Washington Wall Street Watch n°2025-5
Réflexions hebdomadaires sur les principaux évènements financiers, institutionnels ou règlementaires, aux Etats-Unis.
Sommaire
Conjoncture
- L’inflation PCE reste élevée par rapport à la cible de la Fed
- La Fed publie son enquête trimestrielle sur les conditions de crédit
Politiques macroéconomiques
- Le Treasury publie l’actualisation de son programme d’emprunt
- Le DOGE accède en « lecture seule » au système de paiement du Treasury
Services financiers
- Le Sénat dévoile un projet de loi en matière d’encadrement des stablecoins
- La Maison Blanche annonce la création d’un fonds souverain fédéral
- Scott Bessent assure l’intérim de la direction du CFPB
- La commissions des finances du Sénat auditionne l’industrie financière sur le phénomène de « débancarisation »
Situation des marchés
Brèves
Conjoncture
L’inflation PCE reste élevée par rapport à la cible de la Fed
D’après les estimations du Bureau of Economic Analysis (BEA), en décembre, l’indice des prix des dépenses de consommation personnelles (Personal Consumption Expenditure – PCE) a augmenté de +0,3 % (après +0,1 %) et sa composante sous-jacente (hors alimentation et énergie) a progressé de +0,2 % au même rythme qu’en novembre. Sur douze mois glissants, l’inflation et sa composante sous-jacente se sont établies à +2,6 % et +2,8 % respectivement (après +2,4 % et + 2,8 %), en ligne avec les attentes du marché (+2,6 % et +2,8 % respectivement).
Sur un mois, les prix de l’énergie ont fortement augmenté (+2,7 % après +0,2 %) et les prix de l’alimentation ont également progressé de +0,2 %, soit au même rythme que le mois précédent. Sur 12 mois glissants les prix de l’énergie ont baissé de -1,1 % (après -4,0 %), alors que ceux de l’alimentation ont continué d’augmenter de +1,6 % (après +1,4 %).
Les prix des services et des biens ont accéléré, à +0,3 % (après +0,2 %) et à +0,2 % (après +0,0 % en novembre) respectivement. En glissement annuel, l’inflation des services se stabilise à +3,8 % et celle des biens s’établit à +0,0 % (après ‑0,4 %).
La Fed publie son enquête trimestrielle sur les conditions de crédit
La Fed a publié le 3 février 2025 son enquête d’opinion sur les conditions de crédit (Senior Loan Officer Opinion Survey - SLOOS) pour le 4ème trimestre 2024.
Dans l’ensemble, celle-ci montre peu de changement dans les conditions de crédit aux entreprises et aux ménages. Toutefois, l’enquête fait état d’un durcissement des conditions pour les prêts commerciaux et industriels (C&I) et dans l’immobilier commercial (CRE).
Les banques interrogées notent une augmentation de la demande pour les prêts C&I principalement de la part des grandes et moyennes entreprises et un niveau de demande quasi stable de prêts CRE.
Du côté des ménages, les banques ont indiqué que la demande était plus faible pour l’ensemble des catégories de prêts, dont ceux de l’immobilier résidentiel, dans un contexte où les conditions de crédit sont restées pratiquement inchangées.
Politiques macroéconomiques
Le Treasury publie l’actualisation de son programme d’emprunt
Le Treasury a publié le 3 février 2025 une actualisation de son programme d’emprunt pour la période de janvier à juin 2025. Au cours du 1er trimestre 2025, le Treasury prévoit d’emprunter 815 Md USD, soit une baisse de -9 Md USD par rapport à sa précédente estimation réalisée en octobre 2024. Le solde de trésorerie anticipé à la fin du mois de mars reste quant à lui inchangé à 850 Md USD. Au 2ème trimestre 2025, le Treasury prévoit d’emprunter 123 Md USD et un solde de trésorerie de 850 Md USD à la fin de ce trimestre. Au cours du dernier trimestre 2024, le Treasury a emprunté 620 Md USD pour arriver en fin de période à un solde de trésorerie de 722 Md USD.
Par ailleurs, les membres du Comité consultatif d’emprunt du Treasury (Treasury Borrowing Advisory Committee - TBAC) ont remis un compte-rendu au secrétaire du Treasury : depuis la réunion précédente, qui s’est tenue fin octobre 2024, le taux obligataire souverain à 2 ans s’est stabilisé alors que le taux à 10 ans a augmenté de 25 points de base. Le taux de change effectif de l’USD s’est apprécié de +2,1 %, atteignant son plus haut niveau depuis 2022. Selon les membres, cette hausse des taux longs et du taux de change reflèterait la robustesse de l’économie américaine conjuguée à une baisse des risques de retournement du marché du travail. Par ailleurs, après avoir baissé les taux directeurs au cours du S2 2024, la Fed a signalé qu’elle envisageait un ralentissement du rythme de baisse des taux en 2025.
