Washington Wall Street Watch n°2025-2
Réflexions hebdomadaires sur les principaux évènements financiers, institutionnels ou règlementaires, aux Etats-Unis.
Sommaire
Conjoncture
- Le marché du travail surprend à la hausse
- L’inflation totale progresse, soutenue par l’énergie, mais sa composante sous-jacente baisse
- Le Beige Book dépeint une légère hausse de l’activité
- Les ventes au détail gardent leur dynamisme
Politiques macroéconomiques
- Russel Vought défend le pouvoir de l’exécutif en matière d’utilisation des ressources allouées par le Congrès
Services financiers
- Auditionné par le Congrès, Scott Bessent présente les orientations de son mandat de Secrétaire du Trésor
- BlackRock quitte l’alliance des gestionnaires d’actifs engagés contre le changement climatique
Situation des marchés
Brèves
Conjoncture
Le marché du travail surprend à la hausse
Selon le rapport mensuel du Bureau of Labor Statistics (BLS) sur la situation du marché du travail, publié le 10 janvier, les créations nettes d’emplois ont augmenté de +256 000 en décembre, surprenant à la hausse les attentes du marché (+155 000) et dépassant la moyenne au cours des 12 derniers mois (+186 000). Les créations d’emplois ont augmenté principalement dans les soins de santé (+46 000), le commerce de détail (+43 000), le loisir et le tourisme (+43 000) et l’administration publique (+33 000).
Par ailleurs, les créations d’emplois ont été revues légèrement à la baisse en novembre, de -15 000 (à +212 000) et à la hausse en octobre, de +7 000 (à +43 000).
Le taux de chômage est resté stable à 4,1 %. Les taux d’activité et d’emploi sont restés stables, à 62,5 % et à 60,0 % respectivement. Le salaire horaire progresse de +0,3 % sur un mois (après +0,4 %) et de +3,9 % sur un an (après +4,0 %).
L’inflation totale progresse, soutenue par l’énergie, mais sa composante sous-jacente baisse
D’après le rapport mensuel du BLS publié le 15 janvier, l’indice des prix à la consommation a accéléré, passant à +0,4 % en décembre après +0,3 % en novembre et +0,2 % en octobre. Sa composante sous-jacente (hors énergie et alimentation) a toutefois reculé à +0,2 % après +0,3 %. Les prix de l’énergie et de l’alimentation progressent de +2,6 % et de +0,3 % respectivement (après +0,2 % et +0,4 %).
Sur un an, l’inflation totale a progressé à +2,9 % (après +2,7 % en novembre), en augmentation continue depuis +2,7 % en septembre, alors que sa composante sous-jacente a baissé à +3,2 % après +3,3 %. L’inflation énergétique s’établit à -0,5 % et celle de l’alimentation à +2,5 %. L’évolution est en ligne avec les attentes pour l’inflation totale (+2,9 %) et inférieure de ‑0,1 point pour l’inflation sous-jacente (+3,3 %). À l’exception des services de transport et des équipements médicaux, l’ensemble des postes de la composante sous-jacente a connu un fléchissement en décembre.
Selon une enquête de la Fed de New York publiée le 13 janvier, en décembre, les anticipations d’inflation sont restées inchangées à horizon un an (à +3,0 %), ont augmenté à trois ans (+3,0 % après +2,6 %) et reculé à cinq ans (+2,7 % après +2,9 %).
Le Beige Book dépeint une légère hausse de l’activité
Le Beige Book publié le 15 janvier, qui présente l’évolution économique dans les 12 districts régionaux de la Fed, décrit une légère croissance de l’activité en décembre. La consommation des biens et services non-financiers (notamment de loisir et de transport) s’est redressée avec les ventes de fin d’année qui ont excédé les attentes. En revanche, l’activité est mitigée dans l’industrie, les entreprises indiquant augmenter les stocks face à l’anticipation de hausse des droits de douane. Le secteur de la construction souffre des taux d’intérêt élevés.
