Washington Wall Street Watch n°2024-45
Réflexions hebdomadaires sur les principaux évènements financiers, institutionnels ou règlementaires, aux Etats-Unis.
Sommaire
Conjoncture
- Le marché du travail efface en novembre le nombre anormalement bas de créations d’emplois d’octobre
- Le processus de désinflation est en pause depuis août
Services financiers
- Le FSOC publie son rapport annuel sur la stabilité financière
- Le CFPB encadre les frais de découvert facturés par les grandes banques
Situation des marchés
Brèves
Conjoncture
Le marché du travail efface en novembre le nombre anormalement bas de créations d’emplois d’octobre
Selon le rapport mensuel du Bureau of Labor Statistics (BLS) sur la situation du marché du travail publié le 6 décembre, les créations nettes d’emplois s’élèvent à +227 000 en novembre, au-dessus des attentes du marché (+200 000). Le BLS a également révisé à la hausse les chiffres du mois de septembre (+255 000 révisé de +32 000). Ces chiffres attestent que le marché du travail reste solide et que les données pour le mois d’octobre (+36 000, révisé de +24 000) étaient un accident lié aux grèves chez Boeing et aux ouragans Helene et Milton. Le marché du travail poursuit sa normalisation et le nombre moyen de créations d’emplois sur les trois derniers mois atteint ainsi +173 000, proche de la moyenne des créations d’emplois sur la période 2017-2019 (+178 000). En revanche, les créations d’emplois en moyenne sur les trois derniers mois dans le secteur privé restent inférieures à la moyenne 2017-2019 (+138 000 contre +167 000). Le taux de chômage augmente légèrement à 4,2 % en novembre (contre 4,1 % en octobre et un point bas de 3,4% en avril 2023), sous l’effet principalement de l’entrée d’immigrés sur le marché du travail et d’un ralentissement de la demande de travail. Le taux d’emploi baisse en novembre à 59,8 % (‑0,6 point sur un an).
Le processus de désinflation est en pause depuis août
D’après le rapport mensuel du Bureau of Labor Statistics (BLS) sur l’évolution de l’indice des prix à la consommation publié le 11 décembre, l’inflation totale augmente pour la première fois sur un mois depuis juillet (+0,3 % en novembre après +0,2 % depuis juillet) et sa composante sous-jacente se maintient à un niveau dynamique depuis août (+0,3 %). Sur un an, l’inflation totale a progressé à +2,7 % (après +2,6 % en octobre et +2,4 % en septembre), et sa composante sous-jacente s’établit pour le troisième mois consécutif à +3,3 %. À l’exception des produits médicaux qui baissent (-0,1 % après -0,2 % en évolution mensuelle) et des transports qui stagnent, l’ensemble des composantes sous-jacentes de l’IPC ont augmenté en septembre. Les loyers augmentent cependant moins que le mois précédent (+0,3 % en novembre contre +0,4 % en octobre) mais comptent toujours pour 40 % de l’inflation totale. Les prix de l’énergie ont légèrement progressé sur un mois (+0,2 % sur un mois mais ‑3,2 % sur un an) et ceux de l’alimentation ont cru plus fortement (+0,4 % sur un mois et +2,4 % sur un an). D’après le rapport publié par le BLS le 12 décembre, l’indice des prix à la production a progressé de +0,4% sur un mois (soit +3% sur un an, la plus forte hausse sur un an depuis février 2023) contre +0,3% en octobre. Cette hausse est cependant tirée largement par la hausse des prix de l’alimentation (notamment les prix des œufs à la suite d’une épidémie). En revanche, les prix des services, qui sont scrutés davantage par la Fed, augmentent plus faiblement en novembre qu’en octobre (+0,1% contre +0,3%). Selon une enquête de la Fed de New York, en novembre, les anticipations d’inflation augmentent de +0,1 point à horizon un an (3,0 %) trois ans (+2,6 %) et cinq ans (+2,9 %).
Services Financiers
Le FSOC publie son rapport annuel sur la stabilité financière
Le Financial Stability Oversight Council (FSOC), qui réunit les principaux régulateurs bancaires et financiers (Fed, SEC, CFTC, FDIC, OCC, CFPB, FHFA), a publié le 12 décembre son rapport annuel sur la stabilité financière. Le rapport, qui présente les vulnérabilités du système financier, distingue trois grandes catégories de risques : (i) les risques financiers, (ii) les défaillances des institutions financières et (iii) les risques transverses, d’ordre opérationnel ou technologique.
Sur le plan des risques financiers, le FSOC met en exergue les risques de crédit sur les expositions des banques à l’immobilier commercial (Commercial Real Estate – CRE), en particulier sur le segment des bureaux, qui observe des taux de vacance record en 2024. Le rapport insiste par ailleurs sur les risques liés aux crypto-actifs, en hausse depuis le lancement en janvier 2024 de 11 fonds indiciels cotés (Exchange Traded Funds – ETF) investis directement en Bitcoin, ce qui entraîne une exposition croissante des investisseurs institutionnels à cette classe d’actifs. A ce titre, les auteurs enjoignent le Congrès d’instaurer une régulation des stablecoins et du marché au comptant des crypto-actifs non-assimilables à des titres financiers (ces derniers relevant de la régulation de la SEC). En outre, le FSOC souligne l’impact des risques physiques liés au changement climatique sur le système financier, en particulier dans le secteur de l’assurance dommages. La hausse des tarifs et le désengagement des assureurs de certains territoires (Californie, Floride, Louisiane) a par ailleurs des impacts négatifs sur les marchés immobiliers locaux.
Le rapport aborde ensuite les vulnérabilités afférentes aux institutions financières.
