L'intelligence artificielle en AEOI : un secteur en développement, source d’opportunités et de défis, avec des avancées très inégales selon les pays

L’IA représente une opportunité de développement économique et social pour la région, mais son adoption reste très inégale selon les pays. Si Maurice, le Rwanda ou le Kenya sont des pionniers en matière d'IA sur le Continent, les Comores ou l’Ouganda figurent parmi les derniers au classement mondial de la préparation des gouvernements à l’IA. A l’échelle régionale, les pays de l’Afrique de l’Est soutiennent la stratégie de l’Union Africaine sur l’IA avec la Déclaration de Nairobi adoptée en 2024. Conscients du potentiel de l'IA pour leur économie, l’ensemble des pays étudiés se sont dotés de plans stratégiques, dont la réussite dépend des infrastructures numériques et d’une main-d'œuvre qualifiée, des initiatives souvent soutenues par des bailleurs internationaux. A ce jour, des pays de la région comme le Kenya se positionnent concrètement sur la modération et l’entrainement (à bas-coût) des modèles d’IA générative et/ou souhaitent utiliser leur électricité, largement verte, comme outil de compétitivité dans le domaine. Cependant, de nombreux défis demeurent pour le développement plus poussé de l'IA dans la région : manque de cadre juridique unifié, de données exploitables, de compétences, de connectivité, ou d'investissements dans la recherche.

L'IA : Un secteur stratégique en cours d’évolution et de régulation, avec des niveaux de développement très disparates selon les pays de la région

Selon l'index 2024 d'Oxford Insights qui mesure la préparation des gouvernements à l'IA, des pays de la région AEOI sont en tête du classement en Afrique subsaharienne, bien qu'ils figurent dans la seconde moitié du classement mondial (Maurice, 1er en Afrique subsaharienne ; Rwanda, 3ème ; Seychelles, 5ème ; le Kenya, 6ème), tandis que l'Éthiopie (119ème), Madagascar (141ème), l'Ouganda (164ème), et les Comores sont parmi les derniers à l’échelle mondiale. La région AEOI se distingue par le pilier "Données et Infrastructure", tandis que les piliers "Gouvernance" et "Secteur technologique » présentent des scores plus faibles.

Certains pays de la région sont actifs dans les discussions mondiales sur l'IA, tels que le Kenya et le Rwanda, qui participent à la préparation du Sommet pour l'Action sur l'IA à Paris en février 2025. Les pays de l’Afrique de l’Est ont adopté la Déclaration de Nairobi sur l’IA en 2024 en appui à la stratégie IA de l'Union africaine pour renforcer la coopération régionale et la gouvernance éthique de l’IA, avec le soutien de l'UNESCO. Aucun pays de la région n’est membre du PMIA, bien que le Rwanda pourrait le rejoindre dans les prochains mois. Le Rwanda, actif dans la promotion de l’IA pour les pays en développement, a publié l’AI playbook for small States avec Singapour et organisera le premier AI Africa Summit en avril 2025 avec le World Economic Forum. A l’échelle locale, l’ensemble des pays étudiés ont des stratégies nationales dédiées à l'IA, mais aucun ne dispose, pour l’heure, de cadre juridique unifié. Plusieurs pays de la région ont des structures de gouvernance dédiées à l'IA, ainsi que des lois sur la protection des données, bien que l'IA n’y soit pas nécessairement explicitement mentionnée.

Les gouvernements des pays AEOI soutiennent le développement du capital humain et des infrastructures numériques (fibre optique, smart cities, data centers) pour favoriser l'adoption de l'IA avec des initiatives comme le Centre africain de compétence pour l'IA au Kenya, soutenu par UNDP et Microsoft, un Centre d'excellence en IA et robotique en Éthiopie, ou encore un projet en cours à Madagascar pour un Institut d’IA Appliqué (IIIAA) en partenariat avec des universités françaises et le groupe français ArkeUp. Le gouvernement mauricien a investi dans le Deep Artificial Intelligence Centre au Data Technology Park, pour soutenir les start-ups et institutions publiques. Le Kenya et le Rwanda ont des projets de smart cities, ambitieux (Konza Technology City et Kigali Innovation City), qui en voie de concrétisation. La majorité des pays de la région bénéficie d’une bonne couverture 4G, qui a permis la mise en place de systèmes de paiements mobiles, comme Mpesa au Kenya et Momo au Rwanda, favorisant l'inclusion bancaire. Les Seychelles, avec un taux d’accès à Internet de 86,7 % en 2022, se distinguent par deux data centers, développés par Airtel, Ericsson et Cable, Wireless. Grâce à sa position stratégique au carrefour des câbles sous-marins, Djibouti a pour objectif de devenir un hub de l'IA en Afrique de l'Est, avec le premier Data Center de la corne de l'Afrique (DDC) et un nouveau centre inauguré en 2024, tous deux construits par Wingu. Madagascar, avec un prêt de 55 M USD de l’Exim Bank de Chine, a mis en place un data center en 2019, mais qui n’est pas encore opérationnel.

