Un nouveau cadre pour relancer les renouvelables, le gaz et le nucléaire.
I. Le Vietnam a pris d’ambitieux engagements de décarbonation dans un contexte de forte croissance de la consommation.
Lors de la COP 26, le Vietnam s’est engagé à décarboner entièrement son économie d’ici 2050 et à se passer du charbon durant la décennie 2040. Ces engagements ont été renforcés suite à la signature en décembre 2022, d’un Partenariat pour une transition énergétique juste (JETP), avec le G7, la Norvège et le Danemark. Dans ce cadre, le Vietnam s’est engagé à avancer à 2030 (contre 2035, selon les objectifs internes que s’était initialement fixés le pays) le pic d’émissions du secteur de la production d’énergie et à en réduire considérablement le niveau (170 Mt EqCO2 d’émissions annuelles au lieu de 240 Mt)[i]. Pour atteindre cet objectif, il est prévu que les énergies renouvelables représentent 47% du bouquet énergétique en 2030 et 67% en 2050. Enfin, en 2023, dans son 8e Plan directeur de développement de l'électricité (PDP8), le gouvernement a décidé de réduire la part des centrales à charbon dans l’approvisionnement en électricité à 20% en 2030, puis à 0% en 2050.
Ces objectifs s’inscrivent dans un contexte de forte croissance économique du Vietnam qui tire la consommation d’électricité. Entre 2010 et 2023, la consommation électrique a crû de 8,5% par an en moyenne. Tandis que les dernières prévisions économiques font état d’une croissance de 6-6,5% en moyenne dans les prochaines années, la question de l’approvisionnement électrique est un enjeu politique (stabilité sociale) et économique (attractivité des IDE) capital. Pour faire face à cette demande exponentielle, la Banque Mondiale estime que la capacité installée, qui s’élevait fin 2023 à 80,5 GW, devra être doublée tous les 10 ans.
L’incapacité d’accroitre la production dans des proportions suffisantes en raison d’un cadre réglementaire peu attractif pour les producteurs d’électricité privés et de la vétusté du réseau de transmission/distribution ont conduit à des coupures et à un recours accru au charbon. Au cours de l’été 2023, les coupures d’électricité ont coûté au pays 0,3% de PIB. Pour satisfaire la demande, le Vietnam a été contraint de recourir davantage à ses centrales au charbon qui ont assuré 47% de la production en 2023 contre 37% en 2022. Cette part est passée à 57% au premier semestre 2024. Ainsi, en 2023, les importations vietnamiennes de charbon ont augmenté de 63%.
Les difficultés dans la décarbonation du bouquet énergétique et les risques de coupures pendant la saison sèche inquiètent les grands investisseurs étrangers qui ont demandé aux autorités vietnamiennes de prendre les décisions nécessaires pour développer la production électrique décarbonée. Ainsi, en 2023, Intel a choisi la Malaisie pour son projet d’extension d’usine qui devait être initialement implantée au Vietnam. Cette décision a constitué pour les autorités vietnamiennes un réveil salutaire sur la nécessité d’agir.
II. Un nouveau cadre législatif et réglementaire pour accélérer les projets gaziers et d’énergies renouvelables
En 2023, la génération électrique à base de renouvelables et celle à partir de gaz, considéré comme une énergie de transition, n’ont représenté que 13% et 9% du fait de contraintes réglementaires limitant la capacité d’action du ministère de l’Industrie et du Commerce (MoIT) pour lancer de nouveaux projets. De même, bien que le pays ait de grandes ambitions dans le domaine de l’éolien offshore, l’absence de cadre réglementaire clair a conduit Orsted et Equinor, deux leaders mondiaux, à se retirer du Vietnam. Enfin, concernant les projets solaires, le Vietnam était devenu en 2019 le premier producteur d’Asie du sud-est grâce à des tarifs de rachat très attractifs. Toutefois l’incapacité du réseau de transmission/distribution à intégrer cette énergie intermittente et à la transporter du sud du pays (excédentaire) vers le nord (déficitaire), notamment, a conduit le régulateur à ralentir le développement des nouveaux projets. En conséquence, selon EVN, 220 centrales électriques basées sur des énergies renouvelables n’étaient pas utilisées à capacité en 2023.