Dans ce contexte, les membres du comité recommandent de maintenir la taille des adjudications de Treasuries inchangée et d’augmenter celles des TIPS. Par ailleurs, le comité recommande de maintenir inchangé le programme de rachat (buyback) de Treasuries, qui semble remplir son objectif de liquidité.
Enfin, dans une interview accordée à Fox News le 6 février 2025, le secrétaire au Trésor, Scott Bessent, a précisé qu’il n’augmenterait pas le rythme des émissions de Treasuries et qu’il se concentrerait sur la baisse du taux des obligations souveraines à 10 ans, plutôt que sur le taux court qui dépend de la politique monétaire conduite par la Fed. Il a par ailleurs rappelé ses objectifs de baisse des prix de l’énergie via la hausse de la production (3M de baril par jour), de réduction du déficit (vers 3 %) et d’une croissance à +3 %. Il a enfin rappelé son soutien à un dollar fort et au statut de monnaie de réserve mondiale de la devise américaine, signalant que cette position était partagée par le président D. Trump.
Le DOGE accède en « lecture seule » au système de paiement du Treasury
Le Department of Government Efficiency (DOGE) aurait demandé le 31 janvier l’accès aux données de paiement du Treasury, considérées comme sensibles (prestations sociales, Medicare, données fiscales). Le jour-même, le sénateur Ron Wyden (D-Oregon), vice-président de la commission des finances, a fait part de ses inquiétudes auprès du secrétaire au Treasury, S. Bessent. En particulier, R. Wyden a souligné l’importance des paiements opérés par le Treasury et le risque de perturbation lié à l’intervention par le DOGE. Il l’a également mis en garde contre la personnalité d’Elon Musk, notamment ses activités et liens avec la Chine.
S. Bessent a indiqué dans une lettre datée du 4 février qu’E. Musk, directeur du DOGE, n’avait pas pris le contrôle du système de paiement ni suspendu ou rejeter les instructions de paiement soumises au Treasury par les différents organismes fédéraux du gouvernement. Cet accès serait justifié dans le but de réformer et d’améliorer le système. La Cour de D.C. a annoncé le 6 février, l’interdiction d’accès sauf pour les envoyés spéciaux du Treasury, Tom Krause (PDG de Cloud Software Group) et Marko Elez (ancien ingénieur chez SpaceX ayant rejoint le DOGE) en « lecture seule »., après qu’un groupe de syndicat a accusé l’agence fédérale de partager illégalement des informations sur leurs membres auprès du DOGE.
Pour mémoire, le décret signé par le Président D. Trump le 20 janvier prévoit la création du DOGE en remplacement de l’US Digital Service, un organe de la Maison-Blanche chargé de l’amélioration des services publics (via notamment sa numérisation). Le décret demande par ailleurs à chaque agence de créer une équipe d’au moins 4 personnes, qui sera chargée de veiller à l’application des directives du DOGE, d’identifier et de proposer des initiatives d’optimisation des processus internes, d’assurer la liaison avec le DOGE et de produire des rapports trimestriels sur les mesures mises en œuvre et leurs impacts.
Services Financiers
Le Sénat dévoile un projet de loi en matière d’encadrement des stablecoins
Le 4 février, le conseiller spécial du Président en charge des crypto-actifs (« Czar »), a présenté aux côtés du sénateur Tim Scott (R-Caroline du Sud) et du représentant French Hill (R-Arkansas) la stratégie globale de l’administration Trump en la matière. Un groupe de travail bipartisan réunissant les quatre commissions compétentes de la chambre et du Sénat va être constitué pour établir rapidement un cadre légal ayant pour objectif de stimuler l’innovation sur le sol américain, de faire la part entre les entreprises « légitimes » et les entreprises frauduleuses telles que FTX, et de mieux protéger les consommateurs. Les législateurs travaillent en parallèle sur i) un projet de loi sur la structure du marché des crypto‑actifs, inspirée de la loi « Fit-21 » déjà votée à la Chambre sous la précédente législature, et ii) une loi sur les stablecoins proposée par le Sénateur B. Hargerty (cf. ci-dessous). Les stablecoins, lorsqu’ils sont adossés au dollar, sont présentés par les parlementaires comme un moyen de renforcer son rôle de devise de référence dans le monde, d’exacerber la demande pour les bons du Trésor – dans lesquels les dollars sont investis le plus souvent, et de fournir une alternative plus transparente aux stablecoins aujourd’hui émis depuis l’étranger. Enfin, David Sacks a confirmé que l’administration travaillait actuellement sur l’opportunité de créer une réserve fédérale de crypto-actifs.
