Intervention des bailleurs internationaux dans le secteur électrique
Le Nigéria a le plus grand déficit d’accès à l’électricité au monde, touchant 45 % de sa population et pénalisant sa compétitivité. Faute de marges de manœuvres budgétaires pour mettre à niveau le secteur de la production, transmission et distribution électrique, le gouvernement fait appel aux bailleurs multilatéraux et bilatéraux....
... Depuis la prise de fonction du président Bola Tinubu en mai 2023, le Nigéria a reçu environ 2,5 Md USD de financement multilatéral pour soutenir son secteur électrique. Bien qu’essentiels, ces financements sont néanmoins insuffisants pour pouvoir répondre au déficit abyssal d’infrastructures électriques dans le pays.
I/ Avant la mandature du président Bola Tinubu, le Nigéria avait déjà bénéficié d’une aide conséquente de la part des bailleurs internationaux pour soutenir son secteur électrique.
Durant les années précédant l’élection de Bola Tinubu en mai 2023, le Nigéria avait déjà obtenu l'approbation de près de 2 Md USD de prêts de la part d'organisations multilatérales, en particulier de la Banque mondiale. Le 27 juin 2018, un financement de 350 millions USD a été approuvé par celle-ci pour le Projet d'électrification du Nigéria (NEP). Ce projet visait à installer des mini-réseaux solaires hybrides pour soutenir l'économie rurale, déployer des systèmes solaires autonomes pour fournir de l'électricité à plus d’un million de foyers et de petites et moyennes entreprises, et approvisionner en énergie des universités publiques et hôpitaux universitaires. Le programme prévoyait aussi une assistance technique aux institutions nigérianes, telles que l'Agence d'électrification rurale (REA), la Commission de régulation de l'électricité (NERC), et le ministère fédéral de l'électricité (FMPWH). La date de fin est fixée au 31 décembre 2024.
Le 23 juin 2020, la Banque mondiale a approuvé un prêt de 750 M USD pour le projet Power Sector Recovery Operation (PSRO), visant à améliorer la fiabilité de la distribution d’électricité, la viabilité financière des distributeurs (DisCos) et leur responsabilité. Grâce aux réformes soutenues par ce projet, les subventions annuelles au secteur ont chuté de 528 Md NGN en 2019 à 144 Md NGN en 2022. Selon la Banque mondiale, en 2023, les DisCos payaient 80% de leurs factures à la Nigerian Bulk Electricity Trading (NBET) contre 29% en 2019, et plusieurs publient désormais leurs états financiers en ligne. Toutefois, les subventions ont de nouveau augmenté en 2023 (645M NGN) et 2024 (1,6 Md NGN) du fait de l'inflation et de la dévaluation monétaire.
Le 4 février 2021, la Banque mondiale a approuvé un prêt de 500 M USD pour le programme de redressement du secteur de la distribution au Nigéria (DISREP), visant à améliorer la distribution d’électricité au Nigéria en soutenant les sociétés de distribution (DISCO), notamment via l’installation à grande échelle de compteurs. A la suite de résultats en deçà des attentes, une mission de supervision a été organisée en juillet 2024 par la Banque mondiale.
En février 2022, la Banque africaine de développement (BAD) a approuvé le Cadre de financement de l'accès à l'énergie (LEAF), au titre duquel la banque engage jusqu'à 164 M USD pour développer les activités des entreprises d'énergie renouvelable décentralisée au Nigéria et dans cinq autres pays africains.
II/ Face à un réseau électrique national qui demeure défaillant et un contexte budgétaire restreint…
Malgré ces financements, le Nigéria a encore le plus grand déficit d’accès à l’électricité au monde, touchant 45 % de sa population, avec des disparités entre les zones urbaines (84 %) et rurales (26 %). Ce déficit est lié à des infrastructures insuffisantes représentant seulement 30 % du PIB, bien en deçà des 70 % recommandés par la Banque mondiale. Pour combler ce fossé, le plan national intégré pour les infrastructures de 2020 estime que 2 300 Md USD d’investissement sont nécessaires entre 2021 et 2043.
Pour mettre à niveau les infrastructures de production, de transmission et de distribution d’électricité, la politique budgétaire du gouvernement nigérian est contrainte par la faiblesse des recettes publiques (9,4% du PIB en 2023) et la charge d’intérêt (39% de la dépense publique en 2024). Le gouvernement doit donc s’appuyer sur des financements externes pour réformer le secteur électrique, afin de ne pas recourir au financement par monétisation aux effets inflationnistes.
III/ … l’administration Tinubu continue de faire appel aux bailleurs multilatéraux.
La Banque mondiale estime les pertes économiques dues à l'instabilité de l’approvisionnement électrique au Nigéria entre 7 et 10 milliards NGN annuels (5 à 7 % du PIB). Ainsi, l’amélioration du réseau électrique reste une priorité pour le gouvernement, qui continue de recevoir des financements multilatéraux à cette fin.
Le 9 juin 2023, la Banque mondiale a approuvé un financement additionnel de 750 M USD pour le projet Power Sector Recovery Operation (PSRO). Ce financement vise à améliorer la viabilité financière du secteur, réduire les blocages techniques du réseau, faciliter les contrats bilatéraux et renforcer la transparence et gouvernance des sociétés de distribution (DisCos). Le financement supplémentaire continuera d'améliorer la fiabilité de l'approvisionnement en électricité en facilitant l'application partielle (et à terme totale) des accords d'achat d’électricité entre les sociétés de production d'électricité et la NBET. Cela doit attirer des investisseurs privés dans la production d'électricité afin qu’ils puissent conclure des contrats avec des Discos performantes.
Le 14 décembre 2023, la Banque mondiale a approuvé le projet DARES (Distributed Access through Renewable Energy Scale-up) pour le Nigéria, financé par un crédit de 750 M USD. Ce projet vise à fournir de l’électricité à plus de 17,5 millions de Nigérians grâce à des solutions d'énergie renouvelable distribuée et à mobiliser plus d'1 Md USD de capitaux privés et de financements de partenaires de développement, dont 100 M USD de l'Alliance mondiale de l'énergie pour les peuples et la planète et 200 M USD de l'Agence japonaise de coopération internationale (JICA). D'autres partenaires de développement collaborent au programme, notamment l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), l'Agence allemande de développement (GIZ), SEforAll et la BAD. L’AFD envisage également de s’associer au projet DARES. Les principaux responsables de la mise en œuvre de ce projet sont la REA et le Lagos State Electricity Board (LSEB), avec un soutien important des ministères fédéraux de l’électricité, de l’environnement et des finances, de la Nigerian Electricity Management Services Agency (NEMSA) et de la Nigerian Electrification Regulatory Commission (NERC). Par le biais de ce prêt, le gouvernement fédéral accorde ainsi des subventions aux développeurs et aux opérateurs de mini-réseaux solaires dans les zones non desservies et mal desservies.
Le 31 juillet 2024, la BAD a approuvé un prêt de 500 M USD pour soutenir la transformation de l'infrastructure électrique au Nigéria et faciliter l’accès à des sources d'énergie plus propres. Ce prêt finance la première phase du Programme de soutien à la gouvernance économique et à la transition énergétique (EGET-SP) et contribuera à combler le déficit budgétaire fédéral pour 2024/25, tout en soutenant l'application de la nouvelle loi sur l'électricité et le plan de transition énergétique du pays. Ces initiatives sont conçues pour décentraliser l’approvisionnement en électricité et favoriser les investissements infranationaux et privés.
Le 26 septembre 2024, la Banque mondiale a approuvé 500 M USD pour le projet « Sustainable Power and Irrigation for Nigeria » (SPIN), visant à renforcer la sécurité des barrages et la gestion des ressources en eau pour l’hydroélectricité et l'irrigation. Ce projet, qui débutera en janvier 2025, inclut l’élaboration d’un plan pour augmenter la production hydroélectrique grâce à des partenariats public-privé.
IV/ Le secteur électrique nigérian bénéficie d’un financement bilatéral soutenu.
Les financements bilatéraux ciblent l’augmentation de la production électrique, l'amélioration du réseau et la transition du Nigéria vers les énergies renouvelables. Les principales initiatives sont présentées ci-dessous :
France : Entre 2014 et 2024, l’AFD a financé le projet The Abuja Feeding Scheme (170 M USD) destiné à augmenter la capacité du réseau de transport d'électricité via la construction de lignes de transport d'électricité pour la zone métropolitaine d'Abuja, à améliorer la disponibilité de l'électricité via la construction de nouvelles sous-stations et à assurer la stabilité et la fiabilité de l'alimentation électrique en fournissant des équipements de télécommunications et des logiciels de traitement des données. L’AFD finance également le Projet de corridor nord (2020-2027) à hauteur de 226 M EUR, mis en œuvre par la Transmission Company of Nigeria (TCN) visant à améliorer le réseau électrique et à développer le marché régional de l'électricité dans le cadre du Système d'échange d'énergie électrique ouest africain (WAPP), via la construction et réhabilitation de sous-stations et de lignes de transmission. Ce projet doit contribuer à augmenter la capacité nominale de transmission de 17 TWh par an et à mieux intégrer les énergies renouvelables au réseau.
Allemagne : En 2018, le gouvernement nigérian avait signé un MOU avec le gouvernement allemand et Siemens dans le cadre de l’Initiative présidentielle pour l’énergie (PPI) afin de moderniser le secteur de la transmission et de la distribution électrique, via un prêt de 2,3 Md USD pour porter la capacité du réseau à 25 000 MW d'ici 2030. La mise en œuvre du projet a été confiée à l’entreprise publique FGN Power Company. Une phase pilote du projet (60 M EUR) a été finalisée récemment avec succès, avec l’installation d’une dizaine de sous-stations. Le financeur principal est la Deutsch Bank. A noter que l’exécution du projet sera assurée par Siemens Energy France. De ce fait, la Bpi étudie la possibilité d’une assurance-crédit de 164 M EUR pour la première phase du projet.
Chine : Via la banque publique China Exim Bank, la Chine est un acteur majeur du secteur électrique nigérian, ayant financé 75 % de la centrale hydroélectrique de Zungeru (1,3 Md USD, 2013-2021). En octobre 2023, le Nigéria a signé un contrat de 463 M USD avec un consortium chinois pour l’amélioration des lignes de distribution, financé par la China Exim Bank.
États-Unis : Par le biais de l’USAID et de son initiative Power Africa, les États-Unis soutiennent la réforme du secteur de l'électricité au Nigéria. Le 10 juillet 2024, l’USAID et le ministère nigérian de l'Électricité ont signé un MOU pour promouvoir les réformes, améliorer la transparence du marché et élargir l'accès à une énergie fiable et abordable. Ce partenariat finance un programme d'assistance technique avec une subvention américaine d’environ 75 M USD. Depuis son lancement en 2013, Power Africa a permis de raccorder plus de 33 millions de Nigérians à l’électricité, de mobiliser 4,5 Md USD pour des projets d'électricité en réseau et hors réseau au Nigéria et d’assister 200 entreprises privées opérant dans le domaine hors réseau.
Royaume-Uni : British International Investment a participé au financement de la centrale électrique à gaz Azura-Edo (450 MW) à hauteur 30 M USD, opérationnelle depuis 2018 dans l'État d'Edo. Proparco l’avait également financée à hauteur de 35M USD. Le programme UK Nigeria Infrastructure Advisory Facility (2019-2025), doté de 72,8 M GBP, vise également à accroître l'efficacité du secteur électrique, développer les infrastructures énergétiques et soutenir les réformes réglementaires. En 2021, le programme UK PACT a aussi bénéficié au Nigéria pour appuyer des initiatives innovantes favorisant l’efficacité énergétique.