LE MÉGAPROJET DE ROUTE DU DÉVELOPPEMENT
Projet phare du gouvernement irakien, la Route du développement est conçue comme un projet permettant à la fois d’insérer l’Irak dans les routes commerciales mondiales et de développer ses activités économiques non pétrolières. De nombreuses zones de flou entourent encore ce projet-concept, mais les autorités essaient d’y apporter des réponses concrètes, sous l’influence de l’approche réaliste promue par la Banque mondiale. Les opportunités sont importantes pour les entreprises françaises.
La Route du développement (Development Road) est un projet très ambitieux visant à placer l’Irak au cœur des routes commerciales mondiales et régionales, ainsi qu’à diversifier l’économie du pays
Le projet consiste en un corridor logistique reliant le futur port d’Al-Fao, au sud du pays, à la frontière irako-turque, au nord. Une voie ferrée et une autoroute sur 1200 km seraient construites, ainsi que des oléoducs et gazoducs et une architecture de télécommunications. Le projet comprendrait en outre des liaisons régionales avec les pays frontaliers, des aéroports, des complexes industriels et des villes résidentielles. Le port d’Al-Fao est en cours de construction par l’entreprise coréenne Daewoo E&C ; il est censé compter à terme jusqu’à 100 quais (contre 67 pour le port émirien de Jebel Ali).
Le projet vise trois objectifs principaux :
- Insérer l’Irak dans les routes commerciales mondiales, grâce aux liaisons prévues en amont de la route – Chine-Pakistan (port de Gwadar)-al-Fao – et en aval (liaisons ferroviaires Turquie-Europe), mais également aux connexions prévues entre la Development Road et les aéroports existants (Bagdad et Kerbala, notamment) et futurs (al-Fao).
- Développer le commerce régional, grâce à des projets de routes et/ou liaisons ferroviaires connectant les pays voisins (Arabie saoudite, Iran, Koweït, puis possiblement plus tard Syrie et Jordanie) et à une harmonisation régionale des normes et des systèmes de contrôle douanier.
- Développer le pays et diversifier son économie, non seulement via les revenus générés par le transit commercial, mais également en construisant le long de la route (i) des complexes industriels (qui pourraient offrir des conditions fiscales avantageuses, voire être des zones franches) et (ii) des villes résidentielles pour remédier à la crise du logement et affronter les défis démographiques auxquels fait face le pays.
Le projet est entouré de grandes incertitudes touchant à sa conception, son pilotage et sa mise en œuvre
D’abord, le dimensionnement exact du projet manque encore de précisions et pourrait susciter des tensions entre Bagdad et Erbil :
- Le concept-même du projet n’est pas toujours clair : les composantes oléoducs et gazoducs ne sont pas toujours évoquées. Les autorités irakiennes mettent de moins en moins l’accent sur les interconnexions régionales (Syrie, Iran, Arabie saoudite).
- Le tracé de la route ne fait pas consensus entre les autorités fédérales et celles de la région autonome du Kurdistan.
De multiples zones de flou persistent quant à la mise en œuvre technique du projet, notamment au sujet du financement :
- Si un montant de 17 à 20 Md USD est avancé par le gouvernement, aucune source n’est clairement identifiée : les autorités irakiennes entendent compter sur de l’investissement privé, mais il n’est pas par nature adapté à ce type de projet. En tout état de cause, il est difficile d’imaginer qu’il n’y ait pas d’investissement public.
- Le montage contractuel est aujourd’hui inconnu : le gouvernement souhaite qu’il prenne la forme d’un partenariat public-privé, mais ce type de contrat n’est aujourd’hui pas prévu par la législation irakienne.
- Enfin, le cadre réglementaire irakien pourrait poser des difficultés, en particulier l’absence de réglementation sur les biens en transit et sur les questions relatives au foncier.
Surtout, la capacité de l’Irak a piloter un tel projet n’est pas évidente. L’éclatement du pouvoir décisionnel, la bureaucratie et l’affrontement d’intérêts divergents compliquent considérablement la gestion de projets, a fortiori de cette ampleur.
Les autorités irakiennes tentent de dissiper ces incertitudes en mettant en avant l’appui international dont bénéficie le mégaprojet et en esquissant une approche plus réaliste
L’Irak a convaincu plusieurs partenaires régionaux de s’associer à son projet. Fin avril 2024, à l’occasion de la visite du président Erdogan en Irak, Turquie, Émirats arabes unis et Qatar ont signé un accord de coopération concernant la Route du développement. Depuis, se sont tenues plusieurs réunions quadripartites au niveau des ministres des Transports – la dernière en date le 31 octobre 2024 à Bagdad.
En parallèle, les autorités souhaitent convaincre de la faisabilité économique de leur projet et commencent à développer, avec la Banque mondiale, un phasage plus réaliste :
- Le cabinet d’audit américain Oliver Wyman conduit une étude pour démontrer la viabilité économique de la Route du développement. Elle devrait about au 2e semestre 2025. Pour l’instant, seul le cabinet italien d’ingénierie PEG (spécialisé dans les énergies) a produit une étude de faisabilité sur la Route du développement.
- La Banque mondiale promeut auprès des autorités irakiennes une approche plus réaliste. La construction du port d’Al-Fao, dont les cinq premiers quais ont été livrés en novembre 2024, est déjà en cours. La Banque mondiale concentre donc son appui et ses financements sur des aspects qui, indépendamment de la Route du développement, seront bénéfiques, à savoir la réhabilitation des liaisons ferroviaires et la construction des tronçons manquants (Al-Fao-Bassora, Mossoul-frontière turque). Elle a ainsi réorienté une partie de ses financements (environ 70 M USD) et en envisage de nouveaux.
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La France a une réelle carte à jouer dans l’appui à la Route du développement sur le plan économique. De nombreuses entreprises françaises peuvent se positionner sur ce projet, y compris en apportant de l’expertise aux autorités irakiennes à mieux le définir. Dans le secteur des transports et de la logistique, la France compte en effet un grand nombre d’acteurs (bureaux d’études, construction ferroviaire, fourniture de matériel roulant, gestion portuaire, logistique, système de télécommunications) dont le positionnement est pertinent au regard de ce projet. Des interactions directes avec les autorités irakiennes, comme lors de la mission d’entreprises menée par Medef International début février 2025, peuvent aider ces dernières à clarifier leur projet tout en valorisant l’expertise française.