Washington Wall Street Watch n°2024-42
Réflexions hebdomadaires sur les principaux évènements financiers, institutionnels ou règlementaires, aux Etats-Unis.
Sommaire
Conjoncture
- Les ventes au détail bondissent
- Le recensement des emplois en octobre était affecté par les grèves et les catastrophes naturelles
Politiques Macroéconomiques
- La Maison-Blanche demande un budget supplémentaire lié aux catastrophes naturelles
Services financiers
- Le CFPB renforce la supervision des activités de paiement des géants du numérique
- Les régulateurs prudentiels ont été auditionnés par la Chambre des représentants
Situation des marchés
Conjoncture
Les ventes au détail bondissent
Selon les données du Census Bureau, les ventes au détail ont progressé de +0,4 % en octobre après +0,8 % en septembre (révisé à la hausse de +0,4 point), dépassant les attentes du marché (+0,3 %). Sur douze mois glissants, les ventes au détail ont progressé de +2,8 % (après +2,0 %).
En octobre, les ventes ont été particulièrement dynamiques dans l’électronique (+2,3 %), les véhicules (+1,6 %) et les restaurants et bars (+0,7 %) et ont reculé chez les détaillants divers (‑1,6 %), dans l’ameublement (-1,3 %), les soins de santé (-1,1 %) et les produits de loisir (sport, musique et livres) (‑1,1 %).
Le recensement des emplois en octobre était affecté par les grèves et les catastrophes naturelles
Le Bureau of Labor Statistics (BLS) a publié le 19 novembre le rapport sur le marché du travail au niveau des États. La publication permet de compléter le rapport au niveau national publié le 1er novembre qui indiquait que les créations nettes d'emplois étaient bien inférieures aux attentes du marché (+12 000 en octobre contre +113 000 attendus) du fait notamment des catastrophes naturelles (ouragans Helene et Milton) et des mouvements de grève.
Selon ce nouveau rapport, le taux de chômage a baissé dans 3 États, augmenté dans un 1 État et est resté inchangé dans 46 autres États. Dans l’ensemble, la moyenne nationale est restée inchangée.
Le nombre de personnes en emploi a fortement baissé en octobre dans les États touchés par les ouragans et le mouvement de grève, notamment en Floride (‑38 000) et dans l’État de Washington (‑35 900). Tout en soulignant les difficultés à quantifier ces effets, le rapport souligne un taux de réponse plus faible des entreprises, qui serait davantage lié à la période d’enquête raccourcie qu’aux catastrophes naturelles, et la non prise en compte des grévistes dans l’emploi.
Les marchés s’attendent à une normalisation des chiffres de novembre, dont la publication est prévue le 6 décembre.
Politiques Macroéconomiques
La Maison-Blanche demande un budget supplémentaire lié aux catastrophes naturelles
La Maison-Blanche a publié le 18 novembre une lettre adressée au Speaker de la Chambre des représentants afin de demander un budget supplémentaire de 98,6 Md USD pour les secours liés aux catastrophes naturelles. En particulier, les États du sud (Floride, Géorgie, Caroline du Nord et Caroline du Sud) ont été affectés par les ouragans Helene et Milton.
La Maison-Blanche demande au Congrès des fonds supplémentaires pour l’Agence fédérale de gestion des urgences (Federal Emergency Management Agency – FEMA) (40 Md USD), les fonds d’aides aux agriculteurs (21 Md USD) et aux logements (12 Md USD), le Département du Transport pour la réparation et la reconstruction des infrastructures (8 Md USD), l’Agence de protection de l’environnement (EPA) pour assurer l’accès à l’eau potable (4,1 Md USD), le Département des services humains et de la santé pour les médicaments (2,7 Md USD), le programme de prêts en cas de catastrophe de la Small Business Administration (SBA) (2,3 Md USD) et le programme national d’assurance contre les inondations (National Flood Insurance Program – NFIP) du Département du Trésor (Treasury).
Services Financiers
Le CFPB renforce la supervision des activités de paiement des géants du numérique
Le 21 novembre, le Consumer Financial Protection Bureau (CFPB), l’agence chargée de la protection des consommateurs en matière financière, a finalisé une règle visant à renforcer la supervision des grands établissements non bancaires proposant des services de paiements en ligne (portefeuilles numériques, applications de paiements et de transfert de fonds, etc.). C’est la sixième règle publiée par le CFPB élargissant la compétence de supervision de l’agence sur les plus « grands participants » (larger participants) d’un marché de produits ou de services financiers destinés aux ménages.
