Le gouvernement vietnamien exprime une forte volonté politique de développer l’économie circulaire en agriculture, secteur responsable de 19% des émissions de gaz à effet de serre nationales. Le manque de financement de la plupart des exploitations freine néanmoins ce développement. Dans ce contexte, les groupes industriels se placent comme des éléments moteurs, avec qui l’expertise française pourrait espérer coopérer quant au transfert de technologie et au développement d’activité au Vietnam.

L’agriculture vietnamienne souhaite développer la circularité de ses pratiques, avec une large marge de progression …

L’agriculture compte aujourd’hui pour 19% des émissions de gaz à effet de serre (GES) à l’échelle nationale, parmi lesquelles la seule production de riz représente plus de la moitié des émissions de GES du secteur, et 75% des émissions nationales de méthane.[i] En cause : une irrigation inefficace, une utilisation intensive des engrais, la consommation énergétique ainsi que certaines utilisations de coproduits de culture et d’élevage (ex : brûlis des pailles de riz). L’activité agricole est également génératrice de dégradation des sols, de pollution des eaux, de diminution de la biodiversité parmi laquelle la diminution des stocks de poissons. L’agriculture est pourtant directement concernée par le dérèglement climatique : subsidence des deltas vietnamiens, intrusion d’eaux salines, épisodes de sécheresse, augmentation de la température de l’eau, etc.

Ces problématiques sont clairement identifiées par le gouvernement qui a publié en juin 2024[ii] un plan sur le développement scientifique, les applications et les transferts de technologies pour promouvoir l’économie circulaire dans l’agriculture d’ici 2030[iii] et fixe plusieurs objectifs pour 2030 : revalorisation de 80% des pailles, de 60% des effluents d’élevage des exploitations familiales, de 100% des effluents d’élevage des grandes fermes, de 100% des coproduits de l’industrie aquacole. Enfin, 80% des fermes et 50% des coopératives devront avoir accès à des processus et des technologies de recyclage et de revalorisation des coproduits d’ici 2030. Il n’existe cependant pas encore d’aides directes aux exploitations agricoles pour l’adoption de nouvelles pratiques circulaires. Seuls des soutiens financiers et de formation sont disponibles indirectement à travers d’autres dispositifs, ou des aides de la part des provinces.

Les coproduits de l’activité agricole, un énorme potentiel permis par une production très diverse… : Sur un total de 178 millions de tonnes de coproduits, les effluents d’élevage en représentent 40%, tandis que les coproduits issus des cultures en représentent 53%, dont 29% uniquement pour le riz. Ces coproduits sont traditionnellement valorisés dans des systèmes agronomiques (souvent à l’échelle de la coopérative) regroupant parcelles de cultures, bassins d’aquaculture et étables d’élevage (modèle VAC[iv] répandu), permettant de réutiliser les effluents de matière organique d’un atelier vers l’autre : fertilisation des champs avec le fumier, utilisation des pailles comme litière animale, utilisation des coproduits de cultures et d’aquaculture pour l’alimentation animale, irrigation des cultures avec l’eau des bassins, etc.[v] D’autres modèles répandus intègrent des réservoirs de matières organiques permettant la production de biogaz réutilisé domestiquement (par exemple pour cuire les aliments de l’élevage).[vi] Des pratiques plus spécifiques ont également été diffusées : utilisation des pailles de culture comme support de culture pour champignon, production de larves de mouches soldats noirs à partir d’effluents de matières organiques pour une utilisation en alimentation animale, production d’huile à partir des fruits non-commercialisables[vii], etc.