L’emploi a globalement augmenté, notamment dans les services comme les soins de santé. Les entreprises ont fait part de difficultés dans le recrutement des personnels qualifiés. Les licenciements sont rares mais les entreprises soulignent une incertitude accrue.
L’inflation est restée modérée mais le coût des intrants et des primes d’assurance (de santé en particulier) auraient augmenté. Les anticipations d’inflation ont augmenté sous l’effet notamment de la hausse anticipée des tarifs douaniers.
Les ventes au détail gardent leur dynamisme
Selon les données du Census Bureau, les ventes au détail ont progressé de +0,4 % en décembre après +0,8 % en novembre (révisé à la hausse de +0,1 point), légèrement en-deçà des attentes du marché (+0,5 %). Sur douze mois glissants, les ventes au détail ont progressé de +3,9 % (après +4,1 %).
En décembre, les ventes ont été particulièrement dynamiques pour les détaillants divers (+4,3 %), les produits de loisir (sport, musiques et livres) (+2,6 %), l’habillement (+1,5 %) et les stations-services (+1,5 %). En revanche, les ventes ont reculé dans les matériaux de construction et le jardinage (-2,0 %) et les restaurants et bars (-0,3 %).
Politiques macroéconomiques
Russel Vought défend le pouvoir de l’exécutif en matière d’utilisation des ressources allouées par le Congrès
Russel Vought, candidat nommé au poste de directeur de l’Office of Management and Budget par Donald Trump (OMB, organe de la Maison-Blanche chargé de l’élaboration et de la gestion du budget) et en attente de confirmation par le Sénat, a été auditionné par la Commission de la sécurité intérieure et des affaires gouvernementales du Sénat le 15 janvier 2025. Pour mémoire, R. Vought a été directeur adjoint de l’OMB en 2018, directeur par intérim de 2019 et 2020 et directeur de juillet 2020 à janvier 2021.
Durant l’audition, R. Vought a indiqué que le Président avait le pouvoir de ne pas utiliser toutes les ressources allouées par le Congrès. Les sénateurs ont toutefois rappelé qu’en vertu du pouvoir budgétaire du Congrès garanti par la Constitution (power of pulse), il est interdit à l’exécutif de décider unilatéralement de couper des dépenses ou de ne pas exécuter les lois votées. En cas de moindres dépenses, conformément à l’Impoundment Control Act de 1974, le Président doit soumettre au Congrès une demande de loi d’annulation de crédit (rescision bill). Contrairement à une procédure ordinaire qui requiert un vote à la majorité qualifiée (60 voix sur 100) au Sénat, une loi d’annulation peut être adoptée avec une majorité simple dans les deux assemblées.
S’agissant de la proposition de budget préparée par l’OMB que le Président adresse au Congrès chaque année en amont du débat budgétaire, R. Vought a insisté sur la nécessité de baisser les dépenses, compte tenu du déficit chronique et de l’augmentation de la dette, sans toutefois fournir plus de détails.
Services Financiers
Auditionné par le Congrès, Scott Bessent présente les orientations de son mandat de Secrétaire du Trésor
Le 16 janvier, Scott Bessent, candidat nommé par Donald Trump au poste de Secrétaire du Trésor (sa nomination requiert encore la confirmation du Sénat) a été auditionné par le U.S. Senate Commitee of Finance afin de présenter les orientations de la politique économique et financière qu’il mènerait lors de son mandat s’il était confirmé. Il est apparu aligné avec le programme de D. Trump.
