Lettre économique d'AEOI - La structure des économies en AEOI
Les économies de l'Afrique de l'Est et de l'Océan Indien (AEOI) présentent des niveaux de richesse et des structures variés, mais elles partagent des défis communs en matière de diversification et de développement. Tandis que les pays plus riches, comme Maurice et les Seychelles, s'appuient sur des secteurs de services robustes, les nations plus pauvres, telles que le Burundi et la Somalie, dépendent de secteurs primaires à faible productivité. L'agriculture, bien que peu productive, reste cruciale dans la région, employant une part importante de la population et contribuant fortement aux exportations dans des pays comme le Kenya, l'Éthiopie et Madagascar. Le secteur des services, qui représente 48 % du PIB de l'AEOI, se distingue par son dynamisme, notamment dans le tourisme et le numérique. Le développement industriel reste limité, plusieurs pays se concentrant sur les industries extractives, ce qui les rend vulnérables à la volatilité des prix des matières premières. En outre, l'informalité généralisée et les inégalités de revenus élevées témoignent des défis de développement persistants, tout comme la dépendance aux transferts de fonds dans certaines économies. Bien que la diversification soit une priorité dans l’ensemble de l'AEOI, les progrès sont inégaux, en raison de conflits armés et de l'instabilité politique qui affectent plusieurs pays, mais aussi le déficit d'infrastructures et les marges de manœuvres budgétaires réduites.
Malgré des niveaux de richesse et des structures économiques très hétérogènes, les économies de l’AEOI partagent défis de diversification et de développement
Les économies de l’Afrique de l’Est et de l’Océan Indien (AEOI) présentent une hétérogénéité marquée, tant en termes de niveaux de richesse que de structure économique. Si certains pays comme Maurice et les Seychelles, avec un PIB par habitant élevé, s'appuient sur un secteur des services développé, par exemple dans le tourisme et les services financiers, d'autres, comme le Burundi et la Somalie, parmi les plus pauvres de la région, restent fortement dépendants de secteurs primaires peu productifs. Dans la région, le PIB par habitant en parité de pouvoir d'achat (PPA) est en moyenne nettement supérieur à celui de l’Afrique subsaharienne (7745 USD/habitant, contre 4836 USD/habitant en Afrique subsaharienne). Cette moyenne, influencée à la hausse par les niveaux de PIB élevés de Maurice et des Seychelles, masque néanmoins des disparités importantes qui témoignent des différentes trajectoires de développement.
Malgré sa faible productivité et son caractère majoritairement informel, l’agriculture demeure un pilier économique de l’AEOI. Bien que ce secteur ne représente que 28 %[1] de la valeur ajoutée régionale, il emploie une grande partie de la population active, notamment au Burundi, à Madagascar, en Éthiopie et en Tanzanie, où plus des deux tiers des habitants en dépende pour leur subsistance. La prévalence d’une agriculture de petite échelle, faiblement mécanisée et peu industrialisée, accroît la vulnérabilité de ces économies aux aléas climatiques. Les sécheresses de 2020 à 2022 ont ainsi sévèrement impacté l’Éthiopie, la Somalie et le Kenya, exacerbant l’insécurité alimentaire et la précarité des populations rurales. L'agriculture joue également un rôle crucial dans les exportations et l'apport de devises pour la région. Dans certains pays, les produits agricoles constituent les principales sources de recettes d'exportation : le thé au Kenya, le café en Éthiopie, ainsi que des produits de rente comme la vanille et le girofle à Madagascar et aux Comores.
Le secteur des services (48 % du PIB de l’AEOI, contre 50 % en Afrique subsaharienne), occupe une place croissante et dynamique dans l’économie régionale. Le secteur du numérique (TIC) illustre particulièrement ce dynamisme : au Kenya, des initiatives comme M-Pesa ont fait de services de mobile payment un levier d’inclusion financière, tandis que Maurice et le Rwanda s’appuient sur ce secteur pour diversifier davantage leurs économies. Le tourisme, pilier des économies des Seychelles, de Maurice, du Kenya, du Rwanda et de la Tanzanie, soutient fortement les exportations de services et l’emploi, mais rend ces pays vulnérables aux chocs externes, comme la crise de la covid-19. Djibouti, de son côté, tire parti de sa position géostratégique pour se positionner comme un hub logistique régional, fortement orienté sur ses échanges avec l’Éthiopie. Bien que Djibouti ait fortement investi dans des infrastructures portuaires et les zones franches et continue à le faire, la diversification de son économie, au-delà des services portuaires, reste un défi.
Le secteur industriel demeure globalement peu développé dans la majorité des pays de l’AEOI, représentant seulement 24 % de la valeur ajoutée régionale, contre 31 % en Afrique subsaharienne). Dans plusieurs pays de la région, comme l'Ouganda, le Soudan du Sud, le Soudan, la Tanzanie et l'Érythrée, l'industrie est largement dominée par le secteur extractif, avec une forte concentration sur les ressources pétrolières et minières. La Tanzanie et l'Érythrée exploitent par exemple principalement l'or et le cuivre, tandis que le Soudan est gros producteur d’or (sans doute l’un des premiers en Afrique), le Soudan du Sud peut compter sur ses réserves pétrolières, que développe également l’Ouganda, avec une entrée en production courant 2026. Cette spécialisation expose cependant ces économies de la région à la volatilité des prix des matières premières, mais aussi à l’environnement géopolitique (Soudan, Soudan du Sud…). La faiblesse de la gouvernance, la corruption, ainsi que des infrastructures déficientes freinent également le développement d’industries manufacturières à plus forte valeur ajoutée dans la région, ce qui accentue la dépendance aux importations de produits manufacturés.