… qui pourrait être davantage valorisé : Actuellement, 47% des coproduits de culture sont insuffisamment valorisés (38% sont brûlés pour fertiliser à bas-coût mais provoquant une pollution de l’air importante, 9% sont abandonnés dans les champs). L’aquaculture, qui est la filière dégageant le moins de coproduit (15-20%), est également la plus performante dans la réutilisation de ces derniers, qu’elle pratique depuis de nombreuses années, avec aujourd’hui un taux de 90%. En élevage, la situation est à appréhender selon l’échelle du système : la taille de l’exploitation est positivement corrélée à l’adoption pratiques circulaires.[viii] Seules 48% des exploitations familiales traitent les coproduits d’élevage contre 96% des grandes fermes (75% des coproduits sont collectés au total). De plus, certains coproduits ne sont pas encore valorisés de manière efficiente : brûlis agricoles pour fertiliser, production de biogaz de mauvaise qualité, technique de compostage sous-optimale, qualité sanitaire inquiétante de certains coproduits réutilisés dans les rations alimentaires, etc.[ix]

En cause, l’incapacité des exploitations familiales à disposer de capacité d’investissement, de ressources technologiques et de compétences nécessaires au développement de nouvelles pratiques plus efficientes. En cela, les groupes industriels agricoles vietnamiens disposant de ces dernières ressources, se placent comme des éléments moteurs dans le développement de l’agriculture circulaire en l’absence de soutiens directs des pouvoirs publics aux exploitations familiales, capables de transférer les innovations aux plus petits producteurs avec lesquelles ils coopèrent. C’est par exemple le cas des groupes TH True Milk, T&T159 et Quê Lâm Company avec leurs fournisseurs d’aliments d’élevage.

… ce qui représente une opportunité de coopération pour l’expertise et l’investissement français.

Développer des systèmes de production interconnectés : Le Vietnam entretient une longue tradition de flux croisés entre ses ateliers de production.[x] Ces systèmes de production très ancrés, mais encore perfectibles bénéficient de nombreux programmes de recherche, dans la logique du plan de juin 2024 (cf. encadré). Ce type de démonstration expérimentale stimule l’initiative privée locale (dont française[xi]) en mettant en évidence les besoins techniques et les nouvelles opportunités notamment pour la revalorisation des algues en tant que compléments alimentaires, pour la production de fertilisants organiques, etc. Les pratiques développées incluent le recyclage des déchets, le compostage, le recyclage des nutriments, la production de biogaz, les technologies d’économie d’eau[xii].

Le CIRAD s’est engagé dans un projet de recherche s’intéressant aux systèmes aquacoles combinant poissons (Pangasius, Tilapia, Mullet), crevettes et algues dans le Delta du Mékong vietnamien. Les objectifs consistent en, la réduction de l’alimentation (15%), de l’apport d’eau saine (300%) et de la production de déchet, le recyclage des déchets (excréments) solides et liquides pour l’alimentation animale et la fertilisation organique, la réutilisation de l’eau usagée après purification par les algues ainsi que des produits précédemment recyclés. En résulte un système dont l’efficacité d’utilisation des ressources est accrue, les émissions sont grandement réduites, tout en faisant émerger de nouvelles chaines de valeur (production d’algue pouvant être réutilisée en complément alimentaire), et en adaptant la production aux nouvelles conditions imposées par le changement climatique (augmentation de la température de l’eau).

Des besoins technologiques et de savoir-faire pour la valorisation des coproduits[xiii] : La production de biofertilisants suscite un large engouement tant des volontés politiques qu’au niveau de la demande, et un intérêt croissant de l’industrie française, première productrice européenne, appréciée pour la qualité, la stabilité et la traçabilité de ses produits de fertilisation.[xiv] Des besoins spécifiques sont notamment formulés quant à la collecte et au tri des effluents d’élevage (des coopérations ont été développées par le Japon et la Corée sur ce point), ainsi qu’à l’augmentation du pouvoir fertilisant du produit. Le Vietnam pourrait également bénéficier de l’expertise sanitaire française sur les sujets de revalorisation en alimentation animale, ou encore sur les problématiques de traitement de l’eau.

Alors que la capacité de production par les usines à biomasse stagne à 325 MW/an depuis 2018 (0,42% de la capacité de production énergétique en 2021)[xv], les valorisations énergétiques des coproduits pourraient être amenées à se développer notamment grâce aux stratégies de verdissement du secteur énergétique. Ainsi le potentiel de génération de bioénergie pour 2035 est estimé à 9,661 MW/an, principalement par l’incinération de biomasse (bois de sylviculture, paille de riz), la co-incinération dans des usines à charbon existante et par le développement du biogaz. Ce développement s’accompagnerait de besoins d’amélioration de la qualité des biogaz produits (encore trop souvent impurs aujourd’hui), du traitement des digestats résultants de la production, ou encore de développement de solutions de pellets pour l’utilisation en combustion. Les gouvernement australiens et néerlandais mènent déjà des projets de coopération avec l’entreprise vietnamienne EGgreen spécialisée dans l’installation de système de production de biogaz.[xvi] De son côté, Sanofi confirme porter un projet d’utilisation des balles de riz pour la production d’énergie sur l’un de ses sites industriels d’Ho-Chi-Minh Ville.

