Alors que le Japon compte aujourd'hui environ 17 000 start-ups, dont 8 licornes, la France en recense 25 000 avec 32 licornes, malgré une économie de taille inférieure, mettant en lumière le paradoxe d’un pays à la pointe de la R&D mais en retrait sur le front de l’innovation entrepreneuriale. Si le Japon a multiplié par dix le financement de ses start-ups en une décennie (5,7 Md$ en 2024), ce montant demeure éloigné de l’ambition fixée par le gouvernement : 67 Md$ d’investissements d’ici 2027.

1- Un écosystème qui reste cloisonné

Le financement des start-ups japonaises repose largement sur le capital-risque (VC) domestique (40 % des levées de fonds, contre 52 % en France), avec un développement progressif des fonds liés aux grandes entreprises (corporate venture capital - CVC). Le Japon compte ainsi environ 300 fonds de VC (400 en France) - dont 30 % de CVC, un ratio similaire à celui de la France. Les entreprises apportent 24% des financements. Le financement s'effectue à plus de 80 % par l'émission d’actions.

Les montants sont modestes : le ticket moyen est deux à trois fois inférieur à celui observé en Europe - plus de la moitié sont inférieurs à 670 000 $ -, notamment en raison de la faible internationalisation de l’écosystème : moins de 8 % des fonds investis en 2023 provenaient de l’étranger, contre près de 50 % en France. Au total, en 2024, les start-ups japonaises ont levé 5,7 Md$ (+3 % en un an), contre 8 Md$ pour la France et 209 Md$ pour les États-Unis.

L'écosystème est également très centralisé : 70 % des start-ups sont basées à Tokyo, alors que la France a su développer un maillage régional sectorialisé.

2- Un financement concentré sur les phases d’amorçage, bridant la croissance de l’écosystème

Le marché japonais du capital-risque reste majoritairement tourné vers les phases d’amorçage et de pré-amorçage, concentrant 72 % des levées. À titre de comparaison, aux États-Unis, 35 % des fonds investis sont consacrés aux phases avancées, contre seulement 14 % en France, et moins de 10 % au Japon, reflétant une aversion au risque, un manque d’investisseurs capables d’accompagner des tours de taille importante et un manque de soutien institutionnel.

Cette aversion au risque se traduit par un montant médian de financement en série A de 880 000 $ au Japon (2024), soit près de sept fois moins que le ticket moyen en France, estimé à 6 M$ en février 2025.

3- Un potentiel d'innovation sous-exploité

Malgré des investissements massifs en R&D (3,3 % du PIB, l’un des plus hauts niveaux de l’OCDE), le Japon souffre d’un « paradoxe de l’innovation» : peu de brevets se transforment en produits ou services commercialisés via des start-ups. Les secteurs industriels, qui sont le cœur de l’économie nationale, ne génèrent que 24 % des start-ups, contre plus de 80 % en France, à travers les secteurs greentechmanufacturing et transportech notamment. Le marché japonais reste dominé par les services (60 % des start-ups), en particulier les services aux entreprises et les SaaS. Il y a pourtant un potentiel d’innovation considéré parmi les meilleurs au niveau mondial : en 2024, la start-up Sakana AI, spécialisée en IA générative, a levé 2 Md$.

4- Des freins culturels persistants

Au-delà des montants insuffisants, la culture entrepreneuriale japonaise, peu encline au risque et privilégiant un développement local, est en cause. Le taux d’entrepreneuriat reste faible au Japon (6 % de la population active, contre 11 % en France et 15 % aux États-Unis). Par ailleurs, la préférence pour des IPO rapides, souvent de faible envergure, empêche les start-ups de poursuivre leur croissance à l’international : 178 IPO ont ainsi été réalisées en 2024 au Japon, contre 4 en France – des IPO majoritairement domestiques. Les M&A sont très peu pratiquées comme mode de sortie, représentant seulement 24 % des start-ups, contre 67 % en Europe et 90 % aux États-Unis. Au total, seulement 5 % des start-ups japonaises visent un développement international.

5- Les start-ups, une priorité pour le gouvernement japonais

Conscient de son retard important à l’égard des autres pays, le gouvernement japonais a placé le développement des start-ups au cœur de sa stratégie économique en lançant un plan quinquennal. Ce plan « 10x10x10 » mis en place en 2022 par le Keidanren, premier syndicat patronal, et repris par le gouvernement de Kishida consiste, d’ici 2027, à :

  • Atteindre les 100 000 start-ups japonaises
  • Multiplier par plus de 10 le montant de financement des start-ups pour atteindre 67 Md$ d’investissements à l’exercice fiscal 2027

Avoir 100 licornes, avec au minimum 2 « décacornes ». En parallèle, le programme J-Startup déployé en 2018 et inspiré de la French Tech ambitionne à (i) encourager le développement de start-ups sur le territoire national, (ii) les promouvoir à l’international et (iii) attirer et accompagner les start-ups étrangères. Le programme est doté de 67 M$ et mis en œuvre sous l’égide du JETRO et du METI. A ce jour, 274 start-ups ont été accompagnées.

Enfin, à travers le programme J-Star X, le METI a pour objectif d’envoyer d’ici 5 ans 1 000 start-ups et entrepreneurs à l’international - dont 100 en France, grâce aux actions de promotion réalisées par ce poste. L’allègement de taxes pour les investisseurs (« angel zeisei ») devrait également favoriser le développement de start-ups à l’avenir.

6- Un tournant semble néanmoins s’engager

Au premier semestre 2024, les investissements étrangers dans les start-ups japonaises ont bondi de 70 %, atteignant 20 % des investissements en capital-risque, stimulés par les tensions avec la Chine et l’intérêt accru pour la deep tech japonaise (IA, fusion nucléaire, matériaux avancés). Si le montant global des financements étrangers reste modeste (152 M$), sa progression peut être mise en regard de celle de l'investissement global, en hausse de 3 %. Des fonds étrangers comme Vertex Holdings (Singapour), division VC de Temasek Holdings, a lancé un fonds dédié aux start-ups japonaises (64 M$). Les investisseurs notamment américains recherchent au Japon des technologies dormantes et une taille de marché suffisante pour y établir des relais de croissance, en complément de marchés plus étroits comme la Corée ou Singapour.