Lancée en août 2024 pour rassurer les autorités américaines sur la fermeté canadienne face à la Chine, la réflexion du Canada sur sa sécurité économique a évolué sous la pression croissante des États-Unis. L’élargissement de la menace aux intérêts américains a déjà conduit à un renforcement du contrôle des investissements étrangers et pourrait aboutir à une Canadian First Procurement Policy.

Le Canada a lancé en août 2024 une réflexion générale sur sa sécurité économique, avec initialement la Chine à l’esprit

Au cours de l’été 2024 et de manière inattendue, le Canada a ouvert une consultation publique sur sa sécurité économique. Sans qu’elle n’ait été annoncée au préalable et choisissant la torpeur du mois d’août pour lancer une consultation publique sur la sécurité économique, la démarche du Canada a surpris et soulevé des interrogations sur son objectif final. Son but affiché était de recueillir les avis de la société civile canadienne sur les outils dont le Canada devrait se doter pour renforcer sa sécurité économique et la résilience de ses chaînes d’approvisionnement. Son énoncé ne se référait à aucun partenaire en particulier et faisait simplement référence au contexte international, marqué par le retour des politiques et pratiques protectionnistes ainsi que de nouvelles formes de menaces ou de coercition économiques. Son champ d’application se voulait quant à lui très large, couvrant l’ensemble des secteurs stratégiques, en particulier les minerais critiques mentionnés à plusieurs reprises.

Une consultation au champ très large, bien que ciblant prioritairement les secteurs stratégiques et vulnérables de l’économie canadienne. La consultation publique recouvrait une série de mesures susceptibles d’être utilisées pour garantir la sécurité économique du Canada et pouvant être intégrées dans une boite à outils : (i) la suspension des avantages commerciaux octroyés dans le cadre d’un accord commercial (autre que tarifaires), (ii) le renforcement des recours commerciaux pour lutter contre le dumping ou les subventions, (iii) la création de nouveaux types d’enquêtes, d’examens administratifs ou d’examens quasi judiciaires pour garantir la résilience économique, (iv) l’adoption de politiques pour renforcer les chaînes d’approvisionnement et limiter l’approvisionnement de produits stratégiques auprès d’entités qui présentent des risques pour la sécurité d’approvisionnement, (v) l’extension des incitatifs et crédits d’impôts à de nouveaux secteurs, dont notamment les projets liés aux minéraux critiques, (vi) l’actualisation du régime de contrôles à l’exportation et ajout de produits stratégiques, (vii) l’application de droits de douanes additionnels pour les produits de secteurs stratégique, (viii) l’encadrement des investissements et financements pour renforcer la résilience des chaînes d’approvisionnement en minéraux critiques. Plus largement, cette consultation soulevait la question de la définition des secteurs vulnérables, des situations dans lesquelles une réaction du Canada était attendue ou encore des mesures de soutien ou types d’information qui pourraient être utiles.

Bien qu’elle ne visât aucun pays en particulier, la consultation publique ciblait implicitement la Chine et ses pratiques déloyales. La consultation est en effet intervenue dans un contexte de dégradation continue des relations économiques entre le Canada et la Chine (renforcement de la loi sur l’investissement, bannissement de Huawei, etc.), et alors que le Canada, en amont des élections américaines, cherchait à donner des gages aux Etats-Unis. C’est ainsi, d’ailleurs, qu’a été lue la décision également prise en août d’imposer des droits de douane sur les importations de véhicules électriques chinois ainsi que sur l’acier et l’aluminium chinois. Cette consultation avait d’ailleurs été suivie par une nouvelle consultation publique, lancée en septembre 2024, sur l’imposition de possibles droits de douane supplémentaires sur les importations chinoises de plusieurs produits dont les batteries, semi-conducteurs, les produits d’énergie solaire et les minéraux critiques.

