Washington Wall Street Watch n°2025-11
Réflexions hebdomadaires sur les principaux évènements financiers, institutionnels ou règlementaires, aux Etats-Unis.
Sommaire
Conjoncture
- Les perspectives des ménages se dégradent
- Les ventes au détail progressent moins qu’attendu
Politiques macroéconomiques
- Donald Trump signe le budget provisoire voté au Congrès
- La Fed maintient la fourchette cible de ses taux directeurs
Services financiers
- La SEC adapte son approche de travail et poursuit la révision des réformes menées sous la législature démocrate
- Michelle Bowman désignée pour être la future vice-présidente en charge de la supervision à la Fed
Situation des marchés
Brèves
Conjoncture
Les perspectives des ménages se dégradent
L’indice de confiance des consommateurs publié le 14 mars par l’université du Michigan a chuté de ‑11 % en mars, à 57,9 (après 64,7 en février et 71,7 en janvier), pour le troisième mois consécutif. La détérioration de la confiance des consommateurs, notamment au regard de leur situation financière, du marché du travail, de l’inflation ou des marchés boursiers, est généralisée à l’ensemble de la population. Cette dégradation est partagée par les Démocrates et les Républicains. Les consommateurs évoquent notamment le niveau élevé d’incertitude entourant les politiques économiques actuelles.
En outre, l’enquête montre que les anticipations d’inflation à un an ont fortement augmenté à +4,9 % (après +4,3 %) soit leur niveau le plus élevé depuis novembre 2022, marquant une troisième hausse consécutive « inhabituellement élevée » de +0,5 points ou plus. Les anticipations à long terme ont également augmenté à +3,9 % en mars (après +3,5 %).
Les ventes au détail progressent moins qu’attendu
Selon les données du Census Bureau, publiées le 17 mars, les ventes au détail ont légèrement augmenté de +0,2 % en février après ‑1,2 % en janvier (révisé à la baisse de ‑0,4 point), surprenant à la baisse les attentes de marché (+0,6 %). Sur douze mois glissants, les ventes au détail ont progressé de +3,8 % (après +4,2 %). Ces estimations étant en valeur, cette hausse pourrait être plus faible encore, une fois corrigée de l’inflation.
En février, sept des treize catégories recensées dans le rapport ont affiché des baisses, en particulier les restaurants et bars (‑1,5 %), les stations-services (‑1,0 %), les vêtements et accessoires (‑0,6 %), les produits de loisir (sport, musiques et livres) et les concessionnaires automobiles (‑0,4 %). En revanche, les ventes au détail ont augmenté dans les ventes en ligne (+2,4 %), les produits de santé (+1,7 %) et les produits alimentaires (+0,4 %).
Politiques macroéconomiques
Donald Trump signe le budget provisoire voté au Congrès
Le Président Donald Trump a signé et promulgué le 15 mars le budget provisoire (continuing resolution) adopté par le Sénat (54-46) le 14 mars et par la Chambre des représentants (217-213) le 11 mars.
Le projet adopté prévoit une extension du budget provisoire jusqu’au 30 septembre, date de fin de l’exercice budgétaire 2025, une augmentation de 6 Md USD des dépenses de défense et une diminution de 13 Md USD dans les autres programmes.
Avant le vote final au Sénat, le texte a obtenu l'approbation d'un vote procédural (62-38) qui a permis de mettre fin à toute tentative d'obstruction (filibuster). Ce vote a été soutenu par neuf Démocrates et un Indépendant, tandis que le Républicain Rand Paul (R-Kentucky) s'y est opposé. En particulier, le minority leader Chuck Schumer (D-New York), s’est prononcé en faveur de la version républicaine, soutenant que le shutdown aurait donné un pouvoir trop important à l’exécutif, notamment dans le choix des agences à fermer (qualifiées de « non-essentielles »). Toutefois, des Sénateurs démocrates ont exprimé leur désaccord, considérant que le parti aurait dû utiliser ce projet comme un levier contre les Républicains.
La Fed maintient la fourchette cible de ses taux directeurs
La réunion du Comité de politique monétaire de la Fed (FOMC) des 18 et 19 mars 2025 s’est conclue par le maintien de la fourchette cible des taux fed funds à [4,25 % - 4,5 %], en ligne avec les attentes. Cette décision a été prise à l’unanimité. Les responsables ont également annoncé un ralentissement du rythme de réduction du bilan de la Fed de 60 Md USD (25 Md USD de Treasuries et 35 Md USD de Mortgage-Backed Securities - MBS) à 40 Md USD (5 Md USD de Treasuries et 35 Md USD de MBS). Cette décision n’a pas été prise à l’unanimité ; le gouverneur Christopher Weller aurait préféré maintenir le rythme actuel.
Dans son discours liminaire, le président de la Fed, Jerome Powell a souligné la solidité de l’économie américaine et du marché du travail. Malgré les progrès réalisés au cours des dernières années, l’inflation demeure encore élevée par rapport à la cible de la Fed. Il a souligné l’incertitude entourant l’économie, illustrée par un ralentissement de la consommation et une dégradation des données d’enquête auprès des ménages et des entreprises. Il a déclaré que la Fed resterait attentive aux effets des « grands changements » en matière commerciale, migratoire, budgétaire et régulatoire, amorcés par la nouvelle administration.