En matière fiscale, S. Bessent a martelé les risques d’une crise économique sévère si les baisses d’impôts prévues par le Tax Cuts and Jobs Act (TCJA), instaurées en 2017 et dont certaines expirent à la fin de l’année 2025, n’étaient pas reconduites par le Congrès. Selon lui, les avantages fiscaux du TCJA bénéficient principalement aux ménages des classes moyennes et modestes, à hauteur de 2 600 Md USD (sur 4 000 Md USD de baisses d’impôts au total). Sa position contraste avec celle de l’actuelle Secrétaire du Trésor, Janet Yellen, qui dénonce l’insoutenabilité budgétaire du TCJA, susceptible d’éroder la résilience des marchés financiers et de menacer les États-Unis d’une crise de la dette. Par ailleurs, les démocrates ont plusieurs fois souligné que les baisses d’impôts profitent particulièrement aux ménages les plus aisés, nécessitant un meilleur ciblage du TCJA. En réaction, S. Bessent a réaffirmé la pertinence du périmètre actuel du TCJA, créant des incitations à l’investissement pour les ménages les plus aisés.
En matière budgétaire, S. Bessent a souligné l’importance de réduire le déficit du pays en baissant drastiquement les dépenses, qu’il pointe comme un enjeu de sécurité nationale (« national security issue »), excluant néanmoins de toucher le budget de la sécurité sociale et Medicare, l’assurance maladie réservée aux personnes âgées. Il n’a pas apporté plus de détails quant aux coupes budgétaires envisagées.
Concernant la politique monétaire, S. Bessent a rappelé son attachement à l’indépendance de la Fed. Il a par ailleurs insisté sur la priorité stratégique de maintenir le rôle du dollar comme première monnaie de réserve de valeur à l’échelle mondiale.
Sur les sujets de politique commerciale, S. Bessent prévoit, dans le sillage des annonces faites par D. Trump, des hausses de droits de douane, qui selon lui ne créeront pas d’inflation aux Etats-Unis. Il justifie le recours à cet instrument pour : i) répondre aux pratiques commerciales anticoncurrentielles (« unfair trade practices ») pratiquées par certaines puissances rivales, en particulier par la Chine, ii) augmenter les recettes de l’Etat (« revenue raiser »), notamment pour financer la reconduction des baisses d’impôts du TCJA, et iii) négocier des objectifs politiques sur la scène internationale.
Sur le volet financier, S. Bessent a rappelé la résilience des marchés financiers américains, qui représentent l’un des principaux atouts de l’économie américaine. Il juge le système bancaire résilient, composé de banques largement voir sur-capitalisées (« Banking system is well capitalized perhaps over-capitalized »). En conséquence, S. Bessent a laissé entendre qu’il œuvrerait en faveur de l’allègement de la règlementation prudentielle bancaire, qui fait peser des contraintes excessives sur les marges de manœuvre des banques. Selon lui, le rehaussement des exigences prudentielles aurait par ailleurs conduit à une sur-représentation des plus grandes banques dans le paysage bancaire et au développement de l’intermédiation financière non-bancaire (shadow banking) au détriment du réseau des moyennes et petites banques (small banks, small regional banks, community banks) qu’il souhaiterait favoriser. Par ailleurs, S. Bessent reconnaît, au même titre que le camp démocrate, que les taux d’intérêts appliqués aux cartes de crédit sont trop élevés, envisageant leur plafonnement à 10 %. Enfin, interrogé sur les monnaies digitales de banques centrales (Central Bank Digital Currency – CDBC), il a rappelé l’inutilité d’un tel projet aux Etats-Unis, rejetant toute initiative en la matière.
BlackRock quitte l’alliance des gestionnaires d’actifs engagés contre le changement climatique
Le groupe américain BlackRock, premier gestionnaire d’actifs au monde (11 500 Md USD d’actifs sous gestion), a annoncé le 12 janvier sa sortie de la Net Zero Asset Managers initiative (NZAM), deux ans après le retrait de Vanguard fin 2022.
La NZAM est un groupe de gestionnaires d’actifs qui s’engagent à mettre en œuvre une stratégie compatible avec l’objectif de neutralité des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050. Le lendemain de l’annonce de la sortie de BlackRock, le groupe annonçait suspendre ses activités.
Après une annonce similaire exprimée par les plus grandes banques américaines fin décembre 2024 et début janvier 2025, ce désengagement fait suite à la pression continue exercée depuis plusieurs années par le parti républicain, qui avait donné lieu à plusieurs actions (i) de désinvestissements de la part des Etats Républicains ou (ii) de poursuites judiciaires.