 

Des premières mesures ont été prises ces derniers mois avec, dans le contexte des tensions actuelles avec les Etats-Unis, une extension notable du champ des menaces couvert

Le Canada a profité de son Enoncé économique publié mi-décembre pour officialiser des premières mesures destinées à renforcer sa sécurité économique. La consultation publique, qui s’est achevée fin septembre, n’a pas fait l’objet de communication spécifique ou d’annonce de la part du gouvernement canadien. Toutefois, c’est en décembre, à l’occasion de l’énoncé économique d’automne et après l’élection de Donald Trump, que le gouvernement canadien a finalement annoncé plusieurs mesures, soulignant que « dans un contexte mondial de plus en plus mercantiliste, la sécurité économique jou(ait) un rôle encore plus central ». Le gouvernement canadien a ainsi annoncé la modification de son régime de contrôles commerciaux dans le but de pouvoir restreindre les importations ou exportations en réponse à des mesures commerciales déloyales ou coercitives. Il a également annoncé l’application du principe de réciprocité de manière transversale dans la conduite de sa politique commerciale, et en particulier dans le cadre de l’octroi des marchés publics avec l’objectif de présenter une proposition en ce sens « au printemps 2025 ». Cet énoncé fut également mobilisé pour annoncer de nouvelles mesures ciblées sur la Chine, avec l’annonce de nouveaux droits de douane sur les importations en provenance de Chine de plusieurs produits liés à l’énergie solaire et les minéraux critiques en 2025 et sur les semi-conducteurs, aimants permanents et sur le graphite naturel en 2026.

La dégradation très rapide des relations bilatérales entre le Canada et les Etats-Unis ont conduit ces dernières semaines à subrepticement élargir la focale de cette réflexion. Alors que l’énoncé économique insistait encore fin décembre sur le partenariat solide et historique entre les Etats-Unis et le Canada, la relation du Canada avec les Etats-Unis a basculé à partir de la conférence de presse de D. Trump du 7 janvier mentionnant l’emploi de la « coercition économique » à l’égard du Canada, des menaces finalement mises à exécution le 4 mars avec des tarifs de 25% sur les importations canadiennes (10% pour l’énergie), nonobstant la suspension partielle jusqu’au 2 avril annoncée dans la foulée. Et prises d’autant plus au sérieux que les provocations répétées de D. Trump pour faire du Canada le 51ème Etat suggéraient une volonté délibérée des Etats-Unis d’affaiblir l’économie du pays. Dans ce contexte et au regard de sa dépendance commerciale vis-à-vis des Etats-Unis (76% de ses exportations et 62% de ses importations), le Canada a progressivement élargi la focale de sa réflexion, dans une logique de sécurisation de ses approvisionnements grâce à une diversification de ses partenaires commerciaux et à la levée des barrières commerciales intraprovinciales.

De nouveaux outils afin d’assurer la sécurité économique du Canada et de répondre au contexte actuel sont en préparation. Le Canada travaille désormais activement à de nouveaux outils pour garantir sa sécurité économique. En matière de contrôle des investissements, le Canada a annoncé le 5 mars, au lendemain de l’entrée en vigueur des tarifs de Donald Trump, le renforcement de ses règles de contrôle des investissements étrangers de manière à prendre en compte le risque pour la sécurité économique du Canada dans l’évaluation réalisée. Les travaux s’accélèrent également sur l’accès aux marchés publics canadiens : plusieurs provinces et municipalités ont annoncé, en réaction aux menaces de D. Trump, l’exclusion des entreprises américaines de leurs appels d’offres et l’octroi d’une préférence aux entreprises canadiennes. En parallèle, le Ministre canadien de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie du Canada François-Philippe Champagne a indiqué qu’une Canadian First Procurement Policy pourrait être prochainement mise en place, afin de favoriser les entreprises canadiennes dans l’octroi des marchés publics (sans toutefois la garantie que le secteur de la défense soit couvert). Le Canada travaille donc au renforcement de sa boîte à outils alors que la Chine vient d’annoncer l’imposition de droits de douane de 100% sur les importations d’huile de colza, de tourteaux d’oléagineux et de pois en provenance du Canada et de 25% sur les importations canadiennes de produits de la pêche et du porc à compter du 20 mars. Une annonce qui fait suite à l’enquête anti-discrimination que la Chine avait ouverte fin septembre en réponse à l’imposition de droits canadiens sur les véhicules électriques chinois et sur l’acier et l’aluminium. Et dont le calendrier, quelques jours après les déclarations de la Ministre canadienne des affaires étrangères Mélanie Joly indiquant que le Canada était ouvert à la proposition américaine d’uniformisation des barrières commerciales à l’échelle nord-américaine et juste en amont de l’élection de M. Carney, sonne comme un avertissement

 

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