Washington Wall Street Watch n°2025-10
Réflexions hebdomadaires sur les principaux évènements financiers, institutionnels ou règlementaires, aux Etats-Unis.
Sommaire
Conjoncture
- Les créations d’emploi sont plus faibles qu’attendu et le taux de chômage augmente
- Les prix à la consommation et ceux de production ralentissent
Politiques macroéconomiques
- La Chambre des représentants adopte son projet de budget provisoire
- Un juge ordonne la réintégration des employés fédéraux licenciés
Services financiers
- Donald Trump publie un décret visant à établir une réserve stratégique de bitcoins et une réserve nationale de crypto-actifs
- L’OCC prend part à la lutte contre la débancarisation du secteur des crypto-actifs
- Mark Uyeda se prononce en faveur d’une meilleure réglementation du marché des Treasuries
Situation des marchés
Brèves
Conjoncture
Les créations d’emploi sont plus faibles qu’attendu et le taux de chômage augmente
Selon le rapport mensuel du Bureau of Labor Statistics (BLS) sur la situation du marché du travail, publié le 7 mars, les créations nettes d’emplois ont augmenté de +151 000 en février, soit un niveau légèrement en dessous des attentes des marchés (+160 000) et la moyenne des douze derniers mois (+168 000).
Les créations d’emploi ont principalement augmenté dans la santé (+52 000), les services financiers (+21 000), le transport et le stockage (+18 000) et l’assistance sociale (+11 000), partiellement compensées par un recul dans l’administration (-10 000).
Par ailleurs, les créations d’emploi ont été révisées à la baisse en janvier à +125 000 (‑18 000) et à la hausse en décembre à +323 000 (+16 000).
Le taux de chômage a légèrement augmenté à 4,1 % (après 4,0 %), un niveau supérieur à celui anticipé par les marchés (4,0 %). Les taux d’activité et d’emploi sont tous deux en légère baisse à 62,4 % (après 62,6 %) et 59,9 % (après 60,1 %) respectivement. De plus, le salaire horaire progresse de +0,3 % sur un mois (après +0,5 %) et reste stable par rapport à janvier en glissement annuel à +4,0 %.
Les prix à la consommation et ceux de production ralentissent
Selon le rapport mensuel du BLS publié le 12 mars, l’indice des prix à la consommation a ralenti, passant à +0,2 % en février après +0,5 % en janvier et +0,4 % en décembre. Sa composante sous-jacente (hors énergie et alimentation) a également baissé à +0,2 % (après +0,4 %). Les prix de l’énergie continuent de ralentir, à +0,2 % (après +1,1 %), tout comme ceux de l’alimentation (+0,2 % après +0,4 %).
Sur un an, l’inflation totale diminue à +2,8 % (après +3,0 % en janvier), tout comme sa composante sous-jacente (+3,1 % après +3,3 %). L’inflation énergétique s’établit à -0,2 %, et celle de l’alimentation à +2,6 %. L’évolution est inférieure aux attentes de -0,1 point pour l’inflation totale (+2,9 %) et son sous-jacent (+3,2 %). À l’exception des soins de santé et de l’habillement, l’ensemble des postes de la composante sous-jacente ont ralenti en février.
Par ailleurs, un rapport publié le 13 mars par le BLS montre que les prix de production (PPI) ont été stables en février (après +0,6 % en janvier), un niveau inférieur aux attentes des marchés (+0,3 %). Sur un an, l’inflation des prix à la production s’établit à +3,2 % (après +3,7 %), contre +3,3 % attendu.
Politiques macroéconomiques
La Chambre des représentants adopte son projet de budget provisoire
Le 11 mars, la Chambre des représentants a adopté (217-213) son projet de budget provisoire (continuing resolution) publié le 8 mars, avec un vote pour du Représentant démocrate Jared Golden (D-Maine) et un vote contre du Représentant républicain Thomas Massie (R-Kentucky).