La Fed a également publié les nouvelles projections économiques : la croissance est revue à la baisse de ‑0,4 point en 2025 (+1,7 %) et de ‑0,2 point en 2026 (+1,8 %) ; l’inflation est revue à la hausse de +0,2 point (+2,7 %) en 2025 et de +0,1 point en 2026 (+2,2 %) ; le taux de chômage reste quasi-inchangé (+0,1 point en 2025). Dans ce contexte, la Fed a gardé la trajectoire de ses taux d’intérêt inchangée.
Durant la conférence de presse, le président de la Fed a indiqué que les révisions reflétaient en « bonne partie » les tensions commerciales sans pouvoir identifier leurs effets quantitativement. Ce climat d’incertitude pèserait sur le ressenti des ménages et des entreprises, même si historiquement, une détérioration des données d’enquête (soft data) n’a pas nécessairement affecté l’activité. Les données économiques (hard data) demeurant globalement solides, il a répété à plusieurs reprises la nécessité de disposer de plus de données avant d’ajuster la politique monétaire, le niveau des taux étant, d’après lui, approprié actuellement.
Services Financiers
La SEC adapte son approche de travail et poursuit la révision des réformes menées sous la législature démocrate
Le 17 mars, à l’occasion d’une conférence annuelle organisée par l’Investment Company Institute, Mark Uyeda, le président par intérim de la Securities and Exchange Commission (SEC), l’autorité des marchés financiers, a présenté les orientations de l’agence sous la nouvelle administration en termes de processus d’élaboration des règles et de gestion d’actifs. Ces orientations s’inscrivent dans une logique de révision des réformes engagées sous le mandat de Gary Gensler.
En premier lieu, M. Uyeda a l’ambition de rendre le processus d’élaboration des règles de l’agence plus robuste en i) développant davantage les échanges avec les parties prenantes concernées, via des périodes de commentaires allongées entre 60 et 90 jours, et en ii) rationalisant les étapes du processus d’élaboration des règles (« Back to basics ») afin d’assurer la pertinence des chantiers engagés et leur conformité avec les statuts de la SEC.
M. Uyeda est ensuite revenu sur la feuille de route de la SEC en matière de gestion d’actifs, priorisant l’annulation ou de nouvelles propositions pour les chantiers non finalisés. M. Uyeda cible en particulier une proposition de règle publiée en février 2023 visant à renforcer les exigences applicables aux sociétés de gestion en matière de conservation. Il dénonce l’extension du champ d’application de la règle à tous les actifs gérés par les sociétés de gestion, y compris les crypto-actifs. La Task Force de la SEC dédiée à l’élaboration d’un cadre règlementaire en matière de crypto-actifs, créée le 21 janvier, est mobilisée sur le sujet. Parmi les autres propositions qui pourraient être abandonnées figurent i) une règle visant à imposer aux sociétés de gestion de mettre en place des procédures d’audit de leurs prestataires (octobre 2022) et ii) une règle visant à renforcer les exigences de transparence des fonds et conseils en investissement ESG (mai 2022).
Concernant certaines règles finalisées mais non encore entrées en vigueur, la SEC pourrait suspendre leur application (« pause ») dans l’attente d’une nouvelle proposition. M. Uyeda fait part de ce projet pour une règle publiée en août 2024, visant à rehausser les exigences de publication des fonds communs de placement et des fonds cotés. Pour d’autres dont elle ne souhaite pas modifier le contenu, la SEC pourra reporter leur délai de mise en application. Récemment, le 14 mars, l’agence a annoncé un report de six mois de l’entrée en vigueur des amendements de la Names Rule, visant à renforcer la cohérence entre la dénomination des fonds d’investissement et la composition réelle de leurs portefeuilles. Selon l’agence, ces mesures contribuent à réduire les coûts liés à la mise en œuvre des contraintes règlementaires sur les entreprises.
Michelle Bowman désignée pour être la future vice-présidente en charge de la supervision à la Fed
Le président Donald Trump a annoncé sur son réseau social le 17 mars qu’il entendait nommer Michelle Bowman en tant que vice-présidente de la Fed chargée de la supervision. Bien que membre du conseil des gouverneurs de la Fed depuis 2018, M. Bowman doit encore être confirmée par le Sénat dans ses nouvelles fonctions. D. Trump estime que M. Bowman dispose du « savoir-faire » nécessaire pour mieux gérer l’économie américaine que cela n’a été le cas sous la précédente majorité.
Diplômée de l’Université du Kansas, M. Bowman a occupé des postes à responsabilité dans l’administration de George W. Bush. Après sept années passées à des postes de direction au sein d’une banque locale (community bank) du Kansas, elle devient la commissaire aux banques de l’État du Kansas en 2017, puis est nommée en 2020 par D. Trump membre du conseil des gouverneurs de la Fed, au titre de son expérience au sein du secteur des community banks.