Un écosystème de l’IA soutenu par les gouvernements, le secteur privé et les bailleurs

Les start-ups en IA se développent au Kenya, au Rwanda et à Maurice, avec des acteurs français qui se positionnent sur différents cas d’usage de l’IA à impact social tandis qu'il demeure limité en Éthiopie, Tanzanie et Djibouti. Au Kenya, Ilara Health utilise l’IA pour optimiser des échographes portables et Amini applique l’IA aux données climatiques, notamment pour l’assurance agricole, tandis que la start-up le Wagon à Maurice, propose des formations en IA. Aux Seychelles, le gouvernement soutient l'IA dans le secteur touristique, et a signé un partenariat avec la société suisse Travizory Border Security SA, qui a instauré le premier corridor biométrique pour les contrôles de santé et de sécurité en 2021. Le Rwanda, à travers l’initiative gouvernementale Hanga Pitchfest, appuyée par le PNUD, soutient des start-ups comme AfyaWave Ltd qui utilise l'IA pour améliorer la santé maternelle, et Irembo, une entreprise à capitaux publics, pionnier de la digitalisation des services publics. Enfin, à Djibouti et en Éthiopie, le développement du secteur se limite à quelques initiatives telles que Djibouti Code Campus sur le modèle de l’Ecole 42 et des start-ups éthiopiennes soutenues par l’Accélérateur Afrique de Google.

Les bailleurs internationaux, dont la France via l'AFD, soutiennent le développement de l'IA en AEOI, principalement indirectement par la mise en place de conditions favorables (en matière de réglementation, de compétences humaines et de connectivité). L'AFD finance la faculté d’ingénierie et des sciences de l'Université de Nairobi, deux projets au Kenya et en Ethiopie pour améliorer l'accès à Internet, ainsi que l'I&P Accélération Technologies à Madagascar pour soutenir les start-ups locales du secteur. En Ouganda, des incubateurs bénéficient du soutien de la France et de la coopération allemande. Au Rwanda, la coopération allemande et européenne, renforce l’écosystème IA, tandis que la France contribue indirectement au développement de l'IA à travers un projet de numérisation des services publics et un soutien à la Rwanda Space Agency sur les géo-données. La Banque mondiale finance plusieurs projets en lien avec l'IA, notamment au Kenya (Digital Economy Acceleration Project, en Tanzanie (Digital Tanzania Project), à Djibouti (Djibouti Digital Project), en Éthiopie (Digital Foundations Project), et à Madagascar (PRODIGY), en lien avec l’identité numérique. La Fondation Bill & Melinda Gates a financé des initiatives en Tanzanie dans l'agriculture et la recherche, ainsi que des projets kenyans dans la santé et l'éducation. Aux Seychelles, le PNUE soutient FishGuard, un projet de surveillance de la pêche et des aires marines avec des drones équipés d’IA, et l'UE finance un système d'information de gestion du port Victoria, intégrant l'IA pour optimiser la logistique et protéger l'environnement.

Un positionnement compétitif de la région dans la modération de l’IA et sur les data centers « verts », mais des obstacles freinent le développement plus poussé de l’IA

Les préoccupations environnementales, pourraient inciter les GAFAM, à localiser leurs data centers, énergivores, dans des pays comme le Kenya, où l'électricité est renouvelable à 90%. Le pays se distingue également comme hub compétitif pour l'outsourcing de l'IA grâce à une main-d'œuvre anglophone à faible coût, attirant des entreprises comme Sama pour entrainer ChatGPT, bien que ce secteur soit critiqué pour ses conditions de travail. À moyen terme, les autorités kenyanes et plusieurs investisseurs privés entendent se positionner sur des data centers, avec un projet annoncé par l’américain Ecocloud Data Center à la COP28. Le Rwanda poursuit également le déploiement d’énergies renouvelables, afin d’attirer des infrastructures d’IA de pointe tout en fournissant une énergie verte.

L'adoption de l'IA dans la région, comme sur d’autres géographies émergentes, reste freinée par des obstacles tels que le manque de réglementation unique, de données, de compétences, de connectivité et d'investissements, et le coût élevé de l'électricité, tout en présentant de possibles risques pour l'emploi bien que cela puisse aussi créer potentiellement des débouchés pour des profils hautement qualifiés, à condition que la main d’œuvre soit dispose du niveau adéquat. A titre d’exemple au Kenya, 1 diplômé sur 4 a suivi des études en Science, Technologie, Ingénierie et Mathématiques (STEM) et en 2023 seule 10% de la population ougandaise utilisait Internet, soit beaucoup moins qu’en Tanzanie (32%), au Rwanda (30%) et au Kenya (29%). A Madagascar, l’IA est aussi perçue comme présentant potentiellement un risque de remplacement de l’externalisation par des entreprises de la relation client, secteur qui emploie actuellement de l’ordre de 25 000 personnes.