Washington Wall Street Watch n°2025-13
Réflexions hebdomadaires sur les principaux évènements financiers, institutionnels ou règlementaires, aux Etats-Unis.
Sommaire
Conjoncture
- L’inflation sous-jacente surprend à la hausse
- L’industrie manufacturière se contracte
Services financiers
- L’OCC annonce la suppression de ses lignes directrices de gestion des risques financiers liés au climat
- La FDIC prend part à la lutte contre la débancarisation du secteur des crypto-actifs
- La CFTC assouplit ses pratiques de gestion des risques en matière de compensation et de trading des produits dérivés de crypto-actifs
- Les représentants républicains interpellent l’exécutif pour alléger la supervision des NBFI et la réglementation de marché
Situation des marchés
Brèves
Conjoncture
L’inflation sous-jacente surprend à la hausse
Selon les estimations du Bureau of Economic Analysis (BEA) publiées le 28 mars, l’indice des prix des dépenses de consommation personnelles (Personal Consumption Expenditure – PCE) et sa composante sous-jacente (hors alimentation et énergie) ont progressé en février de +0,3 % et +0,4 % respectivement, après avoir tous deux augmenté de +0,3 % en janvier 2025. Sur 12 mois glissants, l’inflation et sa composante sous-jacente se sont établies à +2,5 % et +2,8 % (après +2,5 % et +2,6 %), soit un niveau en ligne avec les attentes des marchés pour l’inflation, et un niveau supérieur aux attentes en ce qui concerne la composante sous-jacente (+2,7 %).
Sur un mois, les prix de l’énergie ont légèrement augmenté de +0,1 % (après +1,3 %) et les prix de l’alimentation sont restés stables (après +0,3 %). Sur douze mois glissants, les prix de l’énergie ont baissé de ‑1,1 % (après +1,0 %), et ceux de l’alimentation ont augmenté de +1,5 % (après +1,6 %).
Sur un mois, les prix des services et des biens ont tous deux augmenté de +0,4 % (après +0,3 %) et +0,2 % (après +0,5 %). En glissement annuel, l’inflation des services s’établit à +3,5 % (après +3,4 %) et celle des biens à +0,4 % (après +0,6 %).
L’industrie manufacturière se contracte
En mars, l’indice PMI publié par l’Institut for Supply Management (ISM) est en baisse de ‑1,3 point à 49,0 dans l’industrie manufacturière, entrant ainsi en zone de contraction après deux mois consécutifs d’expansion.
Pour mémoire, un indice supérieur à 50 indique une expansion et inférieur à 50 une contraction.
Le secteur a notamment été pénalisé par une diminution des nouvelles commandes (‑3,4 points) dont l’indice tombe également en zone de contraction à 48,6. La demande de produits manufacturiers faiblit, notamment à l’exportation (‑1,8 point à 49,6) tandis que l’indice des importations poursuit son expansion, à 50,1, bien qu’en baisse par rapport à février (‑2,5 points). En conséquence, la production manufacturière, fléchit également : les indices de production et d’emploi ont reculé de ‑2,4 points et ‑2,9 points, à 48,3 et 44,7 respectivement. En outre, les indices des prix et des stocks augmentent fortement de +7 points et +3,5 points, à 69,4, et 50,1 respectivement.
Le secteur des services enregistre quant à lui une baisse de ‑2,7 points en mars mais reste en zone d’expansion, à 50,8, pour un douzième mois consécutif. En particulier, l’indice d’activité commerciale est en hausse de +1,5 point à 55,9, tandis que l’indice de l’emploi a fortement baissé de ‑7,7 points à 46,2, entrant en zone de contraction pour la première fois en 6 mois.
Services Financiers
L’OCC annonce la suppression de ses lignes directrices de gestion des risques financiers liés au climat
Le 31 mars, l’Office of the Comptroller of the Currency (OCC), l’agence du Treasury chargée de la supervision des national banks, a annoncé la suppression de ses lignes directrices (guidance) pour une meilleure gestion des risques financiers liés au climat (climate-related financial risk management) à destination des grandes banques (actifs consolidés supérieurs à 100 Md USD). Ces principes avaient été publiés en octobre 2023 conjointement avec la Fed et la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC), l’autorité de résolution et de garantie des dépôts des banques, qui n’ont à ce jour pas fait d’annonce concernant leur éventuelle suppression.
