La conquête du désert par les villes nouvelles, entre rêve et réalité
Face à une forte croissance démographique, l’Égypte mise sur le développement de villes nouvelles pour désengorger les zones urbaines et étendre les surfaces habitables vers le désert. Ce modèle, illustré par la Nouvelle Capitale administrative, implique des investissements majeurs en infrastructures, notamment pour y acheminer l’eau, et nécessite d’y attirer durablement les populations.
I. L’expansion et l’essor des villes nouvelles : une stratégie historique portée par le gouvernement …
L’urbanisation des terres désertiques - hors de la vallée du Nil - occupe une place centrale dans les stratégies nationales égyptiennes, avec pour objectif de doubler la superficie habitée d’ici 2052 - de 7 % à 14 % du territoire.
Alors que la croissance démographique égyptienne devrait se maintenir à un niveau élevé dans les années à venir (+10 % entre 2024 et 2029 pour atteindre près de 120 M d’habitants), et que près de 40 % de la population vivait dans des logements informels en 2019 (70 % au Caire), le gouvernement a placé la construction des villes nouvelles au cœur de sa stratégie de développement durable Vision 2030, révisée en 2022. Ce plan, lancé dans les années 1980, a déjà conduit à la création de 24 villes nouvelles. La quatrième génération, amorcée en 2014, vise la construction de 37 villes supplémentaires d'ici 2052 avec pour ambition d'accueillir à terme 56 M d'habitants. À ce jour, 14 villes ont été construites ou sont en cours de construction sur le territoire. Ces projets, expression d’une volonté politique au plus haut niveau de l’État, sont principalement portés par le ministère du Logement (MoHUUC) via l'Autorité des nouvelles communautés urbaines (NUCA), responsable des infrastructures de services publics. Ce vaste programme d’urbanisation, par son ampleur, est devenu un moteur de la croissance économique alors que le secteur de la construction est clé pour l’économie égyptienne - près de 3,5 M d’emplois et environ 8 % du PIB nominal. Face aux défis de relocalisation des populations, deux priorités se dessinent pour les autorités : sensibiliser l’ensemble des Égyptiens aux bénéfices de ces nouvelles zones résidentielles et encourager une plus grande participation du secteur privé au développement de ces pôles urbains.
Parmi les villes nouvelles, la Nouvelle Capitale administrative, située à 45 km du Caire, est érigée en symbole
Capitalisant sur l’envergure de ses réalisations, elle abrite ainsi la plus haute tour d'Afrique, le plus grand drapeau du monde, un parc deux fois plus vaste que Central Park, 21 quartiers résidentiels, etc. La ville devrait à terme compter plus de 6 M d’habitants. La première phase du projet, dont la construction a débuté en 2015, est quasiment achevée - la quasi-totalité des ministères y a déménagé, le palais présidentiel a été inauguré en 2024 et les universités sont opérationnelles. A la suite d’un appel d’offres, le consultant libanais Dar Al-Handasah a été sélectionné en février 2024 pour superviser la planification de la seconde phase, dont la mise en œuvre devrait prendre un à deux ans. Contrairement aux autres villes nouvelles, le financement et la supervision de la construction de la NCA sont du ressort de l'Administrative Capital for Urban Development (ACUD), rattachée au ministère de la Défense. D'autres ministères sont intégrés à ce projet, comme le ministère des Communications qui finance une « smart city » ultra-technologique, avec notamment une application mobile expérimentale permettant la gestion à distance de certains services. L’entreprise Honeywell porte le système de surveillance de la ville, dans le cadre d’une coopération avec l’Organisation Arabe pour l’Industrialisation (AOI) pilier majeur de l’industrie de défense égyptienne. Toutefois, le taux d'occupation demeure très bas. La majorité des travailleurs et étudiants choisissent pour l’instant de résider à Badr City ou à New Cairo, à 20-40 km. De même le nouveau quartier d’affaires reste à ce jour inoccupé. En parallèle, la ville de New Alamein, située sur la côte méditerranéenne, a été désignée comme résidence d'été des autorités, accueillant la première réunion du Cabinet ministériel dans une ville nouvelle après le remaniement en juillet 2024.
II. …qui entraîne des coûts financiers importants portés partiellement par le secteur privé
La pression financière de ces grands travaux pèse sur les finances de l’État, dans un contexte macroéconomique fragile.
Entre 2014 et 2022, la NUCA aurait ainsi signé des accords avec 67 promoteurs, totalisant 35,5 Mds USD d'investissements pour les villes de quatrième génération. L’entité dispose d’un budget annuel important (4,7 Mds USD alloué par l’État et approuvé pour l’exercice 2023/24) et en croissance (+139 % par rapport aux allocations fixées en 2019/20). En outre, le modèle financier de la NUCA passe également par des levées de fonds sur les marchés financiers grâce à l’émission d’obligations. Une partie des fonds est ensuite réinjectée dans des institutions telles que la Housing & Development Bank pour soutenir les promoteurs, qui offrent des facilités de paiement aux acheteurs, avec des échéances pouvant s'étaler sur 15 ans, une pratique répandue sur le marché immobilier égyptien. A noter que l’investissement émirati de Ras El-Hekma devrait en partie bénéficier à la NUCA à hauteur de 24 Md USD dans le cadre de l’achat des droits de développement urbain. A cela s’ajoutent les investissements liés au développement de la NCA, estimés, selon plusieurs rapports, à 60 Mds USD pour la première phase. L’ACUD finance en partie le projet grâce la vente de terrains, principalement aux banques nationales ou à des entreprises publiques. Enfin, les coûts attenants liés aux développements de certains projets d’infrastructures essentielles (transports, énergie, santé, éducation) sont financés par un recours à la dette externe - prêts souverains rétrocédés à la National Authority for Tunnels (NAT) pour la construction des infrastructures ferroviaires par exemple.
Les grands projets d’infrastructures attirent toutefois certaines entreprises privées qui se positionnent sur ces projets d’envergure.
La participation du secteur privé dans les villes nouvelles est dominée par de grands groupes égyptiens. Orascom Construction est à ce titre le principal constructeur de la nouvelle capitale administrative (NCA). A noter toutefois la forte présence chinoise alors que l'entreprise China State Construction Engineering Corporation (CSECS) est chargée de la construction du quartier d'affaires. Les grands groupes du Golfe, très présents sur la promotion immobilière, ont choisi de s'éloigner des projets d’infrastructures de la NCA pour se focaliser sur les autres villes nouvelles. La participation de certaines entreprises européennes et américaines est toutefois remarquée et se concentre sur certains projets d’infrastructures spécifiques (rail, énergie, ICT), dont plusieurs mis en œuvre par des groupes français. Les entreprises allemandes sont notamment présentes, avec Siemens en tête, impliquée dans des projets majeurs tels qu'un centre de contrôle électrique mobilisant un investissement de 2,5 Mds USD et une ligne à grande vitesse reliant la NCA à d'autres villes nouvelles. Dorsh est également actif pour la construction et l'exploitation du réseau de distribution en eau. La présence des entreprises françaises demeure significative : Alstom a fourni le matériel roulant et opère le monorail reliant le Caire à la NCA, tandis qu'Orange et Atos se sont engagés sur des projets de data centers. Schneider Electric travaille sur le volet énergie, se concentrant sur les infrastructures de distribution électrique. Enfin, Accor assurera la gestion de l’Hôtel Mövenpick dans la Sixty Iconic Tower, la plus haute tour d’Afrique.