Face à cette situation, les autorités vietnamiennes ont pris des mesures importantes en 2024 :
(a) Le 1er avril, le Vice Premier Ministre a approuvé un plan d'investissement prioritaire de l'industrie jusqu'en 2030 qui prévoit notamment de porter la capacité totale de production d'énergie thermique au gaz de 7 GW à 30,5 GW ; celle d’énergie hydroélectrique de 22,9 WW à 29 GW, celle d'énergie éolienne terrestre de 5,9 à 21,8 GW et d’augmenter la capacité totale d'énergie solaire sur les toits (autoproduction et autoconsommation) de 2,6 GW. Par ailleurs, le plan prévoit de développer de nouvelles formes de production : énergie hydroélectrique par pompage à hauteur de 2,4 GW et énergie éolienne en mer à hauteur de 6 GW. Enfin, les autorités vietnamiennes ont prévu d’importer 5 000 MW d'électricité du Laos en 2030.
b) Dans le domaine de l’énergie solaire, via un décret de juillet 2024 les entreprises peuvent désormais acheter directement de l’électricité aux producteurs privés (Direct Power Purchase Agreement, DPPA), mesure qui étaient attendue par les grands investisseurs étrangers afin de décarboner leur production. Par ailleurs, un décret gouvernemental publié en octobre 2024 a clarifié les conditions d’utilisation des panneaux solaires sur les toits, autorisant les particuliers et les industriels à revendre jusqu’à 20% de leur production pour réinjection sur le réseau national au prix du marché.
c) Enfin, la nouvelle loi sur l’électricité votée par l’Assemblée nationale en novembre 2024 contient des dispositions permettant au gouvernement de négocier les contrats d’achat d’électricité avec les investisseurs privés. Bien que manquant encore de détails (des circulaires et des décrets doivent être publiés dans les prochaines semaines), elle crée un cadre propice au développement des projets de GNL, elle introduit des mécanismes particuliers pour l’éolien en mer ainsi que la possibilité de lancer des projets dans le domaine de l’hydrogène et de l’ammoniac. La loi défini également les modalités de fixation des prix pour l’exportation d’électricité. Elle dispose que les contrats avec les investisseurs étrangers pourront être rédigés en anglais. Enfin, la loi confère au PM la possibilité de valider des « projets électriques d’urgence » lorsque ceux-ci sont critiques pour garantir l’approvisionnement du pays.
III. Le Vietnam s’engage dans la relance de son programme nucléaire.
L’une des grandes avancées de la nouvelle loi votée en novembre concerne la relance de l'énergie nucléaire. La loi prévoit que la planification et le développement de l'énergie nucléaire devront être cohérents avec le PDP8 afin d’assurer la sécurité de l'approvisionnement. Dans le même, temps, le Bureau politique du Parti communiste a approuvé la relance du projet de centrale nucléaire à Ninh Thuan. Pour mémoire, ce site avait été retenu pour accueillir la première centrale du pays, dans le cadre du programme que les autorités vietnamiennes avaient lancé en 2010, avant de le suspendre en 2016, notamment pour des raisons de coût et de sûreté suite à l’accident de Fukushima. A l’époque, le pays avait décidé d’attribuer les deux premières tranches (Ninh Thuan 1) de son programme nucléaire (2 x 1 000 MW) à une filiale de Rosatom, tandis que le Japon devait construire les troisième et quatrième tranches (Ninh Thuan 2). Les nouveaux choix technologiques des autorités vietnamiennes ne semblent pas encore arrêtés. Ces dernières évoquent régulièrement leur intérêt pour les SMR sans fermer la porte aux réacteurs de grande puissance. La volonté du pays de poursuivre son développement dans le domaine des semi-conducteurs et d’investir massivement dans l’intelligence artificielle va induire des besoins en électricité verte additionnels.
Aiguillonné par les investisseurs étrangers, grands consommateurs d’électricité et face aux retards pris dans l’augmentation des capacités de production électrique, le gouvernement a décidé des mesures réglementaires et législatives qui vont dans le bon sens. La clarification du cadre réglementaire en cours induit de nouvelles opportunités pour les entreprises, notamment françaises, qui souhaiteraient s’implanter au Vietnam. La prochaine étape sera maintenant la révision du PDP 8, qui doit être soumise par le ministère de l’Industrie et du Commerce d’ici la fin du mois de février 2025. Celui-ci doit clarifier de nombreux points en suspens pour les projets de centrales à gaz, ainsi que sur la place accordée à l’énergie nucléaire dans la nouvelle planification.
[i] Selon les objectifs que le Vietnam s’était fixé initialement à lui-même et non dans de le cadre d’engagements internationaux. En contrepartie, au moins 15,5 Mds USD de financements devraient être mobilisés par la communauté internationale et le secteur privé (50-50) au cours des trois à cinq prochaines années.