Le même jour, le comité financier du Sénat a publié une proposition de loi bi-partisane en matière d’encadrement du marché des stablecoins (227 Md USD à l’échelle mondiale)., Cette proposition est portée par le sénateur républicain Bill Hagerty (R-Tennessy), et reçoit le soutien des sénateurs Tim Scott (R-Caroline du Sud) Cynthia Lummis (R-Wyoming) et Kisten Gillibrand (D-New York). Ce texte (Guiding and Establishing National Innovation for U.S. Stablecoins – GENIUS Act) marque une nouvelle étape dans l’élaboration d’un cadre règlementaire favorable à l’industrie des crypto-actifs, en lien avec la promesse de campagne du Président Donald Trump de faire des États-Unis « la capitale mondiale des crypto-actifs ». Les sénateurs affichent par ailleurs la vocation du GENIUS Act à promouvoir l’inclusion financière et la suprématie du dollar à l’échelle mondiale.
Le GENIUS Act formalise en premier lieu la définition des stablecoin, désignant une catégorie de crypto-actifs dont la valeur est adossée à un sous-jacent monétaire fixe, principalement le dollar et les bons du trésor américains. En lien avec cette définition, le texte impose à toute institution financière souhaitant émettre des stablecoins de suivre une procédure d’agrément, dont le délai de réponse est fixé à 120 jours.
Il établit par ailleurs les modalités de supervision des sociétés émettrices de stablecoins : les acteurs disposant d’une capitalisation de marché inférieure à 10 Md USD seraient supervisés par les régulateurs à l’échelle des Etats (state regulators) ; au-delà du seuil de 10 Md USD, leur supervision serait assurée par les régulateurs fédéraux, à savoir i) la Fed pour les émetteurs bancaires et ii) l’Office of the Comptroller of the Currencry (OCC) pour les émetteurs non bancaires (non-bank issuers). À ce jour, seules deux sociétés émettrices entreraient dans la catégorie des sociétés qui seraient supervisées à l’échelle fédérale, à savoir Tether (USDT) et Circle (USD Coin).
Le texte prévoit par ailleurs que l’ensemble des sociétés émettrices de stablecoins rendent publique, sur une base mensuelle, un rapport d’audit indiquant le montant de leurs réserves, renforçant ainsi la véracité des déclarations qu’elles publient sur leurs états financiers.
La Maison Blanche annonce la création d’un fonds souverain fédéral
Le 3 février, le Président D. Trump a signé un décret présidentiel (executive order) portant sur la création d’un fonds souverain (Sovereign Wealth Fund). Le décret établit un groupe de travail chargé, sous 90 jours, de sa conception, de la définition de ses objectifs et de ses modalités de fonctionnement. Le décret (i) confie aux secrétaires au Trésor et au Commerce, en collaboration avec la Maison-Blanche, la mission de déterminer le mécanisme de financement, les stratégies d’investissement, la structure du fonds et un modèle de gouvernance ; (ii) définit les objectifs associés à la création de ce fonds, à savoir l’assainissement des finances publiques, la réduction de la fiscalité et le renforcement de la sécurité économique et le leadership stratégique des États-Unis dans le monde (D. Trump a évoqué dans une interview la possibilité d’acheter l’entreprise TikTok) ; et (iii) décrit les ressources mobilisables par le fonds, dont les recettes douanières, les revenus issus du pétrole et du gaz ainsi que 5 700 Md USD d’actifs détenus par l’État fédéral .
Scott Bessent assure l’intérim de la direction du CFPB
Après que D. Trump ait mis fin aux fonctions de Rohit Chopra le 1er février, il a nommé le Secrétaire du Treasury S. Bessent directeur par intérim du Consumer Financial Protection Bureau (CFPB), agence chargée de la protection des consommateurs. Cette reprise en main par le Treasury semble tourner la page d’un mandat de 4 ans au cours duquel le CFPB s’est illustré par l’adoption de règles et de sanctions en faveur des usagers du système bancaire. Dès sa nomination, S. Bessent a demandé à l’ensemble des agents de l’agence de cesser immédiatement toute préparation de nouvelle règle, de suspendre l’application des règles publiées non entrées en vigueur, toute transaction judiciaire (settlement), et de se contenter de demander des délais dans les litiges en cours. E. Musk avait appelé en novembre 2024 à la suppression de cette agence. Elle est par ailleurs âprement critiquée par les élus républicains, le sénateur Ted Cruz ayant déposé le 29 janvier une proposition de loi pour supprimer son financement par la Fed.
