Le mix énergétique du Nigéria : défis et enjeux
Le Nigéria dépend largement des hydrocarbures, malgré le potentiel de sa production d’énergie renouvelable (EnR), notamment solaire. Bien qu'il ait mis en œuvre des réformes pour promouvoir les énergies renouvelables, le pays doit encore consentir des efforts considérables.
Avec une population qui pourrait atteindre plus de 330 millions d'habitants en 2050, la demande en énergie connaîtra une forte augmentation, alors que le pays est déjà confronté à d'importants défis financiers et technologiques pour améliorer des infrastructures énergétiques inadaptées aux besoins de la population.
Une répartition des sources d’énergie du Nigéria dominée par les hydrocarbures.
Les sources d'énergie émettrices de gaz à effet de serre (GES) jouent un rôle clé dans l’approvisionnement en énergie du Nigeria. D'après l'Agence internationale de l'énergie (IEA), en 2022, les biocarburants et les déchets représentaient 43 % de l'approvisionnement énergétique du pays, devançant le pétrole (32,2 %) et le gaz naturel (22,2 %).[i] Les énergies renouvelables (EnR), solaire et hydroélectrique, ne représentaient que 1,1 %. Entre 2000 et 2022, la part d’énergie hydroélectrique (première source d'EnR du pays) dans l’approvisionnement énergétique a augmenté de 64 % et celle des biocarburants et des déchets de 87 %. La Consommation finale totale (TFC) d’énergie, quant à elle, est dominée par les biocarburants et les déchets (49 %), suivie par les produits pétroliers (38 %), le gaz (6,7 %), l’électricité (4,7 %) et le charbon (1,4 %).
Le mix électrique est lui aussi dominé par les énergies fossiles. Selon le think tank Ember, en 2023, le gaz naturel représentait plus de 79 % de la production d'électricité, l’énergie hydroélectrique 20,4 % et l’énergie solaire 0,12 %. Entre 2000 et 2023, l'utilisation du gaz naturel a augmenté de 255 %, loin devant l'énergie hydroélectrique (+47 %). L'énergie solaire a quant à elle progressé de 118 % entre 2010 et 2021.
Cette domination des sources d'énergie émettrices de GES s’explique par les importantes ressources pétro-gazières du Nigéria. Le pays est le plus grand consommateur et producteur de gaz d’Afrique de l'Ouest, il possède les plus grandes réserves de gaz naturel d’Afrique et figure parmi les premiers pays du monde en termes de réserves prouvées. En 2024, le Nigéria possédait 210 trillions de pieds cubes (t.p.c.) en réserves de gaz naturel associé et non-associé, devant l’Algérie (159 t.p.c.) et le Mozambique (100 t.p.c). Le pays est aussi le premier producteur de pétrole brut d’Afrique (73,9 millions de tonnes métriques en 2023), devant l’Algérie (60,4 Mmt) et la Libye (59,7 Mmt).
Pourtant, le Nigéria possède un énorme potentiel dans les énergies renouvelables, notamment dans l’énergie solaire. Le pays a la capacité de produire environ 427 000 MW d'énergie solaire concentrée et photovoltaïque, avec des irradiations solaire dans le nord du Nigéria se situant entre 5.62 et 7.01 kWh/m2 et entre 3.54 à 5.43 kWh/m2 dans le sud. Son potentiel éolien est plus modéré, avec des vitesses moyennes d'environ 2,0 m/s sur la côte et de 30 m/s dans le nord extrême du pays. De plus, le Nigeria dispose de vastes cours d'eau et de chutes naturelles, représentant un potentiel exploitable de 11 500 MW.
Des politiques et réformes ambitieuses ont déjà été mises en place pour augmenter la capacité de production d’énergie renouvelable.
L'approche politique et réglementaire de la transition énergétique est fragmentée en plusieurs politiques et cadres législatifs. Dès 2005, le Plan directeur pour les énergies renouvelables (REMP) prévoyait d’accroître la part d’EnR dans le mix électrique à 23 % en 2025 et 36 % en 2030. A un an de la première échéance, l’objectif a été partiellement atteint. Selon l’Agence internationale de l’énergie renouvelable (IRENA), les EnR représentaient 21 % de la capacité électrique du Nigéria en 2023.