Ce projet prévoit la prolongation du budget provisoire jusqu’à la fin de l’exercice budgétaire 2025, le 30 septembre, une augmentation des dépenses militaires de +6 Md USD et une réduction des dépenses civiles de ‑13 Md USD. Par ailleurs, il gèle les dotations supplémentaires de 20 Md USD à destination de l’Internal Revenue Service (IRS), administration fiscale chargée des collectes et recouvrement des impôts.
Ce projet doit être adopté à la majorité qualifiée (60 voix sur 100) au Sénat pour lever l’obstruction parlementaire (filibuster), afin d’éviter l’arrêt de l’activité des administrations fédérales (shutdown) ce vendredi 14 mars, date à laquelle le budget provisoire actuel expire.
Toutefois, les Démocrates se sont déjà prononcés pour voter contre la version républicaine, préférant adopter la version plus courte qu’ils ont proposée le 10 mars, prévoyant une extension du budget provisoire jusqu’au 11 avril. Néanmoins, le consensus démocrate reste fragile. Certains Sénateurs des Swing States, dont notamment John Fetterman (D-Pennsylvanie), Mark Kelly (D‑Arizona), Tim Kaine (D-Virginie), préfèrent éviter le shutdown en votant pour la version républicaine.
Un juge ordonne la réintégration des employés fédéraux licenciés
Dans une ordonnance rendue le 13 mars, un juge fédéral de Californie, William Alsup, a pris une décision d’injonction préliminaire ordonnant aux départements des Anciens combattants, de la Défense, de l’Énergie, de l’Intérieur, de l’Agriculture et au Treasury, de réintégrer les employés fédéraux en période d’essai (probatory period) qui ont été licenciés depuis le 13 février, sous l’action du Department of Government Efficiency (DOGE). Le juge W. Alsup a déclaré illégale la directive de l’Office of Personnel Management (OPM) de licencier ces employés.
Selon le juge, tout licenciement ultérieur d’employés en période d’essai devra être effectué par les ministères ou organismes employeurs, dans le cadre du Civil Service Reform Action and Reduction in Force Act, et a interdit à l’OPM d’intervenir, même à titre de conseiller.
Services Financiers
Donald Trump publie un décret visant à établir une réserve stratégique de bitcoins et une réserve nationale de crypto-actifs
Le 6 mars, Donald Trump a publié un décret présidentiel (Executive Order – EO) visant à établir i) une réserve stratégique de bitcoins (Strategic Bitcoin Reserve – SBR) et ii) une réserve nationale de crypto-actifs (U.S. Digital Asset Stockpile – DAS).
L’EO crée en premier lieu une réserve stratégique de bitcoins (SBR), sur le modèle d’une réserve d’or numérique. L’EO confère au bitcoin le statut d’actif de réserve (reserve asset) sur le fondement qu’il partagerait des caractéristiques similaires à l’or, en lien avec la rareté de l’offre (limite fixe de 21 M de bitcoins en circulation) et la sécurité de son protocole informatique sous-jacent (blockchain). La SBR sera principalement composée de bitcoins détenus par le Département du Trésor, saisis à l’issue de procédures de sanction. Les autres régulateurs pourront également transférer les bitcoins qu’ils détiennent vers la SBR, sous réserve qu’ils disposent de l’autorité légale pour le faire. Les Secrétaires du Trésor et du Commerce pourront par ailleurs développer des stratégies d’acquisition de bitcoins pour alimenter la SBR, à condition que leur impact soit neutre sur les fonds du contribuable. L’État fédéral conservera la SBR sur le long terme avec l’intention d’en faire une réserve de valeur, s’engageant ainsi à ne pas vendre les bitcoins.