Pour mémoire, ces principes avaient pour objectif de fournir aux banques un cadre de gestion des risques climatiques cohérent et synthétique reprenant la règlementation existante, afin de soutenir leurs efforts dans l’amélioration de leurs pratiques de gestion des risques financiers climatiques physiques, liés aux effets directs du changement climatique (inondations, sècheresses, ouragans, etc.) et de transition, qui peuvent être atténués par la mise en place d’un modèle économique bas-carbone (changement du comportement des clients, etc.). Ils ciblaient l’ensemble des leviers mobilisables au sein des institutions financières pour une meilleure gestion des risques (gouvernance, planification stratégique, établissement de scénarios prédictifs climatiques, gestion des données, mesure des risques, reporting).
Ce retrait est présenté par Rodney Hood, Comptroller of the Currency par intérim, comme un moyen de libérer les banques d’une charge administrative inutile (burdensome) et redondante (duplicative) avec la réglementation existante. La décision de l’OCC intervient quelques semaines après l’annonce de son retrait du Network of Central Banks and Supervisors for Greening the Financial System (NGFS), le réseau des banques centrales et des superviseurs pour le verdissement du secteur financier.
La FDIC prend part à la lutte contre la débancarisation du secteur des crypto-actifs
Le 28 mars, la FDIC, a publié une lettre interprétative (Financial Institution Letter – FIL) réaffirmant l’autorisation pour les banques de donner accès à leurs services au secteur des crypto-actifs. Quelques semaines plus tôt, l’OCC avait également émis plusieurs lettres poursuivant le même objectif. Ces lettres s’inscrivent dans une logique de lutte contre la « débancarisation » du secteur des crypto-actifs, élevée au rang de priorité politique par D. Trump.
Ainsi, par la FIL-7-2025 (qui remplace la FIL 16-2022) la FDIC rend explicite le caractère légal des activités bancaires en matière de crypto-actifs, et supprime l’exigence, pour les entités supervisées, de recevoir un accord préalable de la FDIC pour exercer ces activités. L’objectif de cette autorisation préalable était de certifier que les banques disposaient des mécanismes de gestion des risques adéquats.
La CFTC assouplit ses pratiques de gestion des risques en matière de compensation et de trading des produits dérivés de crypto-actifs
Le 28 mars, les services de la Commodity Futures Trading Commission (CFTC), l’autorité des marchés de dérivés, a annoncé la suppression sans délai de deux notices de recommandations (Staff Advisory – SA) à l’intention des places de marché enregistrées auprès de la CFTC (Designated Contract Markets – DCMs), des plateformes d’exécution de contrats de swaps (Swap Execution Facility – SEFs) et des chambres de compensation traitant de produits dérivés sur crypto-actifs (Derivatives Clearing Organization – DCOs).
La CFTC supprime la SA 18-14 (mai 2018) qui recommandait aux DCMs, aux SEFs et aux DCOs, en vue de l’émission des contrats dérivés sur crypto-actifs, de mettre en place des dispositifs i) de surveillance des pratiques de marché afin de détecter les fraudes et manipulations de cours ; ii) de coordination avec la CFTC ; iii) de publication des données liées aux échanges ; iv) d’information des parties prenantes, et v) de gestion des risques et de gouvernance. La CFTC estime que ces recommandations ne sont plus nécessaires en raison de la maturité du marché des produits dérivés sur crypto-actifs et de l’expérience acquise par son personnel dans ce domaine. Par ailleurs, la CFTC supprime la SA 23-07 (mai 2023), qui formulait une mise en garde à destination des DCOs contre les risques liés à la compensation de produits dérivés sur crypto-actifs.
Selon l’agence, ces décisions ont pour objectif d’assurer un traitement réglementaire équitable des produits dérivés, indépendamment de la nature de leurs sous-jacents. Des observateurs estiment qu’elles pourraient avoir pour conséquence de faciliter l’introduction de contrats à terme (« futures ») sur crypto-actifs.