En 2018, la Commission de l'énergie du Nigéria a révisé et publié la politique énergétique nationale (NEP) qui visait, entre autres, à poursuivre la production d'énergie hydroélectrique de manière écologique. Le résultat semble mitigé, la production d’électricité hydroélectrique n’a que légèrement augmenté ces dernières années, passant de 7695 Gwh en 2018 à 8300 Gwh en 2023 avec un pic à 8800 en 2022.
Enfin, signataire de l’Accord de Paris, le Nigéria s'est engagé, avec le soutien de la COP26 et via son plan de transition énergétique (ETP), à favoriser les EnR, avec un objectif d’émissions nettes nulles d'ici 2060. Le plan prévoit la commercialisation du gaz jusqu'en 2030, suivi d'une élimination progressive des énergies fossiles. En réduisant les émissions de GES de 45 % d'ici 2030 et de 90 % d'ici 2050, le plan vise également à améliorer la qualité de l'air au Nigéria.
Concernant le cadre réglementaire, la loi sur le changement climatique de 2021 est la principale législation au Nigéria pour lutter contre le changement climatique et favoriser une croissance durable. Les organismes gouvernementaux et les entreprises privées de 50 employés ou plus doivent diminuer leurs émissions de GES et intégrer des mesures pour lutter contre le changement climatique dans leurs activités. Ils doivent par exemple désigner des responsables spécifiques dans l’entreprise. Des amendes pour non-respect des objectifs environnementaux pourront être imposées, elles alimenteront un Fond pour le climat. Pour superviser ces mesures, la loi met en place le Conseil national sur le changement climatique (NCCC).
Sur le plan sectoriel, la loi sur l'industrie pétrolière (PIA) de 2021 et la loi sur l'électricité (EA) de 2023 intègrent des clauses sur le changement climatique. La PIA a confié à la Commission nigériane de régulation de l'amont (NUPRC) la supervision réglementaire des questions environnementales dans l'industrie pétro-gazière. La loi sur l'électricité charge la Commission nigériane de régulation de l'électricité (NERC) de promouvoir les EnR et simplifie le régime d'autorisation pour les sociétés de services d'EnR. Certains États du Nigéria ont commencé à profiter la loi de 2023 afin de favoriser la production d'électricité à partir de sources renouvelables, cette dernière les autorisant à produire, transporter et distribuer de l'électricité dans les zones couvertes par le réseau national. L'État de Lagos avait pris les devants en interdisant l'utilisation du polystyrène et en mettant en place son propre plan énergétique et sa politique de l'électricité en 2021.
Face à une demande croissante, portée par une forte expansion démographique, les infrastructures énergétiques doivent être adaptées.
L'accès universel à une énergie propre pour tous d'ici 2030 s’annonce difficile. La forte croissance démographique du Nigéria, qui pourrait atteindre plus de 330 millions d'habitants d'ici 2050, accentuera considérablement la demande d’énergie, risquant de laisser s’envoler le niveau démissions de GES. Il est donc crucial de développer et de moderniser rapidement les infrastructures énergétiques renouvelables.
Des progrès se dessinent néanmoins dans l'installation d’infrastructures d'EnR à grande échelle pour alimenter le réseau électrique. En janvier 2023, l’Autorité d’investissement du Nigéria (NSIA) a terminé un projet solaire de 10MW dans la zone industrielle de Challawa, dans l'État de Kano, le premier du pays à être relié au réseau. Le fournisseur de systèmes solaires domestiques Lumos a obtenu 35 M USD de la Société financière de développement (DFC) pour distribuer 160 000 systèmes solaires domestiques à travers le Nigéria. En 2020, le parc éolien de Katsina dans le nord du pays, est devenu le premier grand parc éolien du Nigeria avec une capacité de 10 MW, fruit d'un partenariat entre le gouvernement nigérian, l'Agence française de développement (AFD) et le fabricant danois d'éoliennes Vestas.
Néanmoins, ce progrès reste limité. Ces chiffres sont bien inférieurs à ceux d'autres pays du continent, qui ont un potentiel similaire en EnR, avec une population bien moins importante que celle du Nigéria. En ce qui concerne l'énergie solaire, l'Afrique du Sud a par exemple déjà investi dans la centrale solaire de De Aar, la plus grande centrale de l'hémisphère sud (175 MW). Le parc éolien de Katsina est loin derrière le parc éolien massif de 365 turbines situé sur la rive est du lac Turkana, au Kenya, avec une capacité de 310 MW.
