Approvisionnement en eau et assainissement au Nigéria
Les secteur de l’eau et de l’assainissement au Nigéria sont dans un état préoccupant. Leur sous-financement et leur mode de fonctionnement décentralisé ne permettent une bonne coordination entre les Etats fédérés et réelle efficacité des politiques publiques à l’échelle nationale...
... Seuls 67 % des Nigérians ont accès à des services de base d'approvisionnement en eau potable et 10% d’entre eux ont à la fois accès à des services de base d'approvisionnement en eau potable, à des équipements sanitaires et à des services d’hygiène de base. Les initiatives fédérales telles que le National Action Plan for the WASH ou la Clean Nigeria Campaign visent à améliorer la situation d'ici 2030, mais les progrès sont insuffisants et les systèmes restent sous-financés malgré le soutien de partenaires internationaux tels que la Banque mondiale, l'USAID et l’AFD. Présent jusqu’en 2015, Suez semble vouloir réinvestir le marché nigérian.
Des systèmes d’approvisionnement en eau et d’assainissement largement défaillants
Approvisionnement en eau de la population
Au Nigéria l’accès de la population à l’eau potable reste partiel, avec des disparités importantes en fonction des géographies et des niveaux de revenus. D’après le rapport Water Sanitation and Hygiene National Outcome Routine Mapping de la Banque Mondiale de 2021, seuls 67 % des Nigérians ont accès à des services de base d'approvisionnement en eau potable[1]. La moyenne d’accès à des services d’approvisionnement en eau potable est de 86% dans les zones urbaines et péri-urbaines, contre 57% dans les milieux ruraux. Les moyennes diffèrent aussi fortement entre les six zones géopolitiques du pays, avec un meilleur accès dans les Etats du Sud. Le taux d’accès moyen est de 85% dans la zone sud-ouest du pays, de 73% dans la zone sud-est, de 65% dans la zone sud-sud, de 58% dans la zone nord-centre, de 56% dans la zone nord-ouest et de 66% dans la zone nord-est (Annexe 1). Enfin, le taux d’accès diffère en fonction des revenus. Le taux d’accès moyen à des services d’eau potable pour les 20% les plus pauvres est de 46% contre 92% pour les plus aisés.
Dans l’Etat de Lagos, l’Etat le plus peuplé du pays (20M d’habitants) et dans lequel 2000 migrants arrivent chaque jour selon le Form Economique mondiale, la situation est particulièrement préoccupante. En effet, la Lagos Water Corporation (LWC), chargée de la gestion de l’eau potable et placée sous l’autorité directe de l’Etat de Lagos, est dotée d’une capacité de production de 210M de gallons par jour (MGD) mais ne produit qu’à hauteur de 10% de ses capacités du fait de la vetusté de ses infrastructures dû à un sous-investissement chronique[2]. La demande est pourtant estimée à plus de 500 MGD. A Abuja, le Conseil pour le développement de la capitale fédérale (FCT Water Board) est responsable de la fourniture de l’eau potable.
Réseaux d’assainissement
Le secteur du traitement des eaux usées reste largement sous-développé, bien que certaines villes comme Lagos et Abuja aient fait des progrès relatifs. L’immense majorité des villes nigérianes ne disposent pas de systèmes d'égouts (ils ne représentent que 8% des systèmes d’assainissement dans le pays), à l'exception de quelques quartiers d'Abuja et de quelques localités de Lagos. En 2023, le Nigéria ne disposait que de 26 stations de traitement des eaux usées, la plupart situées dans des zones urbaines comme Lagos et Abuja, dont 22 seulement étaient partiellement fonctionnelles[3]. Ces installations ne répondent pas aux besoins d’une population, par ailleurs en forte croissance. D’après l’UNICEF, en 2022, seuls 32% des Nigérians utilisaient « des installations sanitaires gérées en toute sécurité ». Les habitants et les entreprises gèrent les eaux usées par le biais d'un système décentralisé de gestion (fosses septiques, latrines privées), qui lorsqu’il existe, ne respecte pas, la plupart du temps, les standards sanitaires de traitement des eaux usées de l’OCDE. Une très grande partie des eaux usées est ainsi rejetée directement dans l'environnement sans traitement, ce qui pollue les rivières, les nappes phréatiques, le littorale et présente des risques pour la santé publique. On estime par exemple que 80% des eaux usées industrielles ne sont pas traitées avant d’être relâchées dans l’environnement[4].
Tout comme pour le secteur de l’eau potable, la situation du secteur de l’assainissement est particulièrement préoccupante à Lagos. Les 4 stations d’épuration de l’Etat fédéré, gérées par le Lagos State Waste Water Management Office (LSWMO), ont une capacité installée de traitement des eaux dimensionnée pour 125 000 personnes seulement et ne fonctionnent aujourd’hui qu’à 2% de leur capacité)[5]. La LSWMO gère également les 5 stations de traitement des boues de fosses septiques détenues par l’Etat de Lagos. Ces dernières peuvent théoriquement traiter 390 camions par jour mais ne fonctionnent aujourd’hui qu’à 20% de leur capacité. A Abuja, le traitement des eaux usées est supervisé par des agences locales.
