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Zoom : La Banque de Russie abaisse son taux directeur de 20% à 18%

 

La Banque de Russie a accéléré la détente de sa politique monétaire, avec une nouvelle baisse de taux de 200 points de base, de 20% à 18%. Cette décision constitue une réponse à la décélération de l’inflation des derniers mois, qui s’est produite plus rapidement qu’anticipé grâce à l’appréciation puis la stabilisation du rouble. Si la banque centrale affiche un plus grand optimisme, que traduit l’amélioration de ses prévisions macroéconomiques, et estime que la Russie est désormais sur la bonne voie pour revenir à la cible (4%) d’ici à 2026, elle demeure préoccupée par l’absence d’ajustement des anticipations d’inflation, qui sont obstinément élevées depuis 2022. L’évolution future de la politique monétaire est plus largement conditionnée à l’annonce prochaine des paramètres du budget en 2026, qui devra concilier maintien de l’effort de défense et mesures d’économie dans un contexte de durcissement des contraintes financières.

Le 25 juillet 2025, la Banque de Russie (BdR) a annoncé la baisse de son taux directeur de 200 points de base, de 20% à 18%. Elle fait suite à une première diminution du taux directeur le 6 juin dernier de 100 points (de 21% à 20%) et confirme l’assouplissement de la politique monétaire intervenu après une longue période restrictive. Cette décision avait été bien anticipée par la majorité des experts (21 sur 30 sondés par le quotidien RBC), tandis que d’autres prévoyaient une baisse plus conséquente de 300 pdb, option qui n’a finalement pas été envisagée par la Banque de Russie.

Figure 1. Inflation et politique monétaire

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La désinflation observée depuis quelques mois a constitué le principal argument en faveur de la baisse des taux. Ce phénomène s’est produit plus rapidement qu’attendu par la BdR, avec une inflation annuelle atteignant 9,4% fin juin (contre 10,1% dans les prévisions d’avril) et 4,8% en moyenne au T2 en mesure annualisée et ajustée des variations saisonnières (contre 7% dans les prévisions d’avril). D’autres facteurs ont pesé sur cette décision, notamment une dispersion plus faible de l’inflation selon les catégories de biens et services et les régions, signalant une transmission du change au prix ne se limitant plus aux seuls biens durables ; une baisse de l’écart de production ; et une augmentation modérée du crédit, avec un ralentissement dans le segment des prêts à la consommation.

 

Figure 2. Hausse mensuelle des prix corrigée des variations saisonnières, %

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Figure 3. Inflation annualisée et ajustée des variations saisonnières (SAAR), %

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Cette tendance favorable a conduit à un ajustement à la baisse des prévisions d’inflation et de taux directeur pour 2025. L’inflation annuelle est maintenant attendue entre 6 et 7% en fin d’année 2025 (contre 7 à 8% précédemment), tandis que la prévision moyenne du taux directeur sur l’année permet d’envisager un taux à 14-15% en fin d’année, et exclut désormais tout relèvement d’ici là. De façon plus surprenante, la Banque de Russie a laissé inchangée sa prévision d’activité (+1-2% en 2025) malgré un résultat en deçà des attentes au T1 (+1,4%, contre une prévision de +2%) et un net ralentissement de la croissance fin juin. La BdR s’attend à ce que l’activité soit soutenue par la reprise de la production pétrolière consécutive au relèvement des quotas par l’OPEP+. Le prix moyen du pétrole russe a toutefois été revu à la baisse à 55 USD en 2025 et 2026 (contre 60 USD précédemment) et devrait se répercuter négativement sur le niveau des exportations et de l’excédent courant.

 

Prévisions macroéconomiques actualisées de la BdR

 

 

2025

2026

Avril

Juillet

Avril

Juillet

Inflation

%, fin de période, g.a.

7-8%

6-7%

4%

4%

Taux directeur annuel moyen

%

19,5-21,5%

18,8-19,6%

13-14%

12-13%

PIB

%, g.a.

1-2%

1-2%

0,5-1,5%

0,5-1,5%

Solde courant

Md USD

38

33

36

28

Malgré le plus grand optimisme affiché par la banque centrale, cette dernière met en garde sur la prévalence des risques inflationnistes. Ceux-ci découlent toujours, au premier chef, du niveau élevé des anticipations d’inflation des ménages (13% sur un an en juillet), qui n’ont pas connu de baisse notable depuis la réunion précédente, et pourraient être affectées par des effets de second tour causés par le relèvement significatif des tarifs réglementés (énergie, eau, chauffage, etc..) début juillet. En dépit d’une légère amélioration, la situation sur le marché du travail continue également de tirer les prix à la hausse, avec une augmentation des salaires réels toujours supérieure à celle de la productivité. Enfin, les risques extérieurs persistent en lien avec les pressions à la baisse sur les prix pétroliers et un potentiel renforcement des sanctions.

Figure 4. Perception de l’évolution des prix par les ménages

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La politique budgétaire constitue un facteur d’incertitude supplémentaire pour l’évolution des taux. Alors que la première mouture du projet de budget pour 2026 devrait être présentée prochainement, le risque d’un écart par rapport aux prévisions initiales apparaît désormais plus prononcé. En effet, le déficit du budget fédéral a atteint 1,7% du PIB sur la première moitié de l’année, soit le montant prévu pour l’ensemble de l’année, sur fond de contraction marquée des recettes pétro-gazières (-17%) et d’accélération des dépenses (+21%). Le contexte de baisse des prix pétroliers, qui s’accompagne également d’une baisse des réserves liquides du Fonds souverain et d’une augmentation du service de la dette, devrait contraindre la Russie à des mesures d’économie : le président du comité budgétaire du Conseil de la Fédération Anatoliy Artamonov a ainsi appelé à réaliser 2 Md RUB d’économies (soit l’équivalent de 5% des dépenses prévues en 2025) en s’attaquant aux multiples subventions accordées à l’économie, qui pèseraient pour près « d’un tiers du budget » et en augmentant les sources de revenus non fiscaux (relèvement des amendes, taxes sur le recyclage, accises sur le tabac et l’alcool, etc.). Ces économies permettraient de sanctuariser le niveau de dépenses consacrées à la défense et la sécurité intérieure.

Figure 5. Exécution du budget fédéral au 1er semestre, Md RUB

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Compte tenu de ces risques, la Banque de Russie maintient sa prudence habituelle. Le signal adossé à la décision est resté neutre (« les décisions futures seront adoptées selon le caractère durable de la baisse de l’inflation et des anticipations d’inflation »), alors que la gouverneure E. Nabioullina a souligné que la Russie n’était « qu’au début du chemin » assurant le retour à la cible. Celui-ci s’apparenterait à une « guérison » plutôt qu’à un simple « traitement des symptômes », et exigerait non seulement une inscription dans la durée de la baisse de l’inflation, mais aussi et surtout de la perception de cette dernière par les ménages et les entreprises.