L’EO crée également une réserve nationale de crypto-actifs (DAS), distincte de la SBR. Alors que D. Trump avait listé, via un poste sur Truth Social le 2 mars, les crypto-actifs éligibles à une réserve nationale (Ether, XRP, Sol, et Ada), l’EO présente la DAS comme un ensemble de crypto-actifs dont la composition reste indéterminée. Par ailleurs, la DAS sera exclusivement composée de crypto-actifs saisis à l’issue de procédures de sanction – aucune stratégie d’acquisition ne sera élaborée au-delà. Le Secrétaire du Trésor déterminera une stratégie de gestion responsable de la DAS, qui pourra impliquer la vente des crypto-actifs en réserve.
En réaction, les cours des crypto-actifs ont baissé, les investisseurs ayant misé sur l’annonce d’un plan d’achat massif par l’État fédéral, lequel se limite à la centralisation des crypto-actifs saisis dans le cadre de procédures de sanctions et à une stratégie d’acquisition neutre budgétairement. Le secteur reconnaît toutefois l’EO comme une étape dans une dynamique de long terme favorable à l’industrie.
D. Trump avait introduit le projet d’une réserve stratégique de crypto-actifs pendant sa campagne, confirmé le 2 mars via son réseau Truth Social, en échos à une proposition de loi de la sénatrice Cynthia Lummis (R-Wyoming) d’avril 2024. Le 11 mars, C. Lummis a introduit une nouvelle version du texte, le BITCOIN Act afin d’établir une base législative au projet de D. Trump, préconisant toutefois une politique d’achat de crypto-actifs plus volontariste, et envisageant l’acquisition d’un million bitcoins par l’État fédéral.
L’OCC prend part à la lutte contre la débancarisation du secteur des crypto-actifs
Le 7 mars, l’Office of the Comptroller of the Currency (OCC), le régulateur des national banks, a publié plusieurs lettres (Interpretive Letters – IL) réaffirmant l’autorité légale des banques de donner accès à leurs services au secteur des crypto-actifs. Ces lettres s’inscrivent dans une logique de lutte contre la débancarisation du secteur des crypto-actifs, élevée au rang de priorité politique par D. Trump.
Pour mémoire, une décision de débancarisation désigne la fermeture des comptes bancaires d’une entreprise par une banque, au motif qu’elle ferait peser un risque financier, juridique ou réputationnel sur elle. En général, les banques justifient leurs décisions de débancarisation par les contraintes de conformité exigées par les régulateurs financiers et les lois fédérales en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et autres activités financières illicites. Ainsi, ces dernières années, de nombreux acteurs d’industries controversées, dont les crypto-actifs, ont perdu l’accès à leurs services bancaires.
Par l’IL 1183, l’OCC rend explicite le caractère légal des activités bancaires en matière de crypto-actifs, à savoir i) la conservation de crypto-actifs (IL 1770), ii) l’utilisation de réseaux de registres distribués (IL 1174) et iii) la réception de dépôts de stablecoins (IL 1172). Par ailleurs, la lettre supprime l’exigence, pour les entités supervisées, de recevoir un avis de non-objection de l’OCC pour exercer ces activités, dont l’objectif consistait à certifier qu’elles disposent des mécanismes de gestion des risques adéquats.
Mark Uyeda se prononce en faveur d’une meilleure réglementation du marché des Treasuries
Le 10 mars, à l’occasion d’une intervention devant l’Institute of International Banking (IIB), Mark Uyeda, le président par intérim de la Securities Exchange Commission (SEC), l’autorité des marchés financiers, a présenté ses priorités pour améliorer le fonctionnement du marché des Treasuries.
Il propose en premier lieu de mieux encadrer les échanges sur les systèmes d’échange électronique (Alternative Trading Systems - ATS) où s’échangent la majorité des Treasuries. Les ATS destinés uniquement à l'échange de Treasuries, historiquement gérés et utilisés par des banques, bénéficient depuis 1998 d'une dérogation à la règle de droit commun applicable aux ATS, pour éviter toute redondance avec d’autres réglementations. Or, la complexité et la rapidité acquises par ce marché, animé par des entreprises de négociation pour compte propre (Principal Trading Firms - PTF), justifient d’en renforcer la réglementation. La SEC avait proposé en 2020, sous la direction de Jay Clayton, (i) de supprimer la dérogation à la règle ATS, (ii) d'accroitre la transparence et l'égalité d'accès de ces ATS et (iii) d'en renforcer la supervision par la SEC et la résilience opérationnelle en les soumettant à la réglementation Regulation Systems Compliance and Integrity (Reg SCI).