Le taux élevé d'informalité dans la région AEOI, avec de l’ordre de 80% des emplois hors du secteur formel (mêmes proportions ailleurs en Afrique subsaharienne), reflète les défis persistants en matière de développement économique et de création d'emplois structurés. Cette informalité généralisée (à l’exception des Seychelles et de Maurice) s'accompagne pour certaines économies d'une dépendance aux transferts de fonds de la diaspora, qui représentent des parts significatives du PIB en Somalie (15 %), et dans une moindre mesure au Burundi (4,5 %) en l’Éthiopie (3,6 %), ainsi qu’au Kenya (3,8 %), où ils soutiennent directement la consommation privée. Parallèlement, les inégalités de revenus sont élevées, comme l’indique l'indice de Gini, avec une moyenne régionale de 0,40 (0,41 de moyenne en Afrique subsaharienne) et des pics dans des pays comme les Comores (0,45), le Rwanda (0,44) et l’Ouganda (0,43).
Une volonté politique et des efforts de diversification hétérogènes, avec des résultats disparates
Pour renforcer leur stabilité économique, les pays de l’AEOI ont tout intérêt à diversifier leurs activités, ce qui permettrait de réduire leur dépendance à un nombre restreint de domaines clés et de mieux se prémunir contre les chocs externes et les risques climatiques. Dans cette optique, les stratégies de diversification diffèrent selon les pays, en fonction de leurs ressources spécifiques et de leurs priorités nationales. Dans les économies insulaires, comme Maurice et les Seychelles, la diversification s’est surtout orientée vers le tourisme, les services financiers et le numérique. Maurice, qui a longtemps dépendu de l’agriculture, a pu développer une économie plus diversifiée, avec des secteurs comme le textile et les services financiers devenus des moteurs de croissance importants. Madagascar, pour sa part, mise sur ses ressources naturelles pour diversifier ses exportations, notamment dans les industries extractives et la production de produits de rente comme la vanille, tout en cherchant à renforcer la transformation locale.
Certains pays de l’AEOI, comme le Rwanda, se démarquent par des politiques volontaristes de transformation économique qui incluent la promotion de l’industrialisation et l’attraction des investissements étrangers. Le Rwanda a ainsi mis en place des réformes visant à améliorer l’environnement des affaires et à combattre la corruption, ce qui lui a permis d'attirer des capitaux étrangers et de diversifier ses exportations. Cette stratégie contraste avec celle de l’Éthiopie, qui, bien qu’ambitieuse, fait face à des obstacles structurels tels que des pénuries de devises et des coûts logistiques élevés, limitant l’impact des efforts. Addis Abeba, malgré des défis structurels, s'efforce de développer son économie au-delà de l’agriculture, en encourageant notamment la mise en place de parcs industriels thématiques destinés aux secteurs textile et manufacturier. En Tanzanie, la stratégie de diversification se concentre sur l’industrialisation, en particulier dans les industries agroalimentaires et manufacturières, afin de réduire la dépendance aux matières premières brutes et augmenter la valeur ajoutée des exportations. L’Ouganda, de son côté, a attiré des investissements directs étrangers significatifs dans le secteur pétrolier (TotalEnergies), porteurs, potentiellement, d’effets d’entrainement importants. Les autorités burundaises s'efforcent, quant à elles, de diversifier l’économie en investissant dans le secteur minier et en améliorant l'infrastructure pour stimuler le commerce et l'industrialisation. Ces efforts se heurtent toutefois à une réalité compliquée : l’accès à l’électricité, encore insuffisant pour développer une filière extractive, des marges de manœuvres budgétaires contraintes, et l’enclavement du pays.
La forte dépendance aux secteurs traditionnels dans l’AEOI témoigne également des défis structurels communs qui freinent la diversification. Les conflits armés (Soudan, Éthiopie), l’instabilité politique (notamment en Somalie et au Soudan du Sud), l’isolement politique et économique (Érythrée), les faiblesses institutionnelles (comme à Madagascar) et le déficit d’infrastructures (en particulier aux Comores et au Burundi) sont autant d’obstacles qui limitent la diversification des sources de croissance de la région. De plus, la prépondérance du secteur informel dans l’ensemble de la région rend difficile la transition vers une économie plus structurée et plus résiliente.
Si la diversification économique est perçue comme un objectif commun en AEOI, les progrès restent inégaux d’un pays à l’autre. Pour l’ensemble de la région, le renforcement des institutions, l’amélioration du climat des affaires et l’investissement dans les infrastructures doivent rester des priorités pour garantir une diversification économique efficace et durable. Toutefois, les faibles marges de manœuvre budgétaires limitent souvent la capacité des pays à financer ces réformes structurelles et à développer des secteurs stratégiques.
[1] Il s’agit d’un calcul effectué par le SER de Nairobi, à partir des données de la CNUCED et du FMI