Sous la nouvelle règle, le CFPB sera habilité à engager proactivement des enquêtes (proactive examinations) sur les sociétés de paiement réalisant plus de 50 M de transactions par an pour s’assurer qu’elles respectent les lois fédérales en matière de protection financière des consommateurs. Le CFPB disposera ainsi d’une compétence de supervision équivalente pour traiter les banques, déjà soumises à ces exigences, et les grandes sociétés de paiement en ligne. Le CFPB estime que la règle cible 17 grandes entreprises technologiques (« Big Techs » : Google, Apple, Paypal, Block etc.), qui traitent en moyenne 13 Md de transactions par an et représentent 88 % des parts du marché des paiements en ligne aux États-Unis.
Les « Big Techs » concernées devront notamment s’assurer qu’elles respectent les règles fédérales en matière i) de confidentialité des données des consommateurs (privacy and surveillance), ii) de lutte contre les erreurs et les fraudes (errors and fraud), alors qu’elles sont régulièrement suspectées de se décharger du suivi des litiges des transactions en attribuant la responsabilité aux banques et aux sociétés de cartes de crédit, et iii) de débancarisation (debanking), pour lutter contre les vices de procédure dans les radiations de clients.
Rohit Chopra, Président du CFPB, souligne l’importance de réhausser les exigences de supervision des « Big Techs », dont les services sont devenus essentiels dans le quotidien des ménages. Le Bank Policy Institute soutient la règle de longue date, tandis que l’industrie de la tech et les élus républicains déplorent une règle qui nuirait à l’innovation. La règle entrera en vigueur 30 jours après sa publication.
Les régulateurs prudentiels ont été auditionnés par la Chambre des représentants
Le comité des services financiers de la Chambre des représentants a auditionné le 20 novembre les directeurs des agences de régulation prudentielle.
Dans son propos liminaire, le vice-président chargé de la supervision à la Fed Michael Barr a présenté les résultats du rapport semestriel de la Fed sur la régulation et la supervision, publié le 15 novembre. La Fed y indique que le système bancaire américain reste dans l’ensemble sain et solide : les ratios de capital augmentent légèrement (99% des banques sont jugées bien capitalisées) et les résultats des stress-tests sont satisfaisants ; les conditions de financement et de liquidité sont stables, avec une légère hausse des dépôts et une légère baisse des dépôts non-assurés (30% des actifs, au plus bas depuis 2019).
La Fed reste néanmoins très vigilante vis-à-vis de l’augmentation du taux de défaillance de certains prêts : en premier lieu les crédits hypothécaires commerciaux, en particulier dans les grandes villes, dont le taux de défaillance poursuit sa hausse (11% au T2 2024, contre 9% au T4 2023), et dans une moindre mesure les prêts garantis par des logements collectifs (multi-family housing), affectés par la baisse de la valeur de certains logements.
Le président de la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC) Michael Gruenberg de son côté a indiqué que les accords entre les banques et les fintechs leur fournissant des solutions technologiques de dépôt soulèvent des inquiétudes : la brutale interruption de service de la fintech Synapse en avril 2024 avait privé de nombreux déposants de l’accès à leur compte. Le niveau du Deposit Insurance Fund (DIF), géré par la FDIC, qui assure la garantie des dépôts, a dépassé son précédent pic, atteint avant la crise bancaire du printemps 2023 (à 129 Md USD au 30 juin 2024).
En réponse aux questions du comité sur l’évolution de la gouvernance des agences à l’issue des élections, les responsables interrogés ont apporté des réponses différentes. M. Barr a affirmé – suivant l’exemple de son président J. Powell - qu’il comptait servir jusqu’à la fin de son mandat dont le terme est fixé au mois juillet 2026, y compris si sa démission était sollicitée par le président-élu. Le président de la National Credit Union Administration (NCUA), chargé de la supervision des banques mutualistes américaines (Credit Unions), poursuivra également sa mission jusqu’en 2027, 6 ans après sa nomination par le Président Biden.