En 2022, sous la direction de Gary Gensler, la SEC a souhaité élargir la portée de cette réforme en révisant la définition juridique d'une bourse pour y inclure à la fois les ATS et les plateformes d'échanges de crypto-actifs. M. Uyeda a demandé à ses équipes de relancer des consultations et de formuler des propositions sur la base des travaux réalisé sous J. Clayton.
En second lieu, si M. Uyeda ne remet pas en cause la nécessité de rendre obligatoire la compensation centralisée (central clearing) pour les Treasuries, le calendrier d'application prévu initialement par la SEC était jugé irréaliste, ce qui justifiait le report d’un an, acté en février. Certains ajustements de fond sont également envisagés, notamment pour clarifier la portée extraterritoriale de cette règle, à la demande des investisseurs étrangers.
Situation des marchés
Au cours de la semaine écoulée (de vendredi à jeudi), les indices boursiers ont poursuivi leur baisse : -3,6 % pour le S&P 500, à 5 521 (-10 % depuis le pic atteint le 19 février), et -4,0 % pour le Nasdaq, à 17 303 (-14 % depuis le 19 février)
Les rendements des obligations souveraines américaines (Treasuries) à 2 ans et à 10 ans sont restés quasi inchangés, à 3,9 % et 4,3 % respectivement.
Les mouvements sur les marchés financiers traduisent l’incertitude et les inquiétudes liées aux risques de récession. En particulier, lors d’une interview avec Fox News, le Président D. Trump a indiqué s’attendre à une « période de transition », reflétant sa détermination à poursuivre son programme malgré des craintes de récession. Ce climat d’incertitude a été exacerbé par les tensions commerciales et les droits de douane imposés par les États-Unis, les mesures de rétorsion de ses principaux partenaires (Canada, Union européenne), ainsi que l’entrée en vigueur des mesures à compter du 2 avril réaffirmées à plusieurs reprises par l’administration américaine.
Brèves
- Le 7 mars, le Nasdaq a annoncé le lancement d’un service de trading en continu, du lundi au vendredi (24/5), via sa plateforme Nasdaq Stock Market, afin de mieux répondre à la demande mondiale croissante d’actions américaine. Ces nouvelles modalités seront mises en œuvre au deuxième semestre 2026, sous réserve de l’autorisation des régulateurs. Ce projet fait échos à ceux de Cboe (février 2025) et du New York Stock Exchange (octobre 2024), ce dernier ayant déjà obtenu un accord de principe de la SEC, l’autorité des marchés financiers.
- Le 10 mars, les régulateurs bancaires fédéraux (Fed, FDIC, OCC), ont publié un rapport indiquant qu’en 2024, le risque de crédit associé aux prêts bancaires syndiqués supérieur à 100 M USD était resté modéré. Néanmoins, les agences alertent sur la dégradation persistante de la qualité de ces crédits en raison des taux d’intérêts élevés et de la compression des marges opérationnelles de l’industrie.
- Le 12 mars, le Sénat a confirmé (53-46) la nomination de Stephen Miran, stratégiste chez Hudson Bay Capital Management et ancien conseiller économique au Treasury, au poste de président du Council of Economic Advisor (CEA). À ce titre, il sera notamment chargé de conseiller le président en matière de politique économique. Le Sénat a également confirmé (53-46) la nomination de Keith Sonderling, commissaire à l’Equal Employment Opportunity Commission (EEOC), au poste de Deputy Secretary of Labor, chargé notamment de faire respecter les lois sur le salaire minimum et la sécurité au travail.