Pour faire face à la situation, le gouvernement fédéral a lancé en 2018 la Clean Nigeria Campaign visant à garantir un accès universel à l'assainissement d'ici 2030 ainsi que le National Action Plan for the WASH pour la revitalisation du secteur de l'eau, de l'assainissement et de l'hygiène. Force est de constater que cet objectif est loin d’être atteint : selon la Banque mondiale, seuls 10% des Nigérians ont à la fois accès à des services de base d'approvisionnement en eau potable, à des sanitaires et à des services d’hygiène de base.
Des secteurs au fonctionnement décentralisé, ce qui nuit à l’élaboration de politiques publiques harmonisées au niveau national
Au Nigéria, le traitement de l’eau et l’assainissement relèvent principalement de la responsabilité des États fédérés. Le Ministère fédéral des Ressources en Eau (Federal Ministry of Water Resources, FMWR) est chargé de définir les politiques nationales pour la gestion de l'eau, incluant les eaux usées, l'eau potable, la gestion et la prévention des inondations, le suivi de la ressource en eau et des bassins versants et l’irrigation. Il fournit un cadre réglementaire et coordonne des programmes nationaux, tels que le National Action Plan for Water, Sanitation, and Hygiene (WASH), pour améliorer l'accès à l'eau potable et au traitement des eaux usées. Le FMWR joue aussi un rôle de coordination et de soutien stratégique aux entités fédérées, en apportant notamment des conseils techniques, mais il n’est pas chargé de construire, maintenir et opérer les infrastructures dans les différents Etats. Le gouvernement fédéral finance également des projets spécifiques et collabore avec des partenaires internationaux pour mobiliser des ressources.
Chaque État est responsable de la fourniture des services, de la tarification et du recouvrement des coûts liés aux services d’accès à l’eau potable et d’assainissement à travers des agences locales, telles que les State Water Boards (SWBs) ou State Water Corporations (SWCs) pour la potabilité de l’eau. Ces agences gèrent les infrastructures locales, comme les stations de traitement de l'eau, et définissent les priorités selon les besoins de leur population. Il incombe théoriquement et légalement aux Water Board ou Water Corporation d’assurer la production et distribution d’eau potable dans les zones urbaines du Nigéria. Les deux entités diffèrent sur le plan du modèle économique. Les Water Board, plus anciennes, sont axées sur une dimension de service public. Elles sont amenées à être remplacées par les Water Corporations, entités toujours publiques mais dont le modèle financier, plus commercial, doit permettre à terme plus d’autonomie vis-à-vis du gouvernement de l’Etat fédéré. En effet les Water Board et Water Corporations peinent à mettre en place leur autonomie financière et dépendent fortement de la volonté des gouvernements fédérés pour leur fonctionnement. Le paiement des salaires et les coûts de fonctionnement (électricité, intrants, diesel) sont, dans une grande majorité des Etats, encore couverts par le gouvernement fédéré. Ces difficultés s’expliquent par la faiblesse des modèles économiques (taux de recouvrement extrêmement faible), ainsi que par la volonté de contrôle des différents gouverneurs. Ce dernier élément explique d’ailleurs que le controversé projet de loi National Water Resources Bill, visant à améliorer la gouvernance de l'eau en centralisant certaines fonctions au niveau fédéral tout en permettant la décentralisation de la gestion locale, n’ait toujours pas été adopté par le Parlement depuis 2017 malgré les différentes versions déposées. En zone rurale des entités équivalentes aux Water Boards ou Water Corporations, dénommées Rural Water Supply and Sanitation agencies sont en charge de l’accès à l’eau potable et de l’assainissement. Enfin, les administrations locales (districts au sein des Etats fédérés) interviennent dans la gestion quotidienne, notamment pour la maintenance des petits systèmes de distribution d'eau et de gestion des eaux usées dans les communautés rurales. Les agences publiques demeurent néanmoins largement absentes dans l’approvisionnement en eau de la population. Parmi les 2,31 millions de points d'eau au Nigéria, 81% d’entre eux sont construits par des acteur non-étatiques.
Des secteurs sous-financés malgré le soutien des bailleurs
Les secteurs de l’eau et l’assainissement sont sous-financés au regard des besoins immenses à combler. A titre d’exemple, le budget alloué par l’Etat de Lagos au Lagos State Waste Water Management en 2024 était de 500M NGN (313 000 EUR), il sera de 1,2Md NGN (752 000 EUR) en 2025. Ce sous-financement, public comme privé, rend impossible le développement de nouvelles infrastructures et la réhabilitation de celles existantes.
