le pays. L’AFD a notamment soutenu des projets d’infrastructures d’eau potable et d’assainissement, aux côtés d’autres bailleurs européens (BEI, BERD, UE), ainsi que la BAfD. En parallèle, la banque allemande KfW et la Banque Mondiale sont particulièrement actifs dans le secteur de l’irrigation.
Toutefois, le modèle de gestion du secteur souffre d’une tarification décorrélée des coûts de production.
Le faible prix de l’eau, imposé par le régulateur EWRA, n’incite que trop peu les usagers à réguler leur consommation et participe à la fragilité financière du secteur, le prix de vente (entre 0,65 et 3,5 EGP par m3 pour les usagers domestiques) largement subventionné par l’Etat, étant insuffisant pour assurer le recouvrement des coûts et réinvestir dans la maintenance des infrastructures, qui sont aujourd’hui dans un état inégal. Les petites stations d'épuration souffrent de problèmes de gestion et le réseau de distribution subit d’importantes fuites, estimées à 34 % par la Banque mondiale. Enfin, seuls 18 millions de foyers sont abonnés au réseau, poussant une grande partie de la population à recourir à des branchements illégaux. Les pertes financières annuelles dues au manque de maintenance et à ces détournements sont estimées à 2,34 Md EGP (45 M EUR) par an.
III. Face à ces défis, une stratégie nationale ambitieuse pour réformer le secteur et intégrer davantage les acteurs privés
Pour répondre à ces enjeux, plusieurs ministères ont élaboré leurs propres plans visant à développer et à améliorer l'efficacité des infrastructures.
L’objectif serait un taux de réutilisation de l’eau proche de 100% et une couverture de l’intégralité de la population en eau potable et assainissement. Une stratégie nationale coordonnée est attendue de la part des autorités qui annoncent une refonte à venir du cadre réglementaire et la mise en place d’un système financièrement soutenable (fin de la mobilisation de subventions), sans présenter, à ce stade, de calendrier de mise en œuvre.
La libéralisation progressive du secteur constitue l’élément clé de ces plans et vise à promouvoir le modèle de PPP et des rémunérations basées sur la performance.
Pour soutenir cette transition, les autorités bénéficient d’un instrument spécifique d’assistance technique - « project development facility », porté par les bailleurs de fonds, pour la structuration de contrats et projet en format PPP. Dans ce cadre, un vaste programme de dessalement reposant sur des projets PPP a été lancé, visant à produire 9 millions de m³ d’eau potable par jour d’ici 2050. La première phase devrait mobiliser 3 Md USD d’investissement. Les appels d’offres sont attendus pour le début de l’année 2025, alors que 17 consortia ont été présélectionnés en 2023. L’UE et l’Égypte ont par ailleurs signé une facilité de financement de 7 M EUR, dans le cadre de la plateforme NWFE, destinée à soutenir la gestion de l'eau, les énergies renouvelables et la résilience climatique via des PPP. Enfin, l’UE a lancé une « initiative équipe Europe » dans le secteur de l’eau et de la sécurité alimentaire qui vise à regrouper et à coordonner l’action des institutions financières européennes et leurs agences de développement.
La question du traitement des boues d’épuration, qui génère aujourd’hui des volumes importants de déchets, est devenue un enjeu prioritaire pour les autorités.
Jusqu’à présent, ces boues étaient enfouies dans des terrains désertiques, une solution non-durable qui s’oppose à l’urbanisation croissante de ces zones. Les autorités travaillent sur une stratégie dédiée à cette question, dont la publication serait attendue en 2026. Un appel d’offres pour un projet pilote, en PPP, de valorisation des boues de la station Abu Rawash (en cours de construction, devrait traiter 1,6 M m³/jour) est attendu pour le courant de l’année 2025. La DG Trésor a organisé en novembre une mission en France des acteurs clé de cette stratégie.