Les représentants républicains interpellent l’exécutif pour alléger la supervision des NBFI et la réglementation de marché
Dix représentants républicains membres de la commission des services financiers à la Chambre ont écrit le 31 mars au Secrétaire du Trésor Scott Bessent afin d’obtenir la suppression de lignes directrices ouvrant la voie à la désignation de certaines institutions financières non-bancaires (NBFI) comme établissements posant un « risque systémique ». Publiée par le Financial Stability Oversight Council (FSOC) sous la présidence de Janet Yellen en novembre 2023, cette procédure était présentée comme l’un des seuls outils à la disposition du FSOC permettant de maitriser les risques nouveaux posés par ces institutions, dont les assureurs et les hedge funds, qui échappent aux régulateurs bancaires et posent des risques croissants. Les signataires de la lettre dénoncent une procédure qui soumettrait les NBFI désignés à des coûts de mise en conformité excessifs, détourneraient des ressources internes, et nuirait pas conséquent à la concurrence dans ce secteur, moins d’entreprises pouvant supporter les obligations supplémentaires induites. Ces lignes directrices n’ont jamais conduit à la désignation d’un NBFI sur la liste des établissements systémiques par le FSOC jusqu’à présent.
Par ailleurs, quinze Républicains de la même commission ont écrit à la Securities Exchange Commission (SEC), l’autorité des marchés financiers, pour lui demander d’abroger ou de retirer 14 règles finalisées ou proposées par l’agence. Cette requête vise des règles publiées entre les années 2022 et 2024, qui recouvrent à la fois (i) des règles finalisées dans le domaine de la cybersécurité, de l’ESG (« Names Rule »), (ii) des propositions de règles visant à améliorer l’efficacité du marché actions (« Best execution », « Order Competition »), lutter contre les conflits d’intérêts liés à l’utilisation de l’intelligence artificielle, ou à renforcer la transparence des activités ESG de certains fonds. Les auteurs, dont le président de la commission French Hill (R.- Arkansas), déplorent que la SEC ait « perdu de vue » ses différentes missions sous le mandat de son précédent président, notamment celle d’assurer le financement des entreprises par les marchés (« capital formation »), et qu’elle ait rendu le marché américain moins attractif pour les sociétés cotées ou candidates à la cotation. Dans un « contexte de concurrence internationale exacerbée », la commission propose de collaborer avec la SEC pour que les marchés américains continuent d’être « enviés par le monde entier ».
Situation des marchés
Au cours de la semaine écoulée (de vendredi à jeudi), les indices boursiers ont baissé : -5,2 % pour le S&P 500, à 5 396, et - 7,0 % pour le Nasdaq, à 16 550.
Cette chute des indices fait notamment suite aux annonces de droits de douane réciproques par Donald Trump le mercredi 2 avril (« Liberation Day ») et à l’évaluation de leur impact à la baisse sur la croissance et à la hausse sur l’inflation. L’instauration de droits de douane sur l’ensemble des exportations vers les États-Unis a provoqué une chute plus aigüe des segments les plus vulnérables aux échanges internationaux. Au cours des 5 derniers jours, les secteurs des technologies (- 7,7%), de l’énergie (- 6,6%) et des services de communication et de la consommation discrétionnaire (- 6,1%) sont les plus touchés. Les entreprises de ces secteurs dépendent souvent de chaines d’approvisionnement complexes intégrant les centres de production manufacturière asiatiques (Chine, Taiwan, Inde, Vietnam) qui comptent parmi les pays les plus durement touchés par les hausses de droits de douane. Le secteur bancaire (-9,9% pour l’indice Nasdaq KbW) souffre lui des perspectives de baisse du commerce international et d’une peur de récession de l’économie américaine. L’indice de volatilité VIX a lui augmenté de +60,6%.
La valeur du dollar baisse (-2,2% face à un panier de devises), principalement en raison d’une baisse de son taux de change avec l’euro, tandis qu’il s’apprécie par rapport au Yen, au dollar canadien et au peso mexicain.