La commission des finances du Sénat auditionne l’industrie financière sur le phénomène de « débancarisation »
Le 5 février, la commission des services financiers du Sénat a auditionné des entreprises financières (la plateforme de crypto-actifs Anchorage Digital et la banque Old Glory Bank), un cabinet d’expertise juridique (Davis Wright Tremaine) et un institut de recherche en politique publique (Brookings Institution) sur le phénomène de débancarisation (debanking). Pour mémoire, une décision de débancarisation désigne l’action de fermeture des comptes bancaires de personnes physiques ou morales par une banque, au motif que les titulaires de ces comptes feraient peser un risque financier, juridique ou réputationnel sur elle. En général, les banques justifient leurs décisions de débancarisation par les contraintes de conformité exigées par les régulateurs financiers et les lois fédérales en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et autres activités financières illicites. Ainsi, ces dernières années, de nombreux acteurs d’industries controversées (e.g., armes à feu, cannabis, crypto-actifs), y compris la société auditionnée Anchorage Digital, ont perdu l’accès à leurs services bancaires.
Parmi les républicains, Tim Scott (R-Caroline du Sud), le président de la commission des services financiers du Sénat, dénonce l’accès restreint des « entreprises conservatrices », en particulier les plateformes de crypto‑actifs, aux services bancaires. Selon lui, la débancarisation sert la poursuite d’objectifs politiques progressistes de certaines banques, citant en particulier JP Morgan et Bank of America. Nathan McCauley, le CEO d’Anchorage Digital, partage cette vision, interrogeant le caractère arbitraire de la décision de suspension des services bancaires infligée à sa société. Par ailleurs, Cyntia Lummis (R –Wyoming) dénonce la politisation illégale des régulateurs financiers, prétendument souhaitée et organisée par l’administration Biden (« Operation Choke Point 2.0 »). Allant dans son sens, la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC), l’autorité de résolution et de garantie des dépôts des banques, a publié le 5 février un document qui met en avant certaines pratiques de supervision qui seraient d’après elle discriminatoires, désincitant fortement les banques à offrir leurs services au secteur des crypto-actifs (e.g., demandes répétées d’informations complémentaires, délais de procédure déraisonnables). Dans le camp démocrate, E. Warren (D – Massachussetts) souligne les difficultés de long terme auxquelles font face les entités radiées pour retrouver une banque après la fermeture de ses comptes, en raison notamment de leur inscription sur une liste noire rendue publique (« Do Not Bank List »).
Situation des marchés
Au cours de la semaine écoulée (de vendredi à jeudi), les indices boursiers ont fini en léger recul : -0,2 % pour le S&P 500, à 6 084, et -0,2 %pour le Nasdaq, à 19 792. Avec la hausse des droits de douane (25 % sur les importations mexicaines, 25 % sur les importations canadiennes hors énergie, 10 % sur les importations énergétiques canadiennes et 10 % des importations chinoises), les indices ont fortement baissé entre le vendredi 31 janvier et le lundi 3 février (2,8 % pour le S&P 500 et -3,6 % pour le Nasdaq). Les indices ont bondi à la suite d’un accord trouvé le 3 février, permettant le report d’un mois de l’entrée en vigueur des mesures tarifaires au Canada et au Mexique.
Le rendement des obligations souveraines américaines (Treasuries) à 2 ans est resté inchangé à 4,2 % tandis que celui à 10 ans a baissé de -0,2 point, à 4,2 %. Le taux à 10 ans a nettement baissé après que secrétaire au Treasury, S. Bessent, a affirmé sa volonté de faire baisser le taux à 10 ans et a annoncé le maintien de la taille des adjudications des obligations à 10 ans.
Brèves
- En janvier, les indices PMI publiés par l’Institut for Supply Management (ISM) évoluent en sens contraire dans l’industrie et les services : en hausse par rapport au mois précédent (+1,7 point), tiré par les commandes nouvelles et une amélioration de la demande de produit manufacturiers, le secteur de l’industrie renoue avec l’expansion (50,9 %) après 9 mois consécutifs de contraction ; le secteur des services évolue quant à lui en zone d’expansion (52,8 %) depuis 10 mois mais en baisse par rapport au mois de décembre (-1,2 point). Pour mémoire, un indice supérieur à 50 % indique une expansion et inférieur à 50 % une contraction.