Les prises de position publiques de M. Bowman démontrent une volonté de simplifier nettement la régulation bancaire, en particulier pour les petites banques, et d’adopter une approche de la supervision plus « pragmatique ». M. Bowman s’est opposée au projet de finalisation de Bâle III proposé par Michael Barr en juillet 2023, jugeant l’augmentation des exigences en capital disproportionnée, mais sans méconnaître pour autant l’intérêt d’un cadre international harmonisé. M. Bowman estime que le cadre prudentiel demande à être revu, puisqu’il a largement été construit pour répondre à la crise hypothécaire de 2008-2009. La création de nouveaux établissements et les fusions bancaires font également partie de ses priorités. En matière de supervision, M. Bowman estime que l’approche actuelle repose de manière disproportionnée sur des jugements subjectifs, et des indicateurs mesurant des risques non-financiers (risques opérationnel, réputationnel, gestion du risque). Enfin, elle juge que les régulateurs doivent se montrer plus « ouverts à l’innovation », en clarifiant les règles et les attendus de supervision.
Sa nomination a été favorablement accueillie par l’industrie bancaire et les élus républicains. L’American Banker Association a salué sa compréhension des enjeux de l’économie réelle (« real-world perspective ») et l’association des community banks (Independant Community Bankers of America) sa vision pragmatique de la supervision. Le président de la commission bancaire au Sénat Tim Scott (R-Caroline du Sud) a applaudi cette nomination qui permettrait de « repousser les lourdes règles qui entravent l’économie américaine ». De même, French Hill (R-Arkansas), le président de la commission des services financiers à la Chambre, se dit impatient de « réévaluer la finalisation de Bâle III et de réexaminer les politiques de supervision et d’agrément du conseil des gouverneurs de la Fed ».
Situation des marchés
Au cours de la semaine écoulée (de vendredi à jeudi), les indices boursiers ont progressé : +1,8 % pour le S&P 500, à 5 669, et +1,1 % pour le Nasdaq, à 17 709.
Les rendements des obligations souveraines américaines (Treasuries) ont été quasi stables : après avoir augmenté tout au long de la semaine, le taux à 2 ans a baissé pour finir la semaine à un niveau inchangé (4,0 %). Le taux à 10 ans a évolué en dent de scie mais fini en légère baisse, à 4,2 % (‑0,1 point).
Malgré un niveau d’incertitude élevé, les marchés financiers ont augmenté cette semaine grâce au répit dans les annonces de mesures commerciales de l’administration. Par ailleurs, le maintien de deux baisses de taux d’intérêt pour 2025 (de 25 points de base) dans les projections trimestrielles de la Fed a permis de soutenir les marchés.
Brèves
- Le 18 mars, le Nasdaq, la deuxième plus grande plateforme boursière des États-Unis, a annoncé l’ouverture prochaine d’un siège régional à Dallas (Texas), ainsi que de nouveaux investissements dans l’État. Cette décision s’inscrit dans une dynamique des acteurs financier de renforcer leur présence au Texas, qui a l’ambition de rivaliser avec la place financière de New York (« Y’all Street »). Dans la même veine, le New York Stock Exchange (NYSE) a annoncé en février son intention de lancer NYSE Texas, une bourse électronique basée à Dallas.
- Selon une enquête de la Fed de New-York publiée le 17 mars, l’industrie manufacturière dans l’État de New York s’est contractée en février de ‑26 points à ‑20, soit sa plus forte baisse depuis mai 2023, notamment en raison d’une forte baisse des nouvelles commandes et d’une hausse des prix des intrants et des stocks. Par ailleurs, la confiance des entreprises a également baissé de ‑10 points (après ‑15 points en février), à 12,7.
- Le 14 mars, William J. Pulte est devenu directeur de la Federal Housing Finance Agency (FHFA), l’agence chargée de superviser Fannie Mae et Freddie Mac, les deux principales agences de titrisation, sous tutelle de l’Etat fédéral. Dès le 17 mars, W. Pulte est également devenu le président des conseils d’administration des deux agences, une nomination qui s’est accompagnée d’un large renouvellement des administrateurs des deux institutions.
- Le 14 mars, D. Trump a signé un décret présidentiel qui appelle à supprimer les fonctions assumées par le fonds Community Development Financial Institutions (CDFI) qui ne correspondraient pas à ses statuts. Le fonds CDFI soutient des institutions financières privées (banques locales, caisses d’épargne, fonds de microcrédit) dotées d’une mission sociale et qui interviennent auprès des populations à faibles revenus aux Etats-Unis.
- Le 20 mars, le Secrétaire au Trésor Scott Bessent a présidé la première réunion du Financial Stability Oversight Council (FSOC) depuis la prise de fonctions de D. Trump. Devant ce conseil qui réunit l’ensemble des agences de régulation financière, il a insisté sur la nécessaire amélioration des cadres de régulation et de supervision appliqués par les agences, a encouragé les agences à concentrer leur supervision sur les principaux risques financiers, et à ne plus tenir compte du risque réputationnel. Suite à la réunion, l’Office of the Comptroller of the Currency (OCC), l’agence du Trésor chargée de la supervision des banques nationales, a déclaré qu’elle cesserait d’examiner le risque réputationnel.