Si les régulateurs soulignent la résilience du système bancaire, soutenue par la profitabilité élevée du secteur et des exigences prudentielles adaptées (ratios de fonds propres, coussins de liquidité), plusieurs risques nuancent le propos, à savoir (i) la hausse des coûts de financement, (ii) le risque de fuite des dépôts non-assurés (iii) le risque de crédit des expositions à l’immobilier commercial et (iv) la dégradation de la qualité des crédits à la consommation. A ce titre, le FSOC appelle les agences à poursuivre leurs efforts en matière de plans de refinancement d’urgence (contingency funding plans), et à finaliser les discussions concernant la transposition des accords prudentiels bancaires de Bâle III.
Le FSOC se penche par ailleurs sur les institutions financières non-bancaires. Il recommande notamment de renforcer le suivi des chambres de compensation et de travailler sur le sujet de leur résolution. Dans le secteur de la gestion d’actifs, le FSOC salue la proposition de renforcement de la liquidité des fonds ouverts (open-end funds) publiée par la SEC, ainsi que les amendements adoptés en matière de reporting de ces entités. Le FSOC entend également poursuivre ses travaux sur les vulnérabilités liées aux fonds de gestion alternative (hedge funds).
Outre l’examen des institutions financières, le rapport met l’accent sur plusieurs risques transverses. Le FSOC souligne en particulier la croissance du nombre d’incidents de cybersécurité en lien avec l’intensification des conflits géopolitiques, et recommande (i) de mener davantage d’exercices de résilience, (ii) d’améliorer le partage d’informations entre entreprises et régulateurs, (iii) de mieux encadrer l’utilisation de services de cloud et (iv) de travailler à la prévention des risques liés à des attaques reposant sur des technologies quantiques. A ce titre, les régulateurs affichent leur soutien aux efforts du groupe d’experts cybersécurité du G7. Le FSOC cible par ailleurs les risques liés au recours des institutions financières à des fournisseurs de services tiers (third-party service providers), tels que les Fintechs, concernant les enjeux de conformité et de protection des données. Enfin, le FSOC prévoit d’accroître ses capacités d’expertise sur l’usage des technologies d’intelligence artificielle (IA) afin d’élaborer un cadre règlementaire pertinent en la matière.
Le CFPB encadre les frais de découvert facturés par les grandes banques
Le 12 décembre, le Consumer Financial Protection Bureau (CFPB) a finalisé une règle visant à encadrer les frais de découvert facturés par les banques dont les actifs dépassent 10 Md USD, afin de limiter les facturations abusives des frais de découvert et de soumettre ces prestations à l’ensemble des lois sur la protection financière des consommateurs, dont elles étaient jusqu’à présent exemptées.
Sous la nouvelle règle, les banques couvrant les découverts de leurs clients auront le choix (i) de facturer un montant forfaitaire de 5 USD par opération qui entraîne un découvert (contre une moyenne de 35 USD actuellement) (ii) de facturer des frais de découvert strictement encadrés (courtesy service), couvrant uniquement leurs coûts (break-even standard) ou (iii) de formaliser contractuellement le découvert comme un crédit accordé au client. Dans ce dernier cas, les banques pourront proposer des crédits qui leurs seront profitables, tant qu’ils sont conformes aux règles de droit commun sur le crédit (The Truth in Lending Act – TILA), notamment en termes de transparence sur les coûts (charge d’intérêt, frais etc.) et de protection des consommateurs (établissement du profil de risque de l’emprunteur).
La règle cible environ 175 établissements bancaires. Le CFPB estime que cette règle permettrait aux 23 millions de ménages concernés par les frais de découvert d’économiser environ 225 USD par an (soit 5 Md USD à l’échelle nationale). La règle entrera en vigueur le 1er octobre 2025.
Situation des marchés
Au cours de la semaine écoulée (de vendredi à mercredi), l’indice S&P 500 a baissé de -0,5 %, à 6 051 et le Nasdaq Composite a progressé de +0,8% à 19 903.
Les rendements des obligations souveraines américaines (Treasuries) à 2 ans et à 10 ans ont progressé de +0,05 point et +0,16 point respectivement pour atteindre 4,20 % et 4,34 %, en réaction à une hausse de l’indice des prix à la production deux fois supérieure à celle anticipée par les marchés.
Brèves
- Le 5 décembre, Donald Trump a annoncé la nomination de David Sacks, co-fondateur de la société de capital-investissement Craft Ventures et ancien directeur exécutif de la société de paiements Paypal, aux fonctions de « Tzar de l’intelligence artificielle et des crypto-actifs » à la Maison Blanche. D. Sacks sera chargé de guider la politique de l’administration pour ces deux domaines jugés essentiels par D. Trump pour renforcer la compétitivité américaine. C’est la première fois qu’un Président nomme un conseiller spécifiquement chargé de ces enjeux.
- Le 5 décembre, la Commodity Futures Trading Commission (CFTC), le régulateur des marchés de dérivés, a publié un avis (staff advisory) rappelant, en vertu du Commodity Exchange Act (CEA), les règles que les entités supervisées (bourses de produits dérivés, chambres de compensation de produit de dérivés, plateformes de négociation de swaps, registres centralisés de données sur les swaps) doivent appliquer à leurs outils d’intelligence artificielle (IA) pour en assurer la conformité. L’avis précise notamment que ces entités doivent respecter les règles relatives à la protection des investisseurs, aux systèmes de gouvernance, et aux mécanismes de gestion des risques et de protection des données. Il intègre par ailleurs les commentaires adressés par l’industrie en réponse à la consultation publique sur les usages de l’IA (Request for Comment – RFC) ouverte par la CFTC en janvier 2024.