M. Gruenberg (FDIC) a confirmé qu’il démissionnerait dès la fin du mandat du Président Biden, le 19 janvier, sans attendre la confirmation par le Sénat de son remplaçant, de même que Michael Hsu, le Comptroller of the Currency par interim, dont le bureau est organiquement lié au département du Trésor. Le Président de la Securities and Exchange Commission (SEC) Gary Gensler a quant à lui annoncé le 21 novembre qu’il quitterait ses fonctions le 20 janvier.
Situation des marchés
Au cours de la semaine écoulée (de vendredi à jeudi), l’indice S&P 500 a progressé de +0,6 %, à 5 949 et l’indice Nasdaq Composite a augmenté de +0,2 % à 18 972.
Les rendements des obligations souveraines américaines (Treasuries) à 2 ans et à 10 ans se sont stabilisés respectivement à 4,35 % et 4,18 %.
Les marchés marquent le pas après avoir connu d’importants mouvements à l’issue des élections du 5 novembre.
Brèves
- Le 15 novembre, 18 États républicains ont engagé des poursuites judiciaires auprès de la Court for the Eastern District of Kentucky contre la SEC pour contester son autorité à réguler les crypto-actifs. Les États contestent « l’assertion unilatérale » de l’agence consistant à associer les crypto-actifs à des titres financiers traditionnels (actions, obligations – « securities »), la conduisant à leur appliquer un cadre juridique similaire. Les États souhaitent obtenir de la cour un jugement conférent un statut juridique différencié aux crypto-actifs afin de les soumettre à une supervision partagée entre la SEC et la CFTC, régulateur des marchés de dérivés.
- Au troisième trimestre 2024, selon les données de la FDIC, l’autorité de résolution et de garantie des dépôts des banques, les comptes de trading des banques américaines (trading books) ont atteint 1 000 Md USD, soit leur niveau le plus élevé depuis la crise financière de 2008. Ces actifs sont principalement concentrés au sein des banques d’importance systémique (GSIB’s), notamment JP Morgan, qui en détient plus de la moitié (506 Md USD), suivie par Citigroup, Bank of America, Wells Fargo, Goldman Sachs et Morgan Stanley. Selon des analystes de BankRegData, cette évolution montre l’intérêt des banques à reprendre des activités de tenue de marché.
- Le 19 novembre, les réseaux de cartes bancaires Visa et Mastercard, qui traitent à eux seuls plus de 85 % des volumes de paiement par carte, ont été auditionnés par le comité judiciaire du Sénat pour traiter des conséquences de leur quasi-duopole sur le montant des frais d’interchange (swipe fees) payés par les commerçants. Les sénateurs des deux camps ont reconnu l’absence de pouvoir de négociation des petites entreprises sur le niveau de ces commissions, et l’importance d’adresser la situation. Ils ciblent en particulier les commissions facturées sur les transactions par carte de crédit, particulièrement élevées (100 Md USD en 2023). Le sénateur Dick Durbin (D – Illinois) appelle à une réforme structurelle pour accroître la concurrence des réseaux de carte, en ligne avec la proposition du Sénat (Credit Card Competition Act) de 2023.
- Le 21 novembre, le Digital Asset Markets Subcommittee de la Commodity Future Trading Commission (CFTC), le régulateur des marchés de dérivés, a publié une recommandation invitant à privilégier, dans le cadre des transactions de produits de dérivés, des garanties qui ne sont pas de la trésorerie et qui mobilisent les technologies de registres distribués (digital ledger technology – DLT) de type blockchain. Selon l’agence, l’utilisation de ces technologies permettrait de résoudre les problématiques opérationnelles relatives aux garanties non monétaires.
- Le 21 novembre, un Juge fédéral de la Northern District Court of Texas a annulé une règle de la SEC adoptée le 6 février 2024, qui visait à encadrer les investisseurs pour compte propre dont les actifs sous gestion dépassent 50 M USD (dealer rule) et qui n'étaient pas préalablement enregistrés comme dealers auprès de la SEC. Pour mémoire, la règle prévoyait i) qu’ils s’enregistrent auprès de la SEC en tant que Dealer, et de Government Security Dealer lorsqu’ils interviennent sur le marché des Treasuries et ii) qu’ils se conforment à des exigences réglementaires et professionnelles (reporting, déontologie, etc.). Selon la Cour, la SEC ne dispose pas de l’autorité légale pour réguler ces acteurs.