Le secteur de l'eau potable et de l'assainissement au Nigéria bénéficie néanmoins de nombreux soutiens de bailleurs internationaux telles que la Banque mondiales, l’UNICEF, l’USAID, la Banque africaine de développement (BAD) ou WaterAid. Financé grâce à un prêt de 700 M USD, le programme SURWASH (2021 – 2027) de la Banque mondiale vise à améliorer l'accès à l'eau potable et à l'assainissement pour environ 6 millions de personnes. Il cible les infrastructures urbaines et rurales en développant des points d'eau et des systèmes d'assainissement améliorés. La Banque Mondiale adopte néanmoins une approche « Program-for-Results », l’intégralité du prêt n’a donc pas encore été versé. A travers son programme WASH, l’UNICEF travaille dans les zones rurales et périurbaines pour augmenter l'accès à l'eau potable et réduire les maladies liées à l'eau. Avec le soutien de l'USAID, des programmes ciblés dans des États comme Kebbi, Sokoto, et Zamfara ont notamment bénéficié de 10 M USD entre 2021 et 2024. Le programme WASH a été renouvelé jusqu’en 2027. Entre 2018 et 2022, a aussi financé le programme E-Wash de 60M USD pour améliorer l'approvisionnement en eau et les services d'assainissement dans cinq États nigérians (Abia, Delta, Imo, Niger, et Taraba). Dans l’Etat de Lagos, l’USAID octroit un prêt sur 5 ans de 46 M USD à la LWC et au LSWMO. WaterAid intervient également dans des régions mal desservies pour fournir des infrastructures d'eau potable et promouvoir les pratiques d'hygiène.
En raison des lacunes de financement et de capacités, les partenariats publics-privés (PPP) sont souvent présentés comme des formes de financement alternatif, tant par les institutions financières internationales que par le gouvernement fédéral. Cependant, force est de constater qu’il n’y a pas encore eu de concession, de contrat de crédit-bail ou de gestion obtenues par les multinationales du secteur. Seuls des contrats de construction simple et non des BOT (Built-Operate-Transfer) ont été relevés.
Activités de l’AFD mises à part, la présence française est limitée, mais Suez semble vouloir réinvestir le marché nigérian
Actuellement aucune entreprise française n’est présente dans le secteur de l’eau et de l’assainissement. Néanmoins, jusqu’en 2015, la présence de Suez dans la potabilisation de l’eau était importante. Entre 1983 et 2015 l’entreprise a effectué plus de 25 projets au Nigéria à travers le pays. Suez semble vouloir revenir sur le marché nigérian. Ils s’intéressent actuellement à 5 projets privés dont celui d’Eko Atlantic City. Le SER est par ailleurs en discussions avec l’entreprise pour des projets potentiels avec l’Etat de Lagos (cf commentaire).
Au Nigéria, l’AFD a, sur la thématique de l’eau, focalisé ses efforts sur l’apport en eau potable en zone urbaine. Un premier volet consiste à renforcer les capacités de production et de distribution d’eau potable de différentes Water Corporations. Cela se matérialise par des réhabilitations de stations de traitement et des réhabilitation et extensions de réseaux de distribution d’eau potable. Un deuxième volet consiste à l’accompagnement pour le renforcement du modèle financier des Water Corporations, à travers la mise en place effective d’une tarification de l’eau potable. Les projets d’eau potable de l’AFD appuient la mise en œuvre de la 3ème réforme nationale sur l’eau urbaine (2014) portée par le Ministère fédéral des Ressources en Eau.
Quatre projets ont ainsi été financés depuis 2010, deux sont terminés (Annexe 1) et deux sont en cours d’exécution (Annexe 1). Un total de 7 Etats ont été bénéficiaires d’appuis AFD sur le secteur de l’eau potable. Le montant total engagé est de 340,8 M USD (317,2 M EUR). Face aux besoins nombreux, l’AFD a également été sollicitée pour intervenir dans deux nouveaux Etats, Borno et Niger (Annexe 1).
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[2] La Lagos Water Corporation détient 3 usines de traitement de l’eau provenant de rivières, Adiyan, Iju et Ishasi, d’une capacité respective de production de 70 MGD, 45 MGD et 4 MGD. Elle détient également 48 mini stations de traitement de l’eau provenant de forages.
[3] Water and Wastewater Treatment in Nigeria: Advancements, Challenges, Climate Change and Socioeconomic Impacts
[4] Water and Wastewater Treatment in Nigeria: Advancements, Challenges, Climate Change and Socioeconomic Impacts
[5] Capacité installée de traitement des eaux usées des 4 stations d’épuration de l’Etat de Lagos : Alausa (10 000 hab/j), Abesan (50 000 hab/j), Oke-Afa (40 000 hab/j) et Iponri (25 000 hab/j). Chiffres du LSWWMO.