Ces Etats, qui dénoncent l’influence et la poursuite d’un programme politique progressiste qu’ils estiment contraire aux obligations fiduciaires des sociétés de gestion, ont adopté des régulations anti‑ESG interdisant aux fonds de pension publics d’adopter des considérations extra-financières dans leurs décisions d’investissement. Dès lors, les Etats concernés ont annoncé des désinvestissements de leurs fonds de pension publics auprès des société de gestion appuyant leur stratégie sur des critères ESG.
Depuis 2021, 12 Md USD d’encours ont été ainsi retirés par les États républicains à BlackRock. Par conséquent, dès juin 2023, Larry Fink, CEO de BlackRock, avait annoncé qu’il ne ferait plus référence au terme ESG dans la stratégie du fonds, déplorant une politisation du terme trop importante. En 2024, 12 fonds ESG ont été liquidés aux Etats-Unis, dont 5 fonds gérés par BlackRock.
Le 27 novembre 2024, 11 États républicains ont lancé des poursuites judiciaires à l’échelle fédérale contre BlackRock, State Street et Vanguard au motif d’une prétendue entente visant à limiter l’approvisionnement en charbon et conduisant à l’augmentation du prix de la matière première.
Situation des marchés
Sur la semaine écoulée (de vendredi à jeudi), l’indice S&P 500 a progressé de +0,8 %, atteignant 5 937.
Sur cette période, les rendements des obligations souveraines américaines (Treasuries) à 2 ans et à 10 ans ont tous deux baissé de ‑0,1 point, à 4,2 % et 4,6 % respectivement.
Les marchés financiers ont connu d’importantes baisses à la suite de la publication des chiffres solides du marché du travail qui ont fait craindre un durcissement de la politique monétaire (‑1,5 % pour le S&P 500 à l’ouverture le 10 janvier et +0,1 point pour les taux obligataires souverains à 2 ans et à 10 ans). Une inflation sous-jacente en baisse a permis un rebond des marchés actions et la baisse des rendements obligataires (‑0,2 point pour les taux à 2 ans et à 10 ans).
Brèves
- Travis Hill, l’un des deux vice-présidents de la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC) d’affiliation républicaine pressentis pour succéder à l’actuel président, a défendu le 10 janvier un allègement de la réglementation financière. Il estime qu’une nouvelle proposition de transposition de Bâle III globalement neutre en capital pour les banques serait une bonne base de travail et pourrait être déposée en 2025. De plus, la FDIC devrait d’après lui se montrer plus ouverte aux innovations technologiques, pour permettre aux banques d’évoluer avec leur temps (partenariats avec des Fintech, tokenisation etc.), tout en promouvant des règles de solidité financière. En outre, il critique la tendance à l’exclusion bancaire (« debanking ») fondée sur une supposée appartenance politique ou religieuse, et dénoncée par l’industrie des crypto-actifs, et soutient une révision de la loi sur le secret bancaire. Enfin, le changement climatique ne représentant selon lui pas un danger existentiel pour les banques, et la politique environnementale ne faisant pas partie des attributions de la FDIC, il demande que cette dernière quitte le réseau international de banques centrales engagées en faveur du verdissement du système financier, le Network for Greening the Financial System (NGFS).
- Le 13 janvier, le Consumer Financial Protection Bureau, organe fédéral chargé de la protection des consommateurs, a proposé une règle visant à interdire l’usage de clauses contractuelles enfreignant les droits des consommateurs, et pourtant couramment identifiées par la CFPB dans ses enquêtes : (i) les clauses contraires aux lois fédérales ou étatiques, (ii) l’exclusion de clients sur la base des critiques adressées aux établissements financiers, ou de leurs opinions politiques ou religieuses, (iii) la modification unilatérale des clauses du contrat en défaveur du client, (iv) les clauses forçant les clients à une forme de plaider coupable. Les commentaires sont attendus avant le 1er avril.