Les rendements des obligations souveraines américaines (Treasuries) ont reculé cette semaine, les investisseurs se tournant vers la dette américaine comme valeur refuge (flight to quality) et anticipant des baisses plus importantes de taux de la Fed (50% de probabilité de 4 baisses sur l’année) : les taux à 2 ans et à 10 ans ont baissé pour finir la semaine à 3,7 % (‑0,3 point) et 4,0 % (‑0,3 point) respectivement.
Brèves
- Le 27 mars, la Securities and Exchange Commission (SEC), l’autorité des marchés financiers, a annoncé l’abandon définitif (dismissal with prejudice) des poursuites judiciaires contre les plateformes de crypto-actifs Kraken, ConsenSys et Cumberland DRW. Pour mémoire, la SEC avait fondé son action sur le non-respect de la réglementation applicable aux titres financiers traditionnels (securities), considérant que certains actifs échangés par ces plateformes relèvent de cette catégorie. Kraken a salué la décision de l’agence, qui met fin à une « campagne politique » contre la société. Ces décisions interviennent quelques semaines après l’abandon des poursuites contre les plateformes Binance et Coinbase.
- Le Consumer Financial Protection Bureau (CFPB), l’agence chargée de la protection des consommateurs, a annoncé le 28 mars qu’elle n’appliquerait pas une partie d’une règle encadrant les prêts à faible montants, dont les prêts gagés sur les salaires (« payday loans »), caractérisés par des taux d’intérêt très élevés et des vérifications réduites de la solvabilité financière de l’emprunteur. Cette règle, adoptée en 2017 mais suspendue en raison de plusieurs procédures judiciaires, s’appliquera à partir du 30 mars. Elle vise à interdire certaines pratiques jugées injustes, comme les tentatives multiples de retraits sur le compte bancaires des emprunteurs n’ayant pu rembourser leurs prêts, qui génèrent d’importants frais. Le CFPB ne poursuivra pas les infractions commises par les prêteurs à l’égard de ces nouvelles protections, et dit vouloir recentrer ses ressources de police administrative sur la protection des « militaires » et des « vétérans » pouvant faire l’objet de pressions de la part de leurs créanciers. Il envisage en outre une réduction du champ d’application de cette réglementation.
- Le 3 avril, le Sénat a confirmé trois nominations dans le domaine financier : Paul Atkins, président de la Securities and Exchange Commission, l’autorité des marchés financiers ; Jonathan Gould, Comptroller of the Currency (OCC) ; et Luke Petit, Assistant Secretary en charge des marchés financiers au Treasury.
- L’estimation finale de l’indice de confiance des consommateurs publié le 28 mars par l’université du Michigan, est revue à la baisse de -0,9 point, à 57,0 pour le mois de mars. Il est en nette baisse par rapport à février où il s’établissait à 64,7. En outre, les anticipations d’inflation sur un an sont revues légèrement à la hausse de +0,1 point à 5 %, leur niveau le plus élevé depuis novembre 2022. Selon le sondage, les deux tiers des consommateurs s’attendent à ce que le chômage augmente au cours de l’année à venir.
- Selon l’enquête JOLTS publiée par le Bureau of Labor Statistics (BLS) le 1er avril, le nombre de postes vacants est resté quasi-inchangé en février à 7,6 millions, mais est en baisse de ‑877 000 sur l’année. C’est également le cas des embauches et des séparations (incluant les démissions et les licenciements) qui s’établissent à 5,4 et 5,3 millions respectivement. Les licenciements ont notamment augmenté dans les secteurs des ventes au détail (+67 000), de l’immobilier (+24 000) et du gouvernement fédéral (+18 000).
- Le 3 avril, le comité des services financiers de la Chambre des représentants a adopté, à 32 voix contre 17, le Stablecoin Transparency and Accountability for a Better Ledger Economy (STABLE Act), une proposition de loi bipartisane publiée le 26 mars visant à créer un cadre de régulation pour les stablecoins. Le texte sera ensuite discuté en séance plénière à la Chambre.