Enfin, la demande croissante de la population pour des produits biosourcés ouvre le champ de la valorisation des coproduits à travers l’industrie de la chimie. En particulier, les coproduits de cultures pourraient trouver une application dans la production de bio-acides utilisées dans les solutions cosmétiques, d’alimentation humaines ou animale et d’industrie. De même, les éleveurs vietnamiens se montrent intéressés pour la valorisation des coquilles d’œuf, ou des coproduits d’aquaculture pour des solutions du même ordre.

Commentaires :


[i] Ministère des ressources naturelles et de l’environnement, (2020)

[ii] Avant cela, les initiatives avaient été nombreuses : publication en 2015 d’un premier décret encourageant l’amélioration de la gestion des déchets agricoles et la réduction des produits phytosanitaires, définition de l’économie circulaire dans la Loi de Protection de l’Environnement de 2020, développement d’un système alimentaire durable reposant sur les principes de l’économie circulaire à travers plusieurs projets, plans et stratégies

[iii] Dialogue politique sur l’économie circulaire en agriculture au Vietnam du 8 juillet 2024, organisé à l’occasion de la publication de la décision n°540 promouvant un plan pour le développement de l’économie circulaire en agriculture.

[iv] Modèle VAC : en vietnamien « Vuon, Ao, Chuong » soit jardin, mare, étable

[v] Trieu Thanh Quang, Circular Economy Models in Agriculture in Vietnam, (2023)

[vi] L’injection du biogaz et la cogénération ne sont pas développées du fait de la faiblesse du réseau de gaz existant et du manque de volonté politique dans ce sens.

[vii] Entretien avec un producteur de pomélos dans la région de Hoa Binh, 06/08/2024

[viii] The Kien Nguyen, et al., Examining the Factors Influencing the Level of Circular Economy Adoption in Agriculture: Insights from Vietnam, Research on World Agriculture Economy, Vol.5, (2024)

[ix] Entretien avec la National Institute of Animal Science du 07/08/2024

[x] Différents modèles d’agriculture circulaire pratiqués au Vietnam : Champs-Etable-Etang, Riz-crevettes, Riz-poissons, Riz-champignons-fertilisants organiques-arbres fruitiers, Volaille-poisson, etc.

[xi] En coopération avec l’INRAE, l’IRD, la Can Tho University, la Research Institute for Aquaculture 2, la Foreign Trade University pour le projet “3R for climate smart circular aquaculture in the lower Mekong delta of Vietnam”

[xii] International workshop of circularity in agriculture: a pathway to sustainability among APEC economies, Hanoi 24-25/10/2024

[xiii] Voir « L’énorme potentiel pour la production agricole vietnamienne représenté par les matières premières fertilisantes organiques locales », SE Hanoï.

[xiv] Entretien avec l’entreprise OvinAlp, du 02/08/2024

[xv] Challenges and opportunities for bioenergy market in Vietnam (Ministry of Industry and Trade, GIZ, Ministère des affaires étrangères d’Allemagne)

[xvi] How do Vietnamese farmers tap bioenergy for circular agriculture, hanoitimes.vn, (2023)

[xvii] Projet Bidons Bleus, Timothée Cantard, CIRAD, 2016

[xviii][xviii] La coopération avec les acteurs locaux doit permettre notamment, l’approvisionnement en matières premières nécessaires à l’activité de transformation, ou encore l’obtention ou la vente de produit nécessitant une licence à travers un intermédiaire.

[xix] Le projet ReBuMat entre partenaires allemands et vietnamien se penche notamment sur la valorisation des pailles en bioconstruction.