Le gouvernement met en place des initiatives pour stimuler l'investissement et améliorer l'accès à l'électricité, surtout hors-réseau, tel que le projet d'électrification du Nigéria dirigé par l'Agence d'électrification rurale (REA). La Banque mondiale a accordé une facilité de 350 M USD et la Banque africaine de développement une facilité de 250 M USD pour le développement d’infrastructures hors-réseau. Ces investissements devraient mobiliser 81 Md USD de financement supplémentaire de la part du secteur privé.
L’offre française, déjà positionnée, pourrait saisir de nouvelles opportunités. Afin de moderniser et d’améliorer le réseau de transmission et de distribution au Nigéria, l’AFD a accordé un prêt de 170 M USD pour le programme d'alimentation d'Abuja (2014 – 2024) ainsi qu’un prêt de 202 M EUR pour le projet Corridor Nord. L’AFD s’apprête également à soutenir le développement des énergies renouvelables dans le mixte électrique à travers un prêt de plusieurs dizaines de millions d’euros pour le projet Scale Up Solar (2023 – 2030). Pour soutenir le développement des énergies renouvelables hors réseau, l'AFD explore aussi le développement de projets d'accès hors réseau et s’apprête à participer au programme DARES de la Banque mondiale. RTE International a signé un contrat d’ingénierie de 6,5 M EUR (financé par l’AFD) avec TCN pour un projet de construction et de réhabilitation de centaines de kilomètres de lignes et de plusieurs postes 330 kV dans le nord du pays. En novembre 2023, le fonds français Echosys a signé un MOU avec Rensource concernant une tranche de financement de 15 M EUR pour l’installation de centrales solaires hors-réseau, ainsi qu’un MOU de 20 M USD sur 10 ans avec Watt Renewables par lequel le fonds Afrigreen fournira un financement pour les centrales solaires construites par Watt Renewables au Nigeria. Echosys a en effet levé le fonds de dette « Afrigreen » de 100 M EUR en 2023, dédié aux énergies renouvelables, dont un quart devrait être déployé au Nigéria. Au Nigeria, TotalEnergies développe des projets d'électrification solaire en milieu rural par l'intermédiaire de sa filiale Total Eren. Sa filiale Maxeon Solar Technologies commercialise également des panneaux solaires. ENGIE Energy Access Nigeria et Schneider Electric sont aussi des fournisseurs importants de solutions de mini-réseau et de systèmes solaires résidentiels dans le pays. Quant à Spie, l’entreprise développe de plus en plus son activité de prestataire dans le domaine de l’énergie solaire pour les infrastructures de production de gaz et de pétrole. Des PME françaises cherchent également à s’implanter sur le marché nigérian de l’éclairage solaire. Le domaine de l’énergie hydraulique pourrait aussi être source d’opportunités. Les centrales hydroélectriques de Kainji et Jebba, toujours en service, vieillissent et ont besoin de rénovations pour améliorer leurs performances. C'est une opportunité pour des entreprises internationales comme Tractebel de se positionner dans la modernisation de ces infrastructures clés. Le SER d’Abuja collabore avec une PME française pour un projet FASEP de mini-centrales hydrauliques dans l’Etat de Katsina. En outre, l'énergie nucléaire pourrait également bénéficier à des entreprises françaises telles que Spie, EDF, Bouygues, Engie et Orano, car la Commission de l'énergie atomique du Nigéria (NAEC) examine actuellement un projet de construction de réacteur nucléaire pour la production d'électricité. Jusqu'à présent, les seuls réacteurs nucléaires se trouvent au Centre de recherche et de formation sur l'énergie (CERT) de l'Université Ahmadu Bello à Zaria et au centre technologique d’Abuja, utilisés à des fins de recherches.
[i] Les biocarburants et les déchets sont les principales sources d'énergie, car les ménages, qui représentent la majeure partie de la consommation finale d'énergie du pays (environ 80%), utilisent majoritairement des biocombustibles provenant du bois, de la paille ou des déchets pour la cuisson, le chauffage de l